Les Sacqueboutiers et Du Bartàs, à Odyssud et à la Salle Nougaro (1), ont conclu en beauté la saison 2014-2015, de quoi attendre avec impatience la nouvelle, mais c’était surtout une belle balade (promenade), et aussi ballade (forme vocale et instrumentale) occitane.
Avec Du Bartàs (2), c’est à une école buissonnière, des deux côtés de la Méditerranée, que nous invitait la Salle Nougaro, plus habituée au Jazz et au Blues : bravo pour cette heureuse initiative. Cinq chanteurs-instrumentistes ont entrainé le public, dans une farandole endiablée où le public dansait devant la scène. La musique ensoleillée des montpelliérains fait « un pont de mer bleue », comme disait Lluis Llach, entre les deux rives de la Méditerranée ; car le violoniste vient de l’autre côté, comme cela se faisait couramment du temps des Troubadours, et avec leur 4° album « Tant que vira », ils font tourner leur musique autour d’une Méditerranée insoumise et ouverte sur le monde.
Tant que ça tourne… Entre percussions diverses et variées et chœurs ou soli a capella ou non, entre violon oriental, cuatro (petit instrument de musique à quatre cordes utilisé en Amérique du Sud), accordéon et oud, entre mélodies languedociennes ou arabo-andalouses, entre poésie (Max Rouquette en particulier) et chants de révolte, le rythme est toujours intense et les cinq voix d’hommes à l’unisson.
En venant à ce concert, je pensais à Guillaume Salluste du Bartas, poète gascon du XVIème siècle, féru d’astronomie, qui a écrit un magnifique Hymne à la Terre, ou à Louis Barthas, le tonnelier socialiste et pacifiste qui survécut à la Grande Guerre et la raconta sans fard, et même si les musiciens rendent hommage aux républicains espagnols avec un Paso del Ebro (Ay Carmela) d’excellente facture, c’est du côté de la marge, de la broussaille au bord du chemin, que Titouan Billon, Abdel Bousbiba, Laurent Cavalié, Clément Chauvet, Jocelyn Papon, sont allés chercher leur nom : au plus profond de leur racines occitanes. Mais pour les transcender : comme l’écrivait le portugais Miguel Torga, « l’universel c’est le local moins les murs ».
Avec la Chanson de la croisade, quelques semaines avant à Odyssud, les Sacqueboutiers (3) (Jean-Pierre Canihac, Philippe Canguilhem, Daniel Lassalle Laurent Le Chenadec, Florent Tisseyre, auxquels se sont joints Pierre Hamon, Jodel Grasset, Rénat Jurié (4) et Pierre-Yves Binard, ténor et baryton) ont souhaité mettre en exergue le rayonnement culturel et artistique de la culture occitane au Moyen Âge. Les instruments employés sont ceux qui accompagnaient les troubadours : chalémies (5), cornets, sacqueboutes, bombardes, tambours et trompettes, flutes etc. utilisés lors des festivités et cérémonies diverses, aussi bien profanes que religieuses ; ce sont certains d’entre eux que l’on peut encore voir au deuxième étage de la tour carrée du château de Puivert dans l’Aude et reconstitués au Musée du Quercorb (6). Les œuvres, estampies, danses royales, caccie, conductus, pour la plupart de compositeurs anonymes des XIIIème et XIVème siècle, de Bertran de Born à Bernart de Ventadorn, ou extraites du manuscrit d’Apt et du manuscrit de Gérone. Dans les œuvres issues de l’Ecole de Notre Dame et du Livre Vermeil de Montserrat, on sent bien que les mélodies et les rythmes sont de la même veine, mais qu’on a remplacé les Belles Dames, dédicatrices des textes d’amour, par la Vierge Marie (« Maria Matrem Virginem », « Stella splendens in monte »…).
La deuxième partie, intitulée « 1213 – Bataille de Muret », toujours avec les Sacqueboutiers (Cornet à bouquin, chalémie, sacqueboute, dulciane et percussions) et les deux récitants, auxquels s’est joint un Chœur mixte de 16 chanteurs (Scandicus et Quinte et Sens), est une « épopée lyrique en 5 tableaux », de Patrick Burgan sur les laisses (7) 137 à 142 de « La chanson de la croisade albigeoise »,; elle dépeint la fameuse bataille qui se tint dans la ville de Muret le 12 septembre 1213. Ce fut une terrible défaite pour les Toulousains menés par le comte Raymond VI contre les croisés de Simon de Montfort, et qui marqua une étape décisive dans l’entreprise de dépossession menée par la couronne de France, sa conquête du Languedoc et l’anéantissement programmé du monde des troubadours à travers celui de « l’hérésie » cathare. Le magnifique poème épique qui conte cette bataille fut écrit immédiatement après l’évènement par un troubadour resté anonyme. C’est la voix de ce troubadour du XIIIème siècle que nous entendons, répercutée à travers les âges, dans la déclamation du texte original en langue d’Oc par Renat Jurié.
L’adaptation en français et en alexandrins perd malheureusement le rythme si particulier des laisses originales, mais de plus la récitation simultanée dans les deux langues perturbe l’audition : une grande partie du public ne parvient pas à suivre et même Renat Jurié semble mal à l’aise. Quant à la « construction périlleusement asymétrique des proportions métriques basée sur les chiffres de la date de l’événement », elle m’a dérouté comme nombre de mes voisins. S’il faut reconnaître le grand travail de Patrick Burgan, en particulier de composition, nombreux sont ceux qui sont sortis frustrés de cette seconde partie, peut-être trop ambitieuse pour un public non initié.
Reste l’excellence des Sacqueboutiers, des Ensembles vocaux Scandicus et Quinte et Sens et des deux chanteurs-récitants, mais surtout une première partie enthousiasmante, comme les concerts de Du Bartàs, qui donnent envie de se plonger davantage dans nos racines occitanes si longtemps dénigrées. Même si aujourd’hui l’Occitan a pleinement reconquis son droit de cité, à part presqu’égale même avec le français et des subventions conséquentes (en Midi-Pyrénées du moins), même si l’on peut l’apprendre à l’Ecole avec les Calandretas ou à la Faculté, il reste beaucoup à découvrir pour le grand public de cette culture magnifique.
Et il faut écouter la poétesse Louisa Paulin (1888-1942) (8):
Ancêtres, j’entends chanter votre langue si belle derrière les broussailles de la mémoire, j’ai cueilli pour vous un bouquet sauvage dans la forêt des ans, je viens vous l’apporter en brûlant hommage, moi, arrière-petit-fille de paysans, qui avaient confiance en la parole donnée…
Je retrouve un moment une vie abolie, Je revoie deux bouleaux au bord d’une eau polie tendrement curieux de leur double reflet ; Vos racines celaient au secret de la terre, les sourds cheminements où se cherchaient leur sève, le poids léger du ciel leur jetait un oiseau et dans ses chants d’azur frissonnaient leurs deux rêves tandis qu’un souffle errant caressait de lumière l’effusive douceur qui mêlait leurs rameaux…
Vous voici, les Guillaume, les Raymond de Toulouse Et, de Foix, les Raymond, les Roger, les Bernard, Vous autres, les Trencavel de Béziers la hautaine, Les Raymond de Montpellier et les Guillaume rouergats.
Vous êtes là, les bouviers, les pâtres, les faucheurs, les vignerons, les bûcherons, Vous autres qui avez donné, obstinés sculpteurs, A mon pays son visage et ses atours princiers, qui brillent encore lors des grandes foires et marché de mon pays…
Ancêtres, alors j’entends vos chants de révolte dans la bouche des républicains espagnols, j’entends chanter votre langue si belle derrière les broussailles de la mémoire…
Je reviendrais, un soir, vers la Montagne Sainte, A l’heure mélancolique où la brume t’enchante, Roc héroïque de Montségur…
E.Fabre-Maigné
14-VIII-2015
Si vous voulez en savoir plus :
1) www.odyssud.com/ et www.sallenougaro.com
2) www.sirventes.com/index.php?/Musique/du-bartas.html
3) www.les-sacqueboutiers.com/
4) Habité par la culture occitane dont il est un fervent défenseur, Renat Jurié pense, vit et se délecte d’une langue occitane dont il connaît les subtilités, les intonations et dont il fait quotidiennement partager la saveur et la force. Depuis l’enfance, son rapport au chant traditionnel est très inspiré, et son inlassable présence sur le terrain au contact de chanteurs de tradition lui ont donné une personnalité et une force intérieure d’interprétation qui en font l’un des chanteurs occitans d’aujourd’hui d’une grande authenticité. Avec de nombreuses émissions sur la culture occitane à France Culture et à France Musique, il a été l ‘animateur de « L’Ora Occitane » à Radio France Toulouse en compagnie de Françoise Dague, Guy Bertrand et Bernard Desblancs et a participé aux excellentes émissions TV en occitan de Maurici Andrieu sur France 3 Toulouse. On a pu aussi l’entendre sur le magnifique concert de Noël des Passions, Cantem Nadal, disponible en disque, ainsi qu’avec son compère de longue date, le flutiste Jean-Pierre Lafitte.
5) on classe dans la famille des chalumeaux ou chalémies (de calamus en latin : roseau) les instruments à anche double (dans une moindre mesure à anche simple) qui ne sont pas à l’orchestre « sérieux » occidental (éthnocentrisme oblige). Mais le nom de chalumeau a été donné a beaucoup d’instruments à vent à partir du XIIe siècle… http://www.musicologie.org/sites/c/chalumeaux.html
6) www.chateau-de-puivert.com/ Rue du Chemin du Château, 11230 Puivert
04 68 20 81 52
www.museequercorb.com/ 16 Rue du Barry du Lion, 11230 Puivert 04 68 20 80 98
7) ensemble de vers qui présentent la même assonance (essentiellement les poèmes du Moyen-Âge, qui ne pratiquaient pas la rime). A l’origine, la laisse est une structure à l’intérieur des récits médiévaux en vers tels que les Chansons de Geste. Elle se compose de 4 à 30 vers de même longueur (souvent en décasyllabes) qui sont unis par une même assonance en fin de vers ; cela signifie que le dernier son vocalique est le même mais pas les consonnes qui sont autour. Il faut savoir que les « e » en fin de mot étaient prononcés (« oeu ») ainsi que certaines consonnes finales actuellement muettes.
8) www.louisa-paulin.org/VieEtOeuvre/CatherineGraissaguel.php