Des œufs dans la haie
Fleurissent l’aubépin
Voici le retour
Des marchands forains
Et qu’un gai soleil
Pailleté d’or fin
Éveille les bois
Du pays voisin…
Et voilà qu’arrivent Les Paladins !
Ces Paladins portent bien leur nom de scène : ils se consacrent au service de la musique baroque du XVII° et XVIII° siècle, avec la foi, la vaillance et l’efficacité de ces chevaliers errants devenus légendaires, nés dans l’empire romain, qui ont connu leur apogée sous Charlemagne et avec les Chevaliers de Table ronde, à l’époque des Croisades et aujourd’hui dans les jeux de rôle ou l’heroïc fantasy ; en tout cas, dans les chansons de geste. Dirigée de son clavecin par Jérôme Correas*, cela fera quinze ans en 2016 que cette phalange de gentes musiciennes et de preux musiciens parcourt le monde.
Les Paladins sont le dernier chef-d’œuvre que Jean-Philippe Rameau (1683-1764) compose en 1760, ultime flamboyance de l’esprit baroque français, délibérément placé sous le signe de la fantaisie et de l’imaginaire; que l’on retrouve aussi dans Orlando furioso de Vivaldi: rien d’étonnant donc à ce que le programme proposé rassemble ces deux immenses musiciens, d’autant plus si l’on sait que le premier nourrissait une admiration sans borne pour le second (1678-1741).
Première partie primesautière Les Indes Galantes (1735) de Jean-Philippe Rameau, dont certains contemporains disaient que c’était un pisse-froid, mais qui démontre ici le contraire ; brillamment. Un régal !
Emmanuelle de Negri**, qui remplace Sandrine Piau, au pied levé (même si elle n’est pas une inconnue pour Les Paladins), étonne de prime abord par sa facilité et sa puissance vocale: sa voix semble capable de briser le cristal, mais elle n’en abuse pas, elle passe avec aisance de la voix chantée à la voix parlée, au récitatif, joue avec le rubato, et est parfaitement à l’aise dans les parties jouées où l’on sent le goût du chef d’orchestre pour le théâtre. Avec son clavecin, celui-ci peut s’appuyer sur un excellente « section rythmique », contrebasse-violoncelle, Franck Ratajczyk et Nicolas Crnjanski, indispensable dans un quintette à cordes, en particulier pour les savoureux Rigaudons et Tambourins.
Savoureux Air pour les esclaves africains et Les Sauvages, ou danse du grand Calumet de la paix !
Après l’Air de l’Amour : « L’Amour est le dieu de la paix » d’Anacréon, « Air pour les fous gais , air pour les fous tristes , les gais se mêlent aux tristes », de Castor et Pollux, « Voici des dieux l’asile aimable », extrait de Platée; le récitatif puis l’air de la Folie: « Formons les plus brillants concerts… » et « Aux langueurs d’Apollon » préparent avantageusement à la seconde partie, consacrée au maestro Antonio Vivaldi.
Dans celle-ci, la lumineuse Juliette Roumailhac -qui répond avec verve et brio aux désirs de couleurs de Jérome Correas-, mais aussi l »autre violoniste Catherine Plattner et l’altiste Ellie Nimeroski, peuvent pleinement faire preuve de toute leur virtuosité: La Stravaganza, Mouvements 1, 2 et 3, les 12 sonates pour 2 violons et basse continue opus 1, La Follia, et final en apothéose avec le motet pour soprano et cordes « In Furore iustissimae irae ».
Ce dernier est l’un des motets pour soprano solo que Vivaldi composa pendant l’une de ses visites à Rome dans les années 1720. Son texte s’adresse directement à Dieu, de nature suffisamment générale pour pouvoir être utilisé dans la majorité des fêtes: l’’avantage d’un tel motet « per tempo ogni » (pour toutes les saisons) était d’être gratifiant autant pour le compositeur que pour l’interprète. Vivaldi ouvre avec un air orageux plein d’unissons et de descentes chromatiques, représentant la colère de Dieu suite au péché de l’humanité. Le deuxième et très bref mouvement se compose d’un appel à la clémence tandis que le troisième mouvement, qui est assez lent et lyrique dans le ton, se compose d’un plaidoyer de la chanteuse pour que le Sauveur adoucisse son cœur devant le repentir de ses péchés. Il se termine par une vigoureuse Alleluia pour équilibrer le motet.
Devant tant de fougue et de brillance, trois rappels sont demandés et obtenus par le public, dont cet aria de Rinaldo dont on peut dire selon le mot de Boris Vian que c’est un tube, Lascia ch’io pianga:
Lascia ch’io pianga
Lascia ch’io pianga mia cruda sorte, E che sospiri la libertà!
E che sospiri, e che sospiri la libertà!
Lascia ch’io pianga mia cruda sorte, E che sospiri la libertà!
Il duolo infranga queste ritorte de miei martiri sol per pietà,
de miei martiri sol per pietà.
E che sospiri la libertà!
Laisse-moi pleurer
Laisse-moi pleurer sur mon sort cruel et aspirer à la liberté !
Et aspirer à la liberté !
Puisse la douleur briser les chaînes de mon martyre, par pitié !
Et aspirer à la liberté !
Immortel Haendel !
Cette version d’Emmanuelle de Negri et des Paladins m’émeut profondément, et pourtant, c’est loin d’être la première que j’entends.
Après l’onirisme à la Raymond Devos du Cirque Plume, et avant les rencontres des Musiques baroques et anciennes du 5 au 20 mai, que nous attendons avec impatience, c’est déjà le printemps à Odyssud avec ces Paladins*** !
Ce n’est peut-être pas un hasard si la bella Italia (Sienne, Rome, Aquila, Turin etc.) va les accueillir à bras ouverts du 13 au 19 mars, avec ce programme Rameau-Vivaldi, mais aussi Le Roi danse.
Peut-être y entendront-ils au coin d’une ruelle ce madrigal de Monteverdi: O primavera, gioventù de l’anno, bella madre de’ fiori, d’erbe novelle e di novelli amori, tu ben, lasso, ritorni, ma senza i cari giorni de le speranze mie. Tu ben sei quella ch’eri pur dianzi, sì vezzosa e bella; ma non son io quel che già un tempo fui, sì caro a gli occhi altrui.
O printemps, jeunesse de l’année, Belle maman des fleurs, De l’herbe nouvelle et des nouvelles amours, Tu t’en reviens sans qu’avec toi reviennent Les calmes, les bénis moments de mes espoirs; Tu restes celle de jadis si gracieuse et belle, Mais je ne suis plus l’amoureux d’autrefois aimable aux yeux d’une autre.
En tout cas, je leur souhaite.
Quant à moi, je repars dans la nuit avec des échos colorés de ce beau concert et les vers de mon cher René-Guy Cadou:
…Est-ce le printemps
Qui cherche son nid
Sur la haute branche
Où niche la pie ?
C’est mon cœur marqué
Par d’anciennes pluies
Et ce lent cortège
D’aubes qui le suit
(Hélène ou le règne végétal, Paris, Seghers 1952)
E.Fabre-Maigné
10-III-2014
** Fasciné par la personnalité de l’artiste complet des XVIIème et XVIIIème siècles, capable de chanter, jouer d’un instrument, danser, jouer la comédie, Jérôme Correas oriente ainsi ses projets vers un esprit de théâtre musical résolument moderne qui s’inspire de cette polyvalence chère à l’époque baroque.
** Dirigée entre autres par Emmanuelle Haïm, William Christie, René Jacobs, Gabriel Garrido, Hervé Niquet ou encore Vincent Dumestre, elle allie à ses grandes qualités vocales un véritable talent de comédienne, pétillante et naturelle.
*** Les Paladins ont enregistré chez Arion, Pan Classics et Ambronay Editions: mention spéciale pour L’Ormindo, opéra de Francesco Cavalli, ainsi que pour Soleils Baroques, qui réunit des œuvres inédites de Rossi et Marazzoli.
En 2012 est paru, chez Naïve, leur disque « Le Triomphe de l’Amour », récital de Sandrine Piau autour de la musique française du XVIIIème siècle, qui a fait l’objet de concerts entre autres à la Galerie des Glaces du Château de Versailles.