Doña Francisquita d’Amadeo Vivès, un “tube“ parmi les zarzuelas, de retour au Capitole.
Qui va s’en plaindre ? Pour ces fêtes de fin d’année, un peu de gaieté et d’insouciance sur la scène du Théâtre du Capitole, cela ne pourra que faire du bien à tous. Donnée il y a plus de sept ans, déjà, ici même, elle nous revient dans une même production aux qualités reconnues, que ce soit pour la mise en scène de Emilio Sagi, ou pour les décors et costumes du couple Ezio Frigerio – Franca Squarciapino et les lumières d’Eduardo Bravo.
Josep Caballé Domenech assure la direction musicale de l’Orchestre National du Capitole, chef désormais rompu à la direction des plus grands opéras sur les scènes internationales, et faisant ses débuts à Toulouse. La chorégraphie, une réussite, est confiée à nouveau à Goyo Montero. Artiste admiré comme l’un des plus significatifs de la danse espagnole, il crée des chorégraphies pour d’innombrables zarzuelas un peu partout en Espagne et dans le monde. Et quand on sait l’importance de la danse dans une zarzuela…
1923, Vivès réussit là une évocation lumineuse, heureuse et touchante du Madrid du XIXè siècle écrivant une musique gorgée de parfums, de jeunesse et de vie. Ni opéra dont elle fut très proche à sa naissance, ni opérette, avec ses trois siècles d’histoire, tout de même, la zarzuela dite “grande“ du fin XIXè – début XXè est un “mix“ entre zarzuela et opérette, qui se contente de brosser de savoureux tableaux de la vie madrilène. Doña Francisquita en est un savoureux exemple. Mais la Guerre civile de 36 se chargera de signer, en quelque sorte, son arrêt de mort dans la création.
Quelques autres éléments de cette production :
– La soprano Elisandra Melián est Doña Francisquita, “cousine“ de Norina d’un certain Elixir d’amour
– La mezzo-soprano Clara Mouriz est Aurora, la Beltrana, sa rivale
– Les deux amoureux de service, et complices, sont le ténor Joel Prieto ou Miguel Angel Lobato dans le rôle de Fernando Soler et, Jesus Alvarez, autre ténor dans le rôle de Cardona
– La mezzo-soprano Pilar Vazquez sera la mère Doña Francisca, qui a un faible, pour les jeunes gens
– Le baryton Leonardo Estévez est le libidineux Don Matias, père de Fernando, qui a un faible, pour les jeunes filles
– Le baryton César San Martín est Lorenzo Pérez, “patron“ de « La guinguette du Manchego »
– Marga Cloquell est Irène, amie d’Aurora, qui compte les points
– Pablo Garcia Lopez ténor, est El Lanador, le raccomodeur et El Sereno, le veilleur de nuit
Les Chœurs du Capitole placés sous la direction d’Alfonso Caiani
La Zarzuela : Aucun type d’ouvrage lyrique ne semble plus caractéristique de l’Espagne moderne que la zarzuela dont la longue et fort honorable histoire s’étend sur près de trois siècles, qui ne peut se résumer ici, mais histoire tout à fait captivante. Son nom est bien dérivé des Fiestas de Zarzuela, qui furent écrites au XVIIè siècle par des dramaturges comme Lope de Vega, Calderón, en collaboration avec des musiciens attachés à la Cour royale. Les représentations avaient lieu au palais royal de la Zarzuela, près de Madrid, sorte de pavillon de chasse, très prisé du roi, entouré de fourrés sauvages, de petits buissons de ronces, d’où le terme de zarzuela, de zarza, buisson. La première pièce baptisée ainsi et dont le texte soit arrivé jusqu’à nous, serait de Calderón, Le Laurier d’Apollon, Calderon dont l’épouse était la maîtresse du roi… ! pièce écrite en l’honneur de la naissance en 1657 d’un fils de Philippe IV, issu de son second mariage avec Marie-Anne d’Autriche, fiancée au départ de son fils, décédé à …16 ans ! Attention, anecdote ! Fils qui était aussi le frère de Marie-Thérèse, future épouse de Louis XIV !! seule rescapée des huit enfants de la première épouse, et ainsi héritière des immenses possessions espagnoles. Elle épouse le futur Louis XIV, à Saint-Jean de Luz comme chacun sait, sans qu’ils se soient vus auparavant. A part un portrait peu avantageux de Velasquez, mais qui ne l’a pas découragé – territoires obligent. Seul vœu de l’entourage du roi : savoir si elle était blonde…Enfin, la zarzuela avait de fervents supporters à la Cour, et là était bien l’essentiel. Et tout ça, à partir de l’histoire de la zarzuela.
Toutes les zarzuelas se caractérisent par l’usage qu’elles font des chants et des danses populaires. Sachez qu’elles existent par centaines, plus de quinze cents pour les zarzuelas “chico “ en un acte, concurrentes des “grande“ et que si Madrid est le PHARE, nombre d’entre elles se chargent d’introduire, qui la chotis, qui la parranda, ou la jota aragonesa, et bien sûr le fandango qui va soulever le Capitole, puisque c’est la danse présente dans le dernier acte de Doña Francisquita. C’est très rare qu’elle ne soit pas…“bissée“ !! Sous le nom générique, vous pourriez danser sur la malagueña, de Malaga, ou la rondeña, de Ronda, la granadiña, de Grenade, etc…
Une des dernières écrites (1930) s’intitule La Rosa de Azafrán dans laquelle on retrouve une version lente de la seguedilla manchega, air et danse populaire qui ont toujours symbolisé le pays de Don Quichotte.
Doña Francisquita est communément considérée comme le chef-d’œuvre d’Amadeo Vives. C’est votre avis ? :
Totalement ! C’est son œuvre maîtresse et l’une des meilleures de tout le répertoire de la zarzuela. Dans cet opéra, nous trouvons tous les caractères du género grande. Ce n’est pas pour rien que c’est la zarzuela la plus représentée en Espagne et à l’étranger. C’est aussi le titre préféré, dans le genre, de grands ténors lyriques comme Alfredo Kraus, Placido Domingo, José Bros et Ismaël Jordi. Avec le personnage d’Alfredo, ils ont un rôle qui les met en lumière, difficile certes mais extrêmement valorisant, un rôle qui contient l’une des plus belles romances du théâtre lyrique espagnol : « Por el humo se sabe donde està el fuego. » Une des réussites d’Amadeo Vives est précisément ce savant équilibre entre les plus ambitieuses pages lyriques et les morceaux qui dessinent l’ambiance populaire et propre au Madrid romantique.
Propos recueillis auprès de Josep Caballé Domenech par Robert Penavayre
Quelques mots d’Emilio Sagi, metteur en scène :
Avec sa partition de Doña Francisquita, le maestro Vives peint un Madrid romantique et festif, qui n’a probablement jamais existé tel qu’il le représente dans cette zarzuela. On y disait par exemple que la reine Isabelle s’échappait en secret du palais royal pour aller assister à quelques fêtes nocturnes populaires…
Ce Madrid-là, peuplé de jeunes élégantes, de « manolas », de jeunes galants, de danseuses, de gens qui sortaient dans la rue en habits de théâtre… C’est tout ce Madrid-là que j’ai cherché à refléter dans cette production de Doña Francisquita, un Madrid éblouissant de blancheur et, en même temps, plein de couleurs pour chacun des personnages qui le peuplent. Un Madrid qui, je l’ai dit, n’aura peut-être jamais existé tel quel, si ce n’est dans l’esprit de Vives, ce musicien catalan qui a su rendre palpable comme personne, ni avant ni après lui, l’âme de cette ville romantique.
Propos recueillis par Jean-Jacques Groleau, dramaturge au Théâtre du Capitole
Michel Grialou
Doña Francisquita – Amadeo Vivès
Théâtre du Capitole
du 21 au 31 décembre 2014
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