Concert Sarah Iancu violoncelle et David Bismuth piano
Espace Croix Baragnon mardi 4 Novembre
Pouvoir écouter de la musique de chambre à Toulouse dans un cadre ayant une bonne acoustique, n’est pas chose aisée. Bien des détails se perdent et se brouillent à la Halle aux Grains, ainsi même aussi qu’aux derniers rangs de Saint-Pierre des Cuisines, sans parler d’Odyssud vraiment pas conçu, pour cela.
Non décidément c’est à la Salle Bleue, dans le cadre de ses rendez-vous du mardi en fin d’après-midi, inventés par notre magistral lutin Xavier Darasse, et ressuscités avec passion par Alain Lacroix, que l’on peut à la fois découvrir de nouveaux interprètes et entendre les chefs-d’œuvre de ce genre, dans un bel écrin chaud et vibrant.
La jauge intime, la disposition de la salle avec ses piliers aussi célèbres que ceux des Jacobins, un très bon piano bien réglé, tout concourt au plaisir du spectateur.
Et le concert d’ouverture de la saison s’il ne proposait pas de découvrir de nouveaux interprètes, donner à entendre un programme imaginatif et cohérent autour de la musique française autour du début du vingtième siècle.
Bien sûr Sarah Iancu, notre Sonia Wieder-Atherton toulousaine, violoncelle solo à l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, nous est connue et reconnue, et admirée profondément.
Elle aime beaucoup la musique de chambre et forme avec son complice David Bismuth, de plus en plus accompli, un duo superbe et pérenne.
Après nous avoir fait découvrir des musiques « juives » de Bloch, Bruch, Chostakovitch, Ravel, Laks, ce duo a voulu célébrer des musiques de compositeurs français (c’est un grand honneur de nationaliser Franck !), depuis 1880 (Fauré) à 1915 (Debussy).
À part quelques pièces pas très signifiantes (Theodore Dubois, bien détesté d’ailleurs par Debussy, Saint-Saëns dans une œuvre mineure de simples arrangements de mélodies du Japon, alors qu’il a laissé de magnifiques pages pour violoncelle) mais nécessaires pour donner un large panorama de la musique française vers 1900, le programme comportait des morceaux de bravoure : l’Élégie de Fauré jouée de façon émouvante, pénétrante et lyrique, les deux pièces de Ravel, Pièce en forme de Habanera (1907), vocalise transcrite pour violoncelle et piano et surtout le poignant Kaddish (1914) qui forment avec l’Énigme Éternelle ses deux mélodies hébraïques, et qui ici est transcrit pour violoncelle et piano.
Les qualités de chaleur, d’humanité, de tenue du chant, d’intensité lyrique, du violoncelle de Sarah Iancu et de l’écrin du piano subtil de David Bismuth auréolent d’émotions ces morceaux.
Mais les deux sommets de ce récital ont été la très belle Sonate pour violoncelle et piano de Debussy, la première sonate s’inscrivant dans un projet de six sonates qui n’aboutit pas suite au décès du compositeur en 1918. Apothéose de la musique française, sorte d’hommage à la fois à la musique classique française, celle de Rameau et de Couperin, et aussi hommage à Verlaine. C’est aussi un embarquement pour Cythère avec une mélancolie profonde, au milieu de sarcasmes comme dans le second mouvement.
Le violoncelle a un rôle prépondérant et Sarah Iancu a su rendre toutes les facettes de cet épanchement de Debussy, déjà très malade, et qui se souvient une dernière fois de son Espagne imaginaire, qu’il n’aura, comme son rival Ravel, jamais vu.
Virtuose, fantasque, parfois sombre, Sarah Iancu a merveilleusement servi ce haut chef-d’œuvre.
Et puis la transcription de la Sonate pour violon et piano, (1886), de Franck, pour violoncelle et piano, approuvée par le compositeur en 1888, parachève ce concert en majesté.
Certes dans ce nouveau climat plus sombre dû au violoncelle, la partie piano étant inchangée, on s’éloigne un peu de la Sonate de Vintuel chère à Marcel Proust, mais on y gagne une profondeur plus grande.
Sarah Iancu et David Bismuth ont su nous captiver dans ce long fleuve de près d’une demi-heure dans ses quatre mouvements, avec ses ressacs, ses élans, ses redites cycliques, sa profusion de thèmes roulants comme houle au vent, ses mystères.
Ici les deux solistes sont à égalité. Ils le furent aussi en émotions, tension et générosité.
Un grand équilibre, une grande plénitude, se dégage de leur interprétation, qui sait aussi se laissait emporter aussi bien par la méditation profonde souvent présente, que par l’emportement passionné parfois. Beaucoup de poésie, de sérénité aussi, de profondeur de chant, marquent leur belle interprétation. Tout est ici passion et intensité.
Un public fourni et enthousiaste a exigé un bis qui fut à nouveau la Pièce en forme de Habanera de Ravel. Belle conclusion !
Ainsi s’ouvre en majesté la saison de musique de chambre de l’Espace Croix-Baragnon, à laquelle il faut accourir.
Gil Pressnitzer