Il y a la ville historique de Samarkande*, en Ouzbékistan, carrefour sur la Route de la Soie et lieu de synthèse des cultures du monde entier, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO*. Elle a beaucoup fait rêver Marco Polo**, même si, apparemment, il n’y a pas séjourné**.
Il y a le roman Samarcande, de l’académicien franco-libanais Amin Maalouf, publié en 1988, qui évoque la vie du grand poète et libre penseur persan Omar Khayyam, actuellement menacé de censure pour obscénité par le Ministère de l’Education turc.
Il y a La Maison dorée de Samarkand, une des aventures de Corto Maltese, le héros d’Hugo Pratt.
Il y a l’Hôtel Samarkand, 22 Lansdowne Crescent dans Notting Hill, où Jimi hendrix aimait descendre lorsqu’il venait jouer à Londres.
Et puis, maintenant il y a un groupe de musiciens « toulousains » inspirés qui ont fusionné leurs univers musicaux, pour nous faire rêver.
Un groupe qui devrait plaire au Maestro Jordi Savall qui a toujours prôné que la musique soit un instrument de médiation pour la compréhension et la paix entre les peuples et les différentes cultures parfois opposées, par son degré d’intensité intérieure et d’humanité.
Cet Hôtel Samarkand où nous invite Jiang Nan et ses complices, c’est une étape idyllique sur une route de la soie partant de la Chine et imaginée en sons: des mélodies hans, mongoles, ouïgoures, tibétaines, kazakhes, persanes ou turques, où se mêlent influences taoïstes bouddhistes ou musulmanes.
Jiang Nan***, chant, compositions et arrangements, est une des rares spécialistes en France de la cithare guzheng à 21 cordes; elle a connu la formation exigeante des grands conservatoires de Chine populaire et les scènes démesurées surmontées de longues banderoles rouges frappées d’idéogrammes blancs.
On la connaît virtuose de la cithare chinoise, qui a joué sur de nombreuses scènes de la Région, y compris le Théâtre du Capitole où elle brillait de tous ses feux, avec l’Orchestre baroque des Passions, dans Mirage des Sons du Sud, lors d’une précédente édition de Made in Asia.
On l’a découvre chanteuse envoutante, comme lorsqu’elle repend une composition de la « diva » tibétaine Yungchen Lhamo****.
Cette jeune femme frêle qu’on imagine vêtue d’un kimono bleu sortie d’une aquarelle de la dynastie Song (1082~1135) se révèle une musicienne contemporaine dans son fourreau rouge qui met en valeur sa chevelure de jais; elle maitrise de manière sidérante ses instruments que l’on devine nécessitant de longues années d’apprentissage. Et on sent bien qu’elle impulse cette belle « machine à rêver », à partir de son répertoire traditionnel mais aussi de ses compositions.
Le percussionniste Paco Labat est aussi étonnant que la manière dont il utilise ses percussions, des instruments orientaux, deux grands bendirs ou dafs, disposés comme les toms, et la darbouka, comme la caisse claire, d’une batterie traditionnelle; avec en plus des clochettes et des cymbales, il bâtit avec finesse mais assurance les fondations de la musique de ce groupe.
Quant à Auguste Harlé, le violoncelliste, passé par le Conservatoire de Saint-Brieuc et Music’Halle, l’Ecole des Musiques vivaces de Toulouse (où il s’est encanaillé, comme dit sa biographie), il ajoute avec éclectisme des mélodies profondes en accord avec les compositions de Jiang Nan.
Thierry di Filippo*****, luthiste et guitariste au long cours, qui utilise aussi le spacedrum, très à l’écoute des autres musiciens, en particulier de Jiang Nan, intervient de manière très juste et toujours lumineuse; il apparait très heureux dans cette formation, même si, à mon goût, il pourrait y donner davantage libre cours à son grand talent. Mais ses soli sont des moments de pur bonheur.
Ce récital coule comme L’eau du ruisseau, Sous le vent blanc, de Pondichery à l’Irlande, des Frontières de l’Est à celles de l’ouest… C’est une Rapsodie en rouge dont la fantaisie sied bien à l’onirisme.
C’était le 13 et le 14 février 2014, dans le cadre du festival made in Asia, à la Salle Bleue de l’Espace Croix-Baragon qui a retrouvé ce soir-là des vibrations exceptionnelles, comme par le passé avec Madredeus, Gilles Vignault, Gilles Servat et Dan Ar Braz, Vicente Pradal ou le barde kurde Temo…
Il faut maintenant que ce récital soit enregistré et qu’Hôtel Samarkand prenne la route pour aller faire rêver d’autres publics enthousiastes sous d’autres cieux******. C’est tout ce qu’on leur souhaite en ce début d’année. Ainsi que le bonheur de deux heures en apnée onirique à leurs auditeurs: nous avons tellement besoin de beauté en ce début de XXI° siècle!
Kénavo comme disent les Bretons, bonne route!
E.Fabre-Maigné
*Fondée au VIIe siècle avant l’ère chrétienne sous le nom d’Afrasyab, Samarkand connut son apogée à l’époque timouride, du XIVe au XVe siècle. Les principaux monuments comprennent la mosquée et les médersas du Registan, la mosquée de Bibi-Khanum, l’ensemble de Shah i-Zinda et celui de Gur i-Emir, ainsi que l’observatoire d’Ulugh-Beg…
**Samarcande est une très noble et grandissime cité, où se trouvent de très beaux jardins et tous les fruits qu’homme puisse souhaiter. Les gens y sont chrétiens et sarrasins. Ces jardins appartiennent au neveu du Grand Khan…
Marco Polo (1255-1324) Le devisement du monde, Le livre des merveilles (Tome I), éditions FM/La Découverte
****Yungchen Lhamo est une chanteuse tibétaine vivant en exil à New York. Son nom de « déesse de la mélodie et du chant » lui a été donné par un lama à sa naissance au Tibet près de Lhassa. Elle travailla dès l’âge de 5 ans dans des fabriques de tapis.
Elle s’est enfuie du Tibet en 1989 en traversant l’Himalaya à l’âge de 23 ans. Elle se retrouve dans un premier temps dans des camps de réfugiés tibétains en Inde. Elle fit un pèlerinage Dharamsala pour rencontrer le Dalaî-Lama et recevoir sa bénédiction. Elle décida de voyager à travers le monde grâce à sa musique pour partager sa culture et informer le public au sujet du Tibet. Elle s’est installé en 2000 à New York. Sa voix lui permettant de chanter la cause tibétaine, elle se fait remarquer sur la scène internationale et devient l’une des porte-voix les plus connues de la cause tibétaine et de la culture tibétaine en Occident.
Elle chante sans accompagnement dans la majorité de ses prestations scéniques, mais elle s’est également produite sur scène avec des artistes tels que Peter Gabriel, Annie Lennox, Smashing Pumpkins, Sheryl Crow etc., donnant d’autant plus d’audience à sa tradition. Sa renommée internationale lui a permis de créer la Fondation de bienfaisance Yungchen Lhamo, une organisation sans but lucratif voué à l’amélioration du bien-être des Tibétains dans le besoin. Grâce à l’action caritative directe, la Fondation améliore la vie des femmes et des enfants qui sont en grave besoin de nourriture et de vêtements, prothèses, et de la médecine. La Fondation aide également les réfugiés tibétains dans le monde entier avec des fournitures de secours, partout où ils sont nécessaires.
Basé à New York, la Fondation s’engage dans des activités de sensibilisation locales avec la communauté, qui incluent le chant sacré et des ateliers de méditation.
The Yungchen Lhamo Charitable Foundation PO Box 3834 Kingston NY 12402 USA
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