L’ouvrage fait son retour sur la scène du Théâtre du Capitole près de trente ans après la dernière production qui, je l’avoue, ne m’a pas laissé grand souvenir ! C’est donc dans une nouvelle production que l’ouvrage nous revient menée par Vincent Boussard avec notamment de somptueux costumes du couturier Christian Lacroix, et les décors de Vincent Lemaire. « Le dispositif créé joue totalement la carte de cette Espagne du XIVè et de ses passions, tout en laissant toujours assez de champ pour que l’imaginaire des spectateurs puissent fonctionner.» La direction musicale est assurée par le chef italien Antonello Allemandi armé d’un large répertoire qui l’a conduit dans la fosse des plus grandes scènes internationales de l’art lyrique. Il fait ses débuts in loco au Capitole.
Véritable apologie de l’amour romantique, cet opéra en quatre actes de Gaetano Donizetti, est créé à Paris le 2 décembre 1840 dans sa version originale française. Pour mémoire, Donizetti a quitté Naples après la censure entravant les représentations de son Polyeucte (Poliuto). S’installant à Paris, il écrit pour l’Opéra-Comique en 1838, La Fille du Régiment tout en poursuivant l’adaptation de son Poliuto rebaptisé Les Martyrs. Pour son nouvel opéra, le compositeur s’est inspiré du drame de Baculard d’Arnaud, Le Comte de Comminges. Le livret est de Alphonse Royer et Gustave Vaez. L’ouvrage aura un certain succès au XIXè et fut donné tout d’abord en trois actes sous le titre de L’Ange de Nisida. Donizetti le reprendra pour ajouter un quatrième acte et le présenter ainsi remanié, avec l’aide de Scribe, sous le titre que nous lui connaissons, même si d’autres lui seront encore attribués ! Une généalogie bien complexe pour l’un parmi les soixante-dix opéras du natif de Bergame.
Si l’on résume au maximum, l’action se déroule en Espagne au XIVè siècle. Scribe s’appuie sur une histoire véridique, celle du roi Alphonse qui régna vingt ans avec deux reines à ses côtés. Le moine Fernand, que son supérieur Balthazar désigne comme son successeur, est obsédé par la vision d’une femme d’une grande beauté. Il fuit son monastère, s’engage dans l’armée, guerroie, et devient un héros au fil des combats. Cette femme aperçue, cependant, n’est autre que Léonore de Gusmann, la favorite du roi de Castille, Alphonse XI. En récompense octroyée pour sa bravoure, Fernand demande au roi la main de Léonore. Mais celui-ci, sous menace d’excommunication, a dû rompre avec sa maîtresse, et il accède à ce désir…Tout en lui cachant que Léonore est sa favorite…Les courtisans ne manquent pas de railler Fernand, et avec l’arrivée de Balthazar le drame commence…
La distribution nécessite des “gosiers de légende“. Ainsi, Alphonse XI, c’est Ludovic Tézier, somptueuse voix de baryton, qui endosse le rôle du premier emploi authentique dans l’opéra français pour ce type de voix. Le raffinement caractérise ce personnage, roi et amant encore dans la force de l’âge, qui impose un modèle de chant aristocratique, le point fort justement de L. Tézier.
A côté de la reine légitime, Marie du Portugal, l’illégitime, c’est la mezzo américaine Kate Aldrich, artiste de caractère reconnue et pour sa voix et pour ses talents de comédienne. Elle a pour amant fougueux donc, Fernand, jeune capitaine, qui représente l’idéal d’amour courtois, de courage et de vaillance cher aux romantiques prêt à tout et donc, au désastre. (Ici, le ténor chinois Shi Yijie remplaçant Saimir Pirgu). Le Théâtre fait entière confiance au ténor qui devait auparavant dans la première distribution vocale s’attacher au rôle de Don Gaspar. Mais ce jeune chanteur brûle les étapes et a déjà un parcours assez surprenant puisque pour cette saison, il aborde Nemorino de L’Elixir d’amour à La Fenice, Canio du Paillasse à Pékin, …L’écriture vocale qui lui est réservé exige un haut médium très robuste, avec beaucoup de vaillance mais teinté de raffinement. Quelques contre-ut sont là pour faire frémir un brin l’assistance !!
Remercions par avance le Théâtre de nous offrir la version française, la, et même, les versions italiennes faisant appel à des partitions dénaturant tellement la version originale, en sachant, de plus, que Donizetti n’a jamais été consulté pour leur élaboration.
Quelques mots de Christian Lacroix qui ne vont pas manquer d’attiser une curiosité déjà particulièrement enflammée :
« Première collaboration avec le Capitole de Toulouse, ce que je considère comme un honneur – et un bonheur ! Et avec Donizetti donc, et Vincent Boussard. Nous travaillons ensemble depuis une quinzaine d’années mais chaque production, chaque scène est une nouvelle approche, un autre univers à créer, comme ces planètes qu’on s’invente, enfant, entre fantasme et réalité.
Enfant, travailler pour le théâtre a été le premier projet que je me suis imaginé pour mon avenir d’adulte.
Souhait exaucé après un détour de trente ans du côté de la couture, qui est un autre théâtre et qui m’a mené à bon port finalement après des années de « double vie » entre scène et mode. Ceux qui n’aimaient pas mon travail de couturier le qualifiaient de théâtral, d’opératique, et j’en étais fier. Vincent Boussard a, je crois, été sensible à ce va-et-vient entre robes et costumes, chair et matières, corps, voix et illusion. Et je tâche, pour chaque spectacle, de me fondre dans son monde, dans son rêve, afin d’illustrer son imaginaire, en l’écoutant attentivement raconter l’opéra, dérouler ses intentions, et nous nous retrouvons à mi-chemin : il devient de plus en plus couturier, je deviens un peu plus homme de théâtre. Pour cette Favorite, il m’a indiqué comment lui apparaissait chaque caractère, dans quelles gammes de couleurs il voyait les groupes de filles ou de courtisans, dans quels tissus il espérait les moines, etc.
J’ai besoin de savoir aussi dans quel décor, préparé auparavant avec Vincent Lemaire, il imagine que ces personnages s’incarneront par le geste et la musique, avec les lumières de Guido Levi qui viennent donner au final le souffle, l’éclat et les reliefs définitifs, quand tout prend corps.
Nous aimons mêler allures historiques et dégaines modernes, superposer ou juxtaposer pourpoints et parkas, chausses et jeans, ceinture de biker et crinolines, pour tâcher de produire un espace-temps particulier, celui de l’œuvre mise en scène, une intemporalité qui est celle du compositeur.
Pour cela j’ai aussi besoin de connaître les silhouettes de chacun pour les aider au mieux à correspondre au théâtre mental de Vincent et à entrer dans les rôles tels qu’il les définit, tout en procurant confort, légèreté, confiance. Nous avons donc choisi des matières plutôt brillantes mais toutes en subtilités, comme tous ces satins « duchesse » ou « cuir » en voie de disparition, hélas, aux couleurs vives et primaires, ou acides, des taffetas changeants comme dans les toiles du Greco, des damassés aux tons d’encres ou de noir profond. Ensuite interviendront les divers ateliers du Capitole, la patine, le traitement que l’on donnera à chaque étoffe pour la rendre unique, les vaporisations, irisations, dégradés, superpositions etc., qui, comme pour un tableau, devront donner sa cohérence au spectacle. Une fois ces bonnes intentions édictées, il n’y « a plus qu’à ! »
C’est donc le moment aussi de mettre en avant tous les métiers du Théâtre du Capitole, avec tous les artistes qui travaillent sur la création d’une nouvelle production, pour les décors, les costumes et les lumières comprises. On ne pourra donc qu’être enthousiaste avec le spectacle de La Favorite. On n’oublie pas non plus tout ce qui, maintenant, tourne Autour d’une Production – Conférence, les Ficelles du spectacle, Ateliers d’écoute, Parlons-en, …
Michel Grialou
Théâtre du Capitole – du 6 au 19 février
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