Alice traverse le miroir, la Belle traverse son armoire.
Pas de reine de cœur ni de roi blanc, mais des doudous transformés en bestiaire fantasmagorique. Surtout le rouge, le préféré de la Belle (Julie Loria, enfantine, légère, presque transparente).
Ce sont alors des centaures à croupes et queues devant, des grues étranges – certaines d’entre elles sont des danseurs travestis, des queues – de pies, de couleuvres, de cobras.
Danse de symboles à peine masqués.
Il y a là le Marlou, faucheux en costume mafieux flanqué de ses deux autruches, qui tente d’engluer la Belle dans ses longues pattes (belle performance de Jérémy Leydier et de ses béquilles). Le Cygne et le Vautour, robe fluide et redingote décharnée, beauté et laideur, amour et mort, Eros et Thanatos que tire la Bête en fardeaux sur sa longue peau hirsute.
Le Toroador, Escamillo en habit de lumière et strass très moulant qui fait le beau devant sa cuadrilla bizarre et tente de violer la Belle (solo athlétique de Kazbek Akhmedyarov, qui en perd presque l’équilibre). Mais ces bêtes-là ne sont que des caricatures.
La Bête très humaine [1], très belle, torture son corps parfait et son beau visage dans des contorsions, chocs et grimaces qui sont autant de plaintes, d’appels. Takafumi Watanabe donne corps et cris à une époustouflante incarnation, violente et sensuelle, du désir.
Mais l’armoire a son autre face, celle du vrai monde, avec ses conventions bien habillées et boutonnées jusqu’au cou. Ici les animaux obéissent à l’homme et doivent anéantir les Bêtes lorsque sonne l’hallali. Quelques longueurs dans cette partie plus convenue. Jusqu’à ce que la Belle choisisse de se dépouiller de ses oripeaux comme il faut et de se retrouver nue, comme la Bête, pour une magnifique union charnelle, tel le Sacre de deux Elus. Le printemps de la belle, éclose au pied de son armoire. Elle n’a plus besoin de doudous, elle danse avec le costume fantastique de la Bête.
[1] Kader Belarbi, note d’intention, La Bête et la Belle, programme de salle du Ballet du Capitole, octobre 2013
Photos © David Herrero
Théâtre du Capitole, 29 octobre 2013
Le ballet filmé en direct par France 3
Une chronique de Una Furtiva Lagrima