On consultera auparavant ma rubrique annonçant ce spectacle.
Premières réactions à chaud, ou presque ! Vous excuserez donc les petites imperfections et oublis ! Après un début fracassant de saison en 2012-13 avec Rienzi, bis repetita, cette saison 2013-14 avec Manon. Au vu des réactions, le public ne s’y est pas trompé. Plusieurs tunnels non pas dans le spectacle comme les allergiques à Massenet le disent, mais des tunnels sans un seul raclement de gorge et autres bruits polluants divers. Du religieux du vrai, mieux qu’à Saint-Sulpice. Et une ovation après ce cri déchirant de Des Grieux sur le corps sans vie de Manon, cri libérateur des émotions contenues jusque là.
Sincérité et urgence du couple Nathalie Dessay-Charles Castronovo qui fonctionne parfaitement, me semble-t-il, complètement crédible de bout en bout, dès l’apparition de l’un comme de l’autre. La silhouette de l’une, son investissement et le chant au registre clair de bout en bout maîtrisé, tous ces sons émis au plus juste dramatiquement s’accordent au chant généreux et si bien contrôlé du ténor à l’ardeur juvénile dont le physique ne pouvait que faire fondre la petite Manon, et lui faire fuir le chemin du couvent. Dans le « Rêve », les demi-teintes ont été fort belles. Et si j’osais, je dirais que la scène à Saint-Sulpice fut une magnifique leçon de “drague“ !! Comment résister, et aux gestes, et à la voix !!
Autour du couple phare, on remarque d’entrée le Lescaut plus que satisfaisant du jeune Thomas Oliemans, un noble Comte des Grieux presque suremployé avec Robert Bork – on dirait un Germont – mais on ne va pas s’en plaindre. Luca Lombardo et Marc Canturri en respectivement Guillot de Morfontaine et Bretigny, participent à la réussite, de même que tous les autres rôles présents. Et comme les deux premiers rôles, on entend et on comprend le français, atout considérable.
Les chœurs, très sollicités sont comme à l’habitude sans reproche de même que l’orchestre sous la direction de Jesus Lopez-Cobos qui a su rendre l’esprit si particulier de la musique de Massenet qui réclame ici légèreté – n’oublions pas que les “cocottes“ se surnomment Poussette, Javotte, Rosette – et drame. Car Manon, c’est d’abord une histoire bien triste.
Pour ce qui est du metteur en scène Laurent Pelly et de sa troupe, merci d’avoir pensé, par force ! je pense, à tous les publics des étages car il semble bien que certains décors auraient été tronqués sérieusement, ou même pas aperçus. Mais l’inconvénient de ne pas pouvoir transposer tous les décors prévus pour le Met, Covent et la Scala, curieusement, se retourne à leur avantage. La réduction aux dimensions de la scène du Capitole a été plus que bénéfique, et pour la mise en scène, et pour les déplacements des choristes et des figurants, et pour tous les protagonistes. On sait qu’ailleurs que l’accueil dans ces grandes salles avait été plutôt “frisquet“, le mot est peut-être faible.
Mais ici, la transposition à la fin XIXè ne semble pas déranger, passe fort bien, les décors même s’ils n’ont pas soulevé l’enthousiasme n’ont pas fait sourciller. Il y a de très beaux moments de mise en scène et le côté volontairement dépouillé de la scène finale en rajoute dans l’émotion. Place nette pour la tragédienne Dessay qui n’a besoin de rien pour rendre ce duo final pathétique. Si, besoin d’un De Grieux à la hauteur. Castronovo l’est.
Cela devait être bien plus complexe à gérer sur ces autres immenses ouvertures et profondeurs de scène. On peut toutefois remarquer le raffinement des costumes, peut-être pour en rajouter dans les contrastes ? Si c’est le but, c’est réussi !
Finalement, cette Manon a ravi un public heureux de retrouver Nathalie Dessay, heureux de la retrouver dans une production réussie, heureux d’applaudir à tout rompre, sans chichi, heureux de se dire, qui sait ? ce n’est peut-être qu’un faux-départ , ou une fausse sortie ! On le sait, l’artiste a besoin de se consumer sur scène, soit. Mais il m’étonnerait qu’elle puisse se passer de cette ferveur si caractéristique du public des salles d’opéra. Il suffirait de quelque directeur de salle, quelque metteur en scène, quelques partenaires à la scène pour la convaincre que des moments aussi intenses de théâtre ne peuvent être enfouis et se dissiper ainsi.
« En musique, on ne vient jamais à bout du détail », dit-elle. Justement, ce n’est pas le moment de dire : assez.
Un commentaire de Laurent Pelly à connaître
Les costumes sont plus une allusion au siècle de Massenet qu’à celui de Louis XV ?
Avec Chantal Thomas, la scénographe, nous avons travaillé sur un certain nombre de photos, notamment pour l’épisode du Cours-la-Reine. Je me suis attaché à faire disparaître l’aspect kitsch du début avec ses marchands ambulants, pour présenter une espèce de fête orgiaque, dans laquelle il y a beaucoup d’hommes et très peu de femmes. Comme je le disais, quand on regarde lesphotos anciennes, les représentations picturales de la fin du XIXe siècle, on est frappé par la noirceur des foules en chapeaux hauts-de-forme où la présence féminine est très rare, très légère. Ce qui me plaît presque le plus dans Manon, c’est cette forme narrative quasi cinématographique. Pour moi, le sommet de l’œuvre est la partie qui se déroule à Saint-Sulpice, où l’on est dans un grand film sentimental. Je trouve cette partie très moderne. La grande scène entre Manon et le Chevalier des Grieux est pleine de cette sensualité qui s’ajoute à d’autres caractéristiques du grand opéra et évoque le « grand » cinéma. Quand on met en scène Manon ou Cendrillon, on peut véritablement se reposer sur la musique, qui est faite d’indications de mouvement presque cinématographiques : on y trouve par moments l’idée de gros plans, l’idée d’un regard qui se détourne, l’idée d’un pas hésitant, bien sûr aussi l’idée d’un baiser, d’une tendresse. La mise en scène est presque tout le temps indiquée par la musique. Ce principe ne fonctionne certes pas dans tous les ouvrages. J’ai découvert cette dimension en mettant en scène Cendrillon. Quand je parle de mouvement, je veux parler d’un mouvement de tête, d’un regard, de divers éléments que je trouve très inspirants. L’immense duo de la scène à Saint-Sulpice est en ce sens merveilleux. On peut observer tout ce qui se passe dans la tête du personnage, comment elle essaie de récupérer son Chevalier, comment elle est à la fois sincère et hypocrite, comment elle parvient à ses fins ou bien par amour propre ou bien par véritable amour, par excitation sexuelle ou par peur d’être abandonnée. Tout cela est dans la musique. Le mouvement découle toujours de la musique.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole jusqu’au mardi 15 octobre
photos : Patrice Nin
.
.