Ma grand-mère disait : C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures.
La « trêve estivale », le spectacle vivant se mettant au vert, m’a permis de faire un retour en arrière dans la saison passée, avec deux concerts de « musiques anciennes », que je n’avais pas eu le temps de chroniquer, mais qui le méritaient. Et qui se rejoignaient dans mon imaginaire, ce qui n’est pas un hasard.
D’abord, le Don Quichotte des Sacqueboutiers à Odyssud, et ensuite les Chants sacrés et profanes des pays d’Oc de Renat Jurié et Jean-Pierre Lafitte à l’Ostal d’Occitania.
Concernant le premier, disons tout de suite que le texte de Miguel De Cervantes* (1547-1616) était réduit, à mon grand regret, à sa portion congrue et rappelons que son influence dans la littérature universelle fut telle que l’espagnol est souvent nommé la « langue de Cervantes ». Voulant ajouter une dimension visuelle, ces excellents musiciens toulousains avaient invité des marionnettistes (à moins que ce ne soit les marionnettistes qui les aient invités ?). L’idée était originale. Précisons aussi qu’il ne s’agissait pas d’un spectacle pour enfant, même si des marionnettes et des marionnettistes occupaient la scène. La marionnette, plus grande que nature de Don Quichotte était magnifique et impressionnante, avec une structure métallique qui évoquait bien sûr son amure ; et elles n’étaient pas moins de quatre pour la manipuler, dont l’une souvent à genoux. Leur intention (louable) était « de montrer comment le regard de Don Quichotte peut transformer les choses et changer la réalité : il fait d’un vulgaire moulin un géant, d’une rosse un pur sang, d’un musicien un ivrogne ou un cheval . Techniquement la vidéo nous semble un outil intéressant puisque elle permet de déformer la réalité et de retranscrire ainsi les idées de Don Quichotte : tout ce qu’il voit se métamorphose et joue un rôle dans l’histoire qu’il se forge ».
Si, en filmant en direct en vidéo et de près de petites marionnettes comme dans la scène des moulins et des tréteaux, celles-ci paraissaient surdimensionnées pour se transformer en géants imaginés par Don Quichotte, elles n’occultaient pas la présence des manipulateurs, trop prégnante, contrairement à l’intention de celles-ci. Et, malgré ou à cause de la débauche technique, je ne suis pas rentré dans ce jeu, malgré toute ma bonne volonté, et malgré la passion que j’éprouve pour le théâtre de marionnettes qui m’ont au contraire beaucoup fait rêver avec les Compagnie Créature, de la Cavale ou le Tara Théâtre par exemple, sans oublier le Bread and Puppet Theater de mon adolescence.
Mais pour cette création, réalisée en résidence de création en Odyssud (on oublie trop souvent cette heureuse dimension de la structure blagnacaise : Vicente Pradal, la compagnie de marionnettes Créature justement. en ont bénéficié), l’histoire du chevalier errent à la triste figure n’était qu’un prétexte, une invitation à la musique, à redécouvrir la musique de son époque. Et dieu sait que les Sacqueboutiers sont orfèvres en la matière ! Ils nous ont régalés d’extraits de Cancioneros (ces poémes lyriques espagnols de la fin du Moyen Âge) dans lesquels ils excellent : ceux de Palacio (XV°/XVI°), de Medinacelli (XVI°), de la Colombina (XVI°), de Uppsala (XVI°), del Libro de la Croce (XV°), de Lope de Vega (XVI°) ; car ils ont été mis en musique par Fra Pietro da Hostia, Juan del Encina, Carlo Verardi, Mateo Flecha, Claude Goudimel, Pedro Guerrero, Juan Vasquez, Bartolomeo Carcere, Diego Pisador, Antonio de Cabezon, Francisco de Peñalosa, Francisco Guerrero, Gaspar Sanz, Fernandez de Oviedo, Correa de Arauxo Juan Arañes etc.
Jean-Pierre Canihac (cornet à bouquin) Alfredo Bernadini (chalemie) Daniel Lassalle (sacqueboute) Laurent Le Chenadec (doulciane) Edouardo Eguez (guitare et vihuela) Yasuko Bouvard (orgue, clavecin) et Florent Tisseyre (percussions) étaient au sommet de leur art. Et la soprano Adriana Fernandez (complice de l’Ensemble) ainsi que le ténor Pierre-Yves Binard ne dépareillaient pas cette phalange, bien au contraire.
(photo de Patrice Nin)
Il suffisait de fermer les yeux et de se laisser prendre par les accents joyeux et entrainants de ces Villancicos, Romances, Danzas, Glosas etc. qui n’ont pas vieilli d’un poil.
Comme ces Cants sacrats et cançons profanas dels paises d’Oc, ces Chants sacrés et profanes des pays d’Oc, que Renat Jurié s’ingénie depuis des décennies à collecter, conserver et donner à entendre avec son complice le flutiste Jean-Pierre Lafitte. Avec les Passions, l’Orchestre baroque de Montauban, sous la direction de l’éclectique Jean-Marc Andrieu, cela fait plusieurs Noëls qu’il nous en a régalé, avec des musiciens traditionnels, et Equidad Barès en particulier. Mais dans le cadre idéal de la Salle Antonin Perbosc de l’Ostal d’Occitania, lors d’un de ces dijòus, de ces jeudis organisés avec passion par Dame Manijeh, c’est la quintessence de ce répertoire qu’il nous a donné à entendre ! Ce professeur d’anglais et d’occitan au lycée polyvalent de Villefranche de Rouergue jusqu’à l’an dernier enseignait aussi à ses élèves le chant traditionnel qui « n’impose aucune règle » ; mais il leur a « montré la voix » en toute simplicité. Et il continue à chanter sans forfanterie, avec émotion, en latin et en occitan ; avec Joi, avec Joie, comme disait les Troubadours.
Renat Jurie et Jean-Pierre Lafitte font partie de ces musiciens qui ont participé au renouveau des musiques traditionnelles en France. Ils ont toujours pratiqué ce style de musique (j’ai déjà écrit ici tout le bien que je pense de Jean-Pierre Lafitte, ce maitre souffleur-artisan qui à huit ans fabriquait déjà ses instruments en roseau).
Depuis l’école de Saint Martial de Limoges qui a fécondé pour une grande part l’art du trobar (invention poétique des troubadours), jusqu’aux survivances des chants sacrés de sociétés rurales, le répertoire sacré occitan s’avère particulièrement original (Noëls, psaumes, chants de troubadours ou simples mélodies extatiques…), la voix profonde de Renat et la sobriété de l’accompagnement musical contribuaient encore une fois à créer une émotion des plus rares. Avec son grand tambour, mais sans trompettes, l’homme est prophète en son pays.
Rien d’étonnant donc à ce qu’il soit avec les Sacqueboutiers le jeudi 12 septembre 2013 à 20 h 30 en l’Eglise St Jacques de Muret pour une création mondiale à l’occasion de la commémoration nationale des 800 ans de la bataille de Muret (1213-2013) avec l’ensemble Scandicus. Les instruments à vents employés seront ceux qui accompagnaient les troubadours : chalemies, cornets, sacqueboutes, bombardes, tambours et trompettes, utilisés lors des festivités et cérémonies diverses, aussi bien profanes que religieuses ; les œuvres, estampies, danses royales, caccie, conductus, sont pour la plupart de compositeurs anonymes des XIII° et XIV° siècle. Et nul doute que le ténor Renat Jurié sera à l’aise comme un poisson dans l’eau dans cette épopée lyrique sur les laisses 137 à 142 de « La chanson de la croisade albigeoise ». (texte original en langue d’Oc (auteur anonyme) et traduction française (adaptation de Patrick Burgan) !
Sans doute, les Sacqueboutiers pourront dire avec Louisa Paulin :
Sus las nostras mans arborem lo cantaire,
Sur nos mains dressons le chanteur,
Lo fraire de belor que sab lo cant mannat.
Le frère de beauté qui sait le chant parfait.
Elrik Fabre-Maigné
5-VIII-2013
PS. On retrouvera également l’Ensemble de cuivres anciens de Toulouse le mercredi 9 octobre 2013 à 20 h 30 en l’Eglise du Musée des Augustins (Toulouse) avec l’Ensemble Clément Janequin pour le concert d’ouverture du Festival Toulouse les Orgues : la Messe de l’Homme Armé de Pierre de la Rue (1460-1518). Que du bonheur en perspective pour les amateurs de musiques anciennes.
Les disques de Renat Jurié et Jean-Pierre Lafitte sont disponibles sur le site
http://www.musiqueenroseau.fr/
* Miguel de Cervantes Saavedra est né à Alcalá de Henares (en Espagne). En 1566, il s’installe à Madrid. En 1569, une ordonnance de Philippe II demande de l’arrêter suite à l’accusation portée contre lui pour avoir blessé un homme au cours d’un duel. Il se réfugie en Italie. Il entre au service de Giulio Acquaviva qui deviendra cardinal. Il l’a suivi à Palerme, Milan, Florence, Venise, Parme et Ferrare.Il deviendra ensuite soldat et participera à la bataille de Lépante, ou il sera blessé. Il participera à la bataille d’Alger, pendant laquelle il sera emprisonné pendant 5 ans. Pendant cette période il tentera par 4 fois de s’évader. Après un mariage en 1854, duquel il n’aura pas d’enfant, il reprend sa liberté et commence des voyages à travers l’Andalousie en 1587. Il aimait à dire : La plume est la langue de l’âme.
Son œuvre la plus célèbre est Don Quichotte de la Mancha, un roman épique paru en 1604 ; et fleuve : en mai 2005, la Chapelle, lieu associatif toulousain avait organisé une lecture sans interruption, chapitre par chapitre, qui avait duré pas moins de 48h !
Résumé : Alonso Quichano est un pauvre hidalgo (gentilhomme) chevalier errant qui s’est choisi comme nom : Don Quichotte de la Mancha. Rêveur, idéaliste, il se prend pour un justicier. Le livre raconte les voyages et les aventures de Don Quichotte et son écuyer Sancho Panza. Il est obsédé par les livres de chevalerie. Son entourage pense qu’il est fou quand il décide de devenir à son tour un chevalier errant et de parcourir l’Espagne sur son cheval, Rossinante, en combattant le mal et protégeant les opprimés.
Il pense que les auberges sont des châteaux enchantés et les filles de paysans de belles princesses. Il prend les moulins à vent pour des géants envoyés par de méchants magiciens. Il considère qu’une paysanne de son pays, Dulcinée du Toboso, est l’élue de son cœur à qui il jure amour et fidélité. Sancho Panza, son écuyer estime que son maître souffre de visions, mais il se conforme à sa conception du monde, et entreprend, avec son maître, de briser l’envoûtement dont est victime Dulcinée.