« La Gioconda » de Ponchielli est à l’affiche de l’Opéra de Paris dans une mise en scène de Pier Luigi Pizzi. L’ouvrage est interprété par Violeta Urmana, Luciana D’Intino, Marcelo Alvarez et Sergey Murzaev, avec l’Orchestre et le chœur de l’Opéra de Paris, et la Maîtrise des Hauts-de-Seine, sous la direction de Daniel Oren. Une représentation sera retransmise dans les salles de cinéma UGC, en direct de l’opéra Bastille.
Coproduction du Liceu de Barcelone et du Teatro Real de Madrid, la mise en scène de « la Gioconda » signée Pier Luigi Pizzi est à l’affiche de l’Opéra de Paris. Créé à la Scala de Milan en 1876, cet ouvrage d’Amilcare Ponchielli est l’un des plus flamboyants du répertoire, le seul des onze opéras du compositeur à avoir connu la postérité. Le livret d’Arrigo Boito est l’adaptation de la pièce de Victor Hugo « Angelo, tyran de Padoue » : un mélodrame démesuré ponctué de grands élans amoureux, de sacrifices, de vengeances et de trahisons dans la Venise du XVIIe siècle. Fin connaisseur du répertoire verdien – il vient de conduire un « Falstaff » dans la fosse de l’Opéra Bastille -, Daniel Oren dirigera de nouveau pour l’occasion l’Orchestre et le chœur de l’Opéra de Paris, la Maîtrise des Hauts-de-Seine et le chœur d’enfants de l’Opéra de Paris.
Dans un entretien(1), Pier Luigi Pizzi explique : «Ponchielli me semble assez proche de Verdi, je pense même qu’il a subi son influence, mais il a su garder sa propre personnalité. Il ne serait jamais devenu Ponchielli s’il avait simplement imité Verdi. « La Gioconda » est une œuvre très personnelle, qui n’est pas née par hasard et qui est tout à fait accomplie. Ce n’est pas le fruit d’un imitateur laborieux. Certes il a vécu à l’époque où Verdi dominait le monde lyrique italien. C’est un peu comme être Salieri à l’époque de Mozart, ça n’est pas facile à vivre en tant que compositeur. Le succès de « la Gioconda » à travers le temps prouve d’ailleurs bien qu’il s’agit d’une œuvre unique qui occupe un espace non négligeable du répertoire lyrique international. Rien ne naît du néant. Chaque compositeur d’importance donne des clefs qui permettront à la génération suivante de façonner leur propre style grâce à la force de leur inspiration. En musique, Mascagni et les véristes ont vécu dans une époque où ils ont suivi leur propre voie, mais sans oublier leurs prédécesseurs, afin d’ouvrir de nouvelles perspectives. Puccini lui-même doit beaucoup à Verdi et à Ponchielli. « La Gioconda », à l’époque de sa création, a connu une immense popularité. Il est probable qu’à son tour cette œuvre ait influencé les compositeurs des générations suivantes y compris Puccini, dans un processus d’évolution naturelle du mélodrame italien. Ceci dit, Puccini a réalisé son parcours de manière tout à fait personnelle», assure le metteur en scène italien.
Pier Luigi Pizzi poursuit : «Je dirais que « la Gioconda » relève d’une double appartenance, à la fois italienne et française, du mélodrame. Ponchielli a vécu à une époque où Verdi triomphait d’un côté des Alpes et le «grand opéra» à la française régnait en maître de l’autre côté. Il ne pouvait pas en faire abstraction et se devait de regarder dans toutes les directions pour mieux s’insérer dans les grandes formes de son temps. Mais « la Gioconda » n’appartient vraiment ni à l’un ni à l’autre en définitive. Cet opéra n’est pas un pastiche. C’est une œuvre à la personnalité propre insérée dans un climat musical donné. S’il avait été facile de l’étiqueter, je ne pense pas que son succès aurait perduré autant. Un opéra doit être mis en scène pour ce qu’il est, sans le mettre en rapport avec ce qu’il y avait autour de lui en son temps. Il faut surtout trouver quelles résonances il a dans la société d’aujourd’hui. Il y a une sorte d’énormité dans « la Gioconda » qui se prête au grand spectacle. Mais ce n’est pas seulement un «operone». Les ballets, par exemple, sont des points d’appui très forts. Le fait que la « Danse des heures » ait inspiré Walt Disney dans « Fantasia » montre bien sa valeur musicale. C’est stimulant pour un homme de théâtre, ce côté gigantesque et hors du commun qui donne à l’œuvre un pouvoir de suggestion singulier. J’ai essayé de réduire le côté «grand opéra», sans pour autant renoncer au spectacle. Tout est là, mais épuré, rigoureux et poétique.»
Pour le metteur en scène, «les personnages sont plutôt à mon avis des stéréotypes. Ils appartiennent à ce mouvement littéraire de la Scapigliatura, et sont donc caricaturaux par nature : le gentil est très gentil, le méchant est vraiment méchant, la victime joue son rôle jusqu’au bout : généreuse, elle se sacrifie par sa mort. La Cieca est accablée de tous les malheurs du monde, bref, chacun des six protagonistes a le trait un peu forcé. Ponchielli a un peu sacrifié aux stéréotypes qui plaisaient à son époque mais ceci a une répercussion musicale très appréciable : le compositeur ne se refuse rien dans la largeur et la violence vocale ! Par exemple, dans le duo qui oppose les deux rivales, sans doute l’un de plus fameux et des plus féroces du mélodrame italien, Ponchielli déploie une vocalité très marquée pour exprimer la jalousie et la rivalité. C’est la particularité et la force de cette œuvre. Elle a été conçue pour satisfaire les expectatives d’un public populaire qui va au théâtre pour vivre des émotions violentes. « La Gioconda », à première vue, ne parle pas directement de la société contemporaine. Il serait d’ailleurs ridicule, ou du moins comique, de transposer cet opéra dans le monde d’aujourd’hui. Il faut faire vivre ces personnages à leur époque tout en faisant un travail de nettoyage, de dépoussiérage afin de rendre le tout digeste. Cependant ses affinités avec le monde actuel sont évidentes car le livret est universel et intemporel. Aujourd’hui encore, les bourreaux sont toujours des bourreaux et les victimes toujours de victimes…».
Le rôle-titre de la chanteuse des rues est tenu par la soprano lituanienne Violeta Urmana. Dans le costume du marin Enzo, noble vénitien banni, on attend le ténor argentin Marcelo Alvarez. Mezzo-soprano italienne, Luciana D’Intino tient le rôle de Laura, et le baryton russe Sergey Murzaev incarne l’espion Barnaba. Une représentation de cette production sera retransmise dans les salles de cinéma UGC, en direct de l’Opéra Bastille.
Jérôme Gac
Du 2 au 31 mai, à l’Opéra Bastille, place de la Bastille, Paris.
Lundi 13 mai, 19h15, dans les salles de cinéma UGC.
(1) Entretien paru dans « En scène ! », le journal de l’Opéra national de Paris
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