Concert Orchestre National du Capitole de Toulouse
en partenariat avec le Festival international Toulouse les Orgues
Direction, Kazuki Yamada
Soliste, Michel Bouvard, orgues de la cathédrale Saint-Étienne
Instants passés, instants retrouvés
Programme
J.S Bach : Fantaisie et fugue en sol mineur
Xavier Darasse : Instants passés
Francis Poulenc : Concerto pour orgue en sol mineur, orchestre à cordes et timbales
Hector Berlioz : Symphonie Fantastique
Si l’attrait de ce concert était de faire découvrir à certains le bel orgue de la Cathédrale Saint-Étienne, reconstruit en 1976 par Alfred Kern, grâce à la magie de la retransmission directe dans la salle de la Halle aux Grains du son et de l’image de cet orgue, plus que la prouesse technique magnifiquement assumée et réalisée – l’orgue sonne de façon ample et véridique, même dans ses registres les plus graves -, il aura apporté bien d’autres joies.
Ainsi il est confirmé que cet orgue est somptueux dans ce programme qui permit d’entendre en prélude la Fantaisie et fugue en sol mineur de Bach qui, outre de montrer l’étendue de ses timbres, est aussi au cœur du concerto de Poulenc, qui tisse son premier et second mouvement autour de ce thème. Mais Poulenc, amoureux du pastiche, ici rend hommage à Bach avec déférence et amour.
Le concerto pour orgue de Francis Poulenc, auquel celui-ci tenait énormément, exige virtuosité et sensibilité, donc un très grand organiste. Voilà proclamé pour un public de salle de concert, ce que tous savaient dans les concerts d’église, et qu’une troisième symphonie de Saint-Saëns avait déjà montré avec le même orchestre : Michel Bouvard est en plus d’un immense pédagogue, un immense organiste.
Ce concerto de Poulenc, de près de 20 minutes se déroule en un seul mouvement continu, mais avec des paysages sonores différents et signalés ainsi par le compositeur : Andante – Allegro giocoso – Andante moderato – Tempo allegro, molto agitato – Très calme. Lent – Tempo de l’Allegro initial – Tempo Introduction Largo.
Faisant clairement référence au baroque, mais aussi à l’aspect sérieux et grave de Poulenc , d’habitude tiraillé entre son côté canaille et son côté religieux, « moine ou voyou » et « croyez bien que, dans les deux cas, je suis absolument sincère », disait-il.
Ce concerto regarde clairement vers le baroque et Poulenc le peaufina pendant deux ans jusqu’à la version finale en 1938. Pour permettre son exécution dans les églises, il repose les seules cordes et sur trois timbales, le tout servant d’écrin à l’orgue soliste.
Ce concerto est tendu de tensions de gravité, de drames intérieurs sans doute. Ce concerto est l’une des plus belles pages de Poulenc avec sa solennité et son ampleur, mais aussi un petit clin d’œil déluré dans le dernier mouvement avec une sorte de danse populaire, avant une conclusion édifiante et de grande splendeur sonore.
Grave et parfois angoissé il doit être pris au sérieux par ses interprètes. Il le fut, et le chef d’orchestre sut restituer sa beauté, attentif à la transmission en direct de l’orgue, afin d’éviter tout décalage, Il n’y en eut pas. La finesse des cordes, leur profondeur, les timbales solennelles ou angoissées, la beauté des cadences et des timbres trouvés par Michel Bouvard, tout concourut à une superbe exécution.
Et une partie du final dû être bissé devant la ferveur du public.
Mais le moment espéré, attendu, était la redécouverte de l’œuvre de Xavier Darasse, Instants passés. On le savait grand organiste et claveciniste, animateur extraordinaire, pédagogue hors pair, et mille autres choses encore, mais il fallait faire connaître et reconnaître le compositeur pour orchestre, et non pas seulement celui déjà admiré pour ses Organum pour orgue.
Après son accident de voiture en 1976 qui mit fin à sa carrière d’organiste virtuose, il se concentrera sur la composition. Non pas comme un repli, mais comme un nouvel élan, comme une conquête de territoires inconnus, et lui constamment aux aguets de la vie qui bouge, des nouvelles musiques qui se tissent, va toujours en pleine liberté, en totale lucidité, se jeter dans l’air du temps. Lui l’élève de Messiaen, l’ami de Xenakis, va écrire une série de pièces qui sont autant de symphonies pour instruments à vent avec de nombreuses percussions, comme il était d’usage chez Boulez et Messiaen. Mais il n’y a chez lui nul orientalisme, ni chants d’oiseaux, il fait un bilan de sa vie en fait dans les contraintes en durée et effectif des commandes qui lui sont faites. : « Notre vie est faite d’instants … ma musique n’est que le reflet de ce que je perçois de ma vie ».
Et trois de ses œuvres porteront le titre d’Instants, notion angoissante et permanente chez lui, homme pressé, homme tumultueux, homme inquiet qui voulait capter l’instant :
L’instant d’Après en 1977, instant d’après son accident.
Instants éclatés en 1983 pour l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et Michel Plasson, instants dans sa course folle dans tant d’activités, où il essaie de se reconstruire.
Instants Passés en 1989, son chef-d’œuvre pour orchestre, écrit trois ans avant sa mort, et sorte de réflexion sur le temps qui nous mène et nous malmène. Son opéra inachevé, Le portrait de Dorian Gray d’après Oscar Wilde, aurait été une méditation sur la jeunesse qui s’enfuit et la perte de l’innocence. Ce choix de ce livret par Xavier Darasse ne saurait être anodin, lui hanté par les instants passés.
Et Instants passés, pris dans le carcan des quinze minutes imposées, essaie de dire dans ce laps de temps, toutes les étincelles sonores qui le traversent, de rendre compte de cette énergie tellurique qui sourd de lui, tout en magnifiant les couleurs de l’orchestre.
Et cette musique est sombre. Elle émerge de forêts noires avec la grosse caisse qui gémit, les cuivres inquiétants, surtout les trombones qui crient, les percussions affolées. Mais des lueurs douces et des passages éthérés se créent une clairière au milieu des clameurs. On peut penser au dernier Messiaen, mais sans les thèmes répétitifs de ce dernier. Ici tout reste ouvert. Il semble y avoir non pas une démonstration de savoir orchestral, mais des sentiments tragiques qui passent comme des ombres, des passés qui remontent.
Et cette musique s’évapore dans un final étrange où l’archet glissant sur le métallophone donne des sons d’ailleurs, d’au-delà sans doute pour ce croyant fervent.
Kazuki Yamada conduit avec précision et lyrisme, car il y a du lyrisme aussi, et les vents et les percussions de l’orchestre se couvrent de gloire et démontrent que l’on peut magnifiquement – que l’on doit – jouer de la musique contemporaine à Toulouse.
La Symphonie Fantastique de Berlioz jouée sans partition par le chef, mais avec une telle flamme, un tel élan que la seule chose à dire et qu’il nous est né un nouveau Seiji Ozawa ce soir. Kazuki Yamada ira très loin, c’est l’un des chefs les plus impressionnants vu pour ma part à Toulouse.
L’orchestre ne s’y est pas trompé qui l’a longuement ovationné, le public aussi bien sûr. Cette fois le chef fut aussi fantastique que la symphonie et que l’orchestre porté à l’incandescence.
Michel Bouvard, redescendu de sa tribune d’orgue et présent à cette partie du concert, devait se dire que Xavier Darasse, le volcanique aurait passionnément aimé ce moment, et ce chef capable de faire se lever tant de laves sonores controlées.
Gil Pressnitzer