Troisième opéra de Richard Wagner, Rienzi, der letzte des Tribuns (Rienzi, le dernier des Tribuns) est un ouvrage maudit. Seule œuvre à avoir connu le succès du vivant de son auteur, celui-ci la bannit dans son propre testament artistique en lui interdisant l’accès au Festspielhaus de Bayreuth. Il le liait en effet à une filiation qu’il a rapidement jugée embarrassante, celle du grand opéra à la française dont les canons avaient été fixés par le chevalier Gluck, qu’il admirait, et dans lequel s’illustraient alors les Spontini, Auber, Meyerbeer, Halévy, Rossini… Wagner visait en effet à l’époque où il composait son « Grand opéra tragique en cinq actes », dans les années 1830, à acquérir les faveurs du plus grand théâtre lyrique de l’Europe de son temps, l’Opéra de Paris où il espérait s’imposer au monde. Dans son premier ouvrage scénique, Die Feen (les Fées), Wagner exalte l’opéra romantique allemand de Spohr à Weber, tandis que dans le deuxième, Das Liebesverbot (la Défense d’aimer) il se fond dans le moule de l’opéra italien, de Rossini à Donizetti. Ainsi, ces ouvrages constituent-ils avec Rienzi une sorte de trilogie dans laquelle le compositeur s’essaie à tous les archétypes de son temps qu’il fréquentait assidûment, comme peu de ses contemporains compositeurs, en tant que directeur d’institutions lyriques, à Magdebourg, Riga, puis Dresde, où il créera Rienzi le 20 octobre 1842, six ans avant d’être contraint de fuir la capitale saxonne sous la menace d’emprisonnement à la suite de sa participation active au mouvement révolutionnaire.
Le tout transparaît dans la direction fébrile et conquérante de Pinchas Steinberg, chef habitué de la fosse du Théâtre du Capitole de Toulouse, où il a dirigé tous les opéras de Wagner qui y ont été montés (Tannhäuser, le Ring, Tristan und Isolde, les Maîtres Chanteurs de Nuremberg). Ce qui ne l’a pas empêché de se faire trop puissant, brutal et abrupt dans les transitions, faisant saillir un Orchestre du Capitole singulièrement en forme, particulièrement les cordes (altos au somptueux velours, contrebasses grondantes), les bois, surchauffés, et les cuivres, flamboyants. Magnifiquement éclairée par Jorge Lavelli et Roberto Traferri, la scénographie de Ricardo Sanchez Cuerda, sombre et sinistre, qui, selon les indications du metteur en scène, évoque une société industrielle décadente, traduit l’enfermement entre les murs d’une usine menaçante d’où quelque rayon de lumière d’espoir et de liberté émerge mais pour se refermer plus encore, à l’instar de l’espérance de paix que laisse envisager la prise de pouvoir par Rienzi bientôt réduite à néant par le retournement de ceux qui l’avaient appelé. A l’encontre de la majorité de ses confrères qui insistent sur le côté populiste et mégalomane du Tribun, Jorge Lavelli lui donne une humaine fragilité, presque à l’image du clément Titus (que Gluck, admiré de Wagner, avait célébré dans l’un de ses opéras, à l’instar de Mozart), et une grandeur tragique, ce qui n’empêche pas d’en dégager une critique sans ambiguïté, en en faisant une victime de son propre aveuglement et de ses choix politiques univoques.