Le chœur de chambre « les éléments » ouvrait les célébrations musicales du festival Toulouse d’Eté, le 17 juillet dernier, dans la nef raymondine de la cathédrale Saint-Etienne. Sous la direction de son fondateur, Joël Suhubiette, la prestigieuse phalange vocale toulousaine, qui fête cette année le quinzième anniversaire de sa création, s’associait pour l’occasion à l’Orchestre national du Capitole dans un programme exigeant et original. Poulenc et Fauré nourrissaient ainsi de leurs oeuvres un panorama coloré de musique sacrée à la française.
Francis Poulenc occupe toute la première partie de la soirée. La face sacrée de ce Janus musical, souvent qualifié de « moine et voyou » recèle quelques trésors que l’ensemble vocal et son chef transcendent avec une rare musicalité. C’est aux voix féminines d’ouvrir le concert avec les fameuses Litanies à la Vierge noire de Rocamadour composées en 1936 à la suite d’un événement tragique. Comme il l’écrit lui-même, le décès accidentel de son ami, le jeune compositeur Pierre-Octave Ferroud, laisse Poulenc « …frappé de stupeur. Songeant au peu de poids de notre enveloppe humaine, la vie spirituelle m’attirait à nouveau ». C’est ainsi que cette disparition suscite chez Poulenc un retour vers la foi catholique. Une visite, en compagnie de ses amis Pierre Bernac et Yvonne Gouverné au sanctuaire de la Vierge noire de Rocamadour, l’apaise et le bouleverse. Elle lui inspire alors la conception de ces trois pièces vocales pour voix de femme et orgue. Ce recueil, qu’il achève en une semaine, résonne comme une prière ardente mais pleine d’une humilité qu’il qualifie lui-même de « dévotion paysanne ». Joël Suhubiette dirige ces Litanies avec une ferveur admirable. La justesse absolue, la précision rythmique, l’excellence de la diction de ses choristes renforcent encore l’intensité sincère, profonde et émouvante de ces prières. Le langage, qui marie avec finesse un certain archaïsme simulé et d’étranges audaces harmoniques, est superbement traduit par les interprètes inspirés.
Les Laudes de Saint Antoine de Padoue, écrites cette fois pour voix d’homme a cappella, datent de la fin des années cinquante. Elles mêlent la complexité d’une écriture fouillée à la tendresse d’une expression à fleur de sensibilité. La phalange masculine du chœur fait également ici des merveilles. La dynamique, les nuances, le choix des couleurs vocales témoignent d’un travail raffiné et en profondeur. Comment ne pas fondre d’émotion au murmure recueilli de l’Amen qui conclut ces quatre pièces.
Enfin on revient à la période angoissée de la fin des années trente avec les quatre Motets pour un temps de pénitence. L’ensemble des voix du chœur « les éléments » se trouve enfin réuni. La succession des pièces balaie toutes les expressions possibles du sentiment sacré, de la terreur indicible à l’impalpable sérénité. Formidablement contrastée, cette partition s’achève sur l’étonnant « Tristis est anima mea » dans lequel le chœur se fond dans de touchants mélismes. Les interprètes atteignent une fois de plus le cœur de l’émotion.
Toute la seconde partie de soirée est consacrée au célébrissime Requiem de Gabriel Fauré. Néanmoins, la version choisie par Joël Suhubiette sort nettement des sentiers battus. Il s’agit ici de la partition originale datée de 1893 et non publiée, antérieure à la version pour grand orchestre de 1899, la plus souvent jouée. Pour soutenir le chœur, Fauré avait initialement choisi une formation instrumentale réduite aux cordes graves (altos, violoncelles, contrebasses) et aux seuls cuivres, sans l’apport des bois. Orgue et timbales complètent l’instrumentarium. Un seul violon solo (ici l’excellent Laurent Pèlerin) intervient de manière stratégique dans le Sanctus.
Cette « berceuse de la mort », comme on qualifie souvent cette partition, prend ainsi une autre couleur, un autre caractère. Plus sombre, plus introspective, peut-être même plus recueillie, cette orchestration accentue encore la rupture que manifeste Fauré avec ses prédécesseurs romantiques. Ici point de déchaînement effrayant à la Berlioz ou à la Verdi. La méditation domine. La perfection vocale du chœur transfigure la prière que soutiennent les timbres mordorés de l’orchestre. Joël Suhubiette construit cette succession des sept sections de la messe avec une science accomplie de l’architecture. Une sorte de lent et subtil crescendo aboutit à l’apothéose du Hosanna sur un choral de cuivres qui donne le frisson, rompant ainsi la nostalgie dominante. Le jeune baryton Jean-Christophe Fillol confère au généreux Hostias une douce ferveur, alors que son Libera me délivre une angoisse touchante. On admire son timbre riche, son souffle soutenu, les phrasés raffinés qu’il pratique. Le Pie Jesu représente toujours un moment particulier de recueillement. La soprano Cécile Dibon-Lafarge, membre éminente du chœur, le transfigure avec une fraîcheur touchante. Sa voix ronde mais droite et claire, sans vibrato appuyé, évoque celle d’un enfant touché par la grâce…
Le final In Paradisum nous conduit par la main vers le sommeil paisible d’une douce ascension. Le succès recueilli par cette belle interprétation obtient des interprètes une reprise du Libera me, justifiée, selon Joël Suhubiette, par le fait que la pièce a été publiée indépendamment par Fauré… Excellent prétexte pour prolonger un tel plaisir.
Serge Chauzy
Une Chronique de Classic Toulouse
Les Eléments
Toulouse d’été
Orchestre National du Capitole
photos © Classic Toulouse