A l’égard de l’accomplissement d’un véritable opéra allemand s’authentifiant de son évolution même en drame musical, un privilège s’attache à Tannhäuser, celui d’être l’œuvre-clé wagnérienne, dense de tous les éléments-témoins, bien au-delà du Vaisseau fantôme et du Lohengrin, en un mot LA révélation du génie de Richard Wagner.
« Car jusqu’à présent, Dieu a toujours jeté le don de poésie d’une main et celui de la musique de l’autre – et ceci à des êtres si éloignés l’un de l’autre que l’on attend encore l’homme qui saura à la fois composer le livret et la musique d’un véritable opéra ». Jean-Paul dit JP. Ces lignes prophétiques furent tracées à Bayreuth, l’année même de la naissance de Richard Wagner. C’est donc chose faite.
Au départ, Tannhäuser fut composé, explique Wagner, “dans un état d’excitation dévorante et lascive“. Il a 32 ans. Le titre original de l’opéra devait être, Le Mont de Vénus, mais on comprend aisément pourquoi l’éditeur l’abandonna très vite. Pour faire court, dans aucun autre cas, la genèse d’un opéra de Wagner ne fut aussi embrouillée. Le compositeur continuera à apporter des retouches et révisions plus conséquentes pendant plus de trente ans. Mais, en principe, rien ne peut justifier les coupures que certaines productions peuvent présenter. Heureusement, les trois actes de la version choisie ici, respectent le compositeur. Et nous assisterons bien à Tannhäuser et le Tournoi des chanteurs à la Wartburg, grand opéra romantique en trois actes sur un livret du compositeur, créé le 19 octobre 1845 à Dresde. Version de Vienne (1875) comprenant les rajouts de la version de Paris (1861)
On sait que tous les ouvrages lyriques de Richard Wagner sont une gageure pour une maison d’opéra. « Mais Wagner aimait trop se faire entendre pour ne pas vouloir se faire jouer. » De fait, ceux-ci sont écrits sur mesure pour nos théâtres modernes et, on a bien à l’esprit que le compositeur ira même jusqu’à bâtir le théâtre qui devrait leur convenir au mieux, et ce sera Bayreuth. Tel n’est pourtant pas tout à fait le cas de Tannhäuser, le plus rare des chefs-d’œuvre de Wagner et le seul qui soit vraiment une utopie.
Quasiment impossible à mettre en scène, de l’aveu même de Wieland Wagner, tant déferlent des images et des mondes contradictoires, son matériau musical est lui-même absolument hétérogène, faisant se mêler un Wagner proche encore du premier romantisme d’un Carl Maria von Weber à l’influence exceptionnelle – rappelez-vous, Euryanthe, Obéron – mais proche aussi de tout ce que véhicule son opéra Tristan et Isolde. Tout cela rend l’œuvre fascinante, exaltante, et caduc, ou complètement inapproprié, la réflexion-type du genre : « Je déteste la musique de Wagner » !! Souhaitons plutôt à tous les spectateurs d’être des Charles Baudelaire et de penser avec lui : « Cette musique-là exprime avec la voix la plus suave ou la plus stridente tout ce qu’il y a de plus caché dans le cœur de l’homme ».
L’atout majeur de cette nouvelle production est, me semble-t-il, le chef Hartmut Haenchen. L’œuvre, aurait-elle encore quelque secret pour ce maestro qui semble bien loin de toute esbroufe ? On sait que, dès les premières mesures de l’Ouverture, cette pièce symphonique si populaire d’une douzaine de minutes, mise en place, équilibres dynamiques, articulations, phrasés, seront au rendez-vous.
Hartmut Haenchen s’est construit un répertoire d’opéras – environ 80 partitions – qui comprend essentiellement des œuvres de Wagner et Richard Strauss, répertoire qu’il relie à la langue, de sa compréhension parfaite, corollaire sans lequel aucun opéra ne lui paraît concevable. « Dans mon répertoire, on trouve les thèmes centraux qui ont un lien avec les langues dans lesquelles je peux travailler avec les chanteurs. La langue influence le phrasé et l’articulation de l’orchestre. »
Si on lui demande ce qu’il pense de la version qui a été choisie pour cette nouvelle production, à savoir la dernière version de 1875 faite par Wagner lui-même, il vous confiera qu’elle offre, grâce aux grandes possibilités qui étaient celles de Vienne, la nomenclature la plus fournie. Car à l’orchestre principal, il s’ajoute deux grands “orchestres du Venusberg“, des percussions supplémentaires, douze cors, quatre harpes, un chalumeau, des trombones et encore d’autres harpes sur la scène tout comme des cloches de différentes sortes : au total, la plus grande formation orchestrale pour laquelle Wagner a jamais écrit, avec 145 musiciens !!
Et s’il aborde la partie chœur, il estime que les exigences sont de diverses sortes comme dans aucune autre œuvre.Elles rassemblent des parties a cappella très périlleuses avec des déchaînements puissants et dramatiques. «C’est un grand opéra pour chœur, dans son effectif, sa difficulté et la multiplicité des styles.» Avec le Chœur du Capitole et son talentueux directeur Alfonso Caiani, nous n’avons aucune crainte.
Avec le metteur en scène Christian Rizzo, espérons que nous n’aurons pas droit à des initiatives comme ailleurs qui, en plein Venusberg, fait traverser la scène en courant à une pornostar qui, pour maintenir une érection indispensable pour la compréhension de l’œuvre, avait dû se “bourrer“de Viagra. Les intentions de C. Rizzo paraissent plus “soft“. Ne dit-il pas : « Je n’ai pas voulu surenchérir sur la musique, dont la puissance est manifeste. L’oreille est très sollicitée et pour moi, il ne faut pas saturer le visuel au risque d’atteindre la nausée. J’ai voulu un espace classique et sobre, avec du marbre gris qui évoque une grande pierre tombale, et très peu d’accessoires.
Si j’ai voulu des décors épurés, les costumes ont une ampleur que je n’avais jusqu’ici voulu dans aucune de mes créations.L’esthétique de ce spectacle est d’un certain classicisme, je dirais un « classicisme nettoyé ». Nos nerfs auditifs ne seront donc pas court-circuités par nos lobes cérébraux visuels ! Après Les Indes Galantes, on ne peut que l’en remercier !
Quant à la danse, il ne l’utilise qu’en rapport direct avec le personnage de Vénus, ce personnage qui évoque la chair, le corps, la sensualité. Elle sera donc présente dans l’ouverture et fera son retour au troisième acte.
Tannhäuser sans Tannhäuser, c’est comme Carmen sans Carmen. A la tâche, Peter Seiffert, un des rares ténors actuels classé heldentenor capable de venir à bout victorieusement de la redoutable tessiture tendue du rôle. Toujours remarquablement engagé, d’une rare vaillance, capable d’émotion dans tous les rôles abordés, il ne pourra nous décevoir, de même que son épouse dans la vie, Petra Maria Schnitzer dans le rôle d’Elizabeth, d’une efficacité vocale et dramatique certaine.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole – 17 – 22 – 24 – 26 – 29 juin
Hartmut Haenchen © Marc Waymel
Christian Rizzo © David Herrero
Peter Seiffert © Hösl