Les 16 et 17 mars à la Halle, le 18, Salle Pleyel à Paris, c’est donc un gros poisson que Tugan Sokhiev va essayer de ferrer, en dirigeant son orchestre, l’ONCT, le Chœur de l’Orfeon Donostiarra (chef de chœur J.A Sàinz Alfaro), la soprano Anastasia Kalagina et la contralto Janina Baechle.
La Deuxième Symphonie en ut mineur de Mahler : son voyage épique, de la mort à la vie post-mortem.
Quatre-vingt minutes de, musique à programme ? Ou musique absolue ? le duel continue. Pourtant plusieurs déclarations de Gustav Mahler lui-même ne laissent planer aucun doute sur le caractère autobiographique de bien de ses œuvres. La deuxiéme symphonie, qui fait partie du cycle les « Symphonies Wunderhorn », a bien son programme que le compositeur a communiqué à différents destinataires par des entretiens et des lettres. Ainsi, celui de la symphonie qui nous occupe a été communiqué au moins dans trois versions différentes par leur diction et par quelques détails mais qui conservent toutes les mêmes images, les mêmes représentations et les mêmes cheminements de pensée. On sait que plus tard, il les reniera.
Pour ceux que cela pourrait intéresser, sachez que « la dernière version », nous la trouvons jointe à une lettre du 15 décembre 1901 adressée à Alma Mahler, pardon Schlinder ! car pas encore l’épouse de,…Trop longue, elle ne vous sera pas offerte ici !!
Revenons à notre Deuxième qui concerne bien l’homme, et dont le programme formule des problèmes métaphysiques et des questions relatives à la philosophie de l’existence. La symphonie ne fait pas que reconnaître la mortalité. Elle tente d’en donner à l’humanité une expérience sonore, et non seulement de la mort mais aussi de l’au-delà. La mort était purement et simplement le point de départ de Mahler.
Ce qu’elle exige en effectifs permet de comprendre qu’elle n’est pas « donnée » régulièrement, toute chose ayant un coût, et entreprendre de réunir autant de musiciens, plus les chœurs, ici, un des meilleurs chœurs européens, et les deux voix solistes rebute bon nombre de structures, car c’est une vraie gageure. C’est pourquoi nous nous devons de profiter de l’opportunité offerte à deux reprises à Toulouse, de l’exécution de ce monument mahlérien !!
« J’ai nommé le premier mouvement « Totenfeier » (Rites funèbres), là c’est le héros de ma Symphonie en ré majeur [la Première] que je porte au tombeau et sa vie que je capte dans un pur miroir, d’un point de vue plus élevé. » Ces mots de Gustav Mahler pourraient très bien expliquer la substance de sa seconde symphonie. Sa composition remonte à 1888, alors qu’il vient d’être nommé chef d’orchestre (Kapellmeister) du Stadttheater de Leipzig. Il faudra attendre huit ans pour la première audition, le 13 décembre 1895, à Berlin, sous la conduite du compositeur.
Pourquoi « La Résurrection » ? Dans le cinquième mouvement, Mahler a mis en musique le poème de Friedrich Gottlieb Klopstock « Die Auferstehung » (La résurrection) qu’il avait entendu en 1894, lors de l’enterrement du chef d’orchestre réputé Hans von Bülow. Comme Klopstock, Mahler croyait en une vie éternelle, pensant toutefois qu’elle n’était pas acquise à l’Homme et que l’expérience de la souffrance ici-bas devait le mener à sa propre délivrance. C’est pourquoi Mahler ne reprend que les deux premières strophes auxquelles il a ajouté des vers de son imagination. Il n’en reste pas moins que le poème a donné à la symphonie un nom qui la désigne encore aujourd’hui.
Dix cors, huit trompettes, un double éventail de timbales, pas moins de sept percussionnistes, sans parler des musiciens placés en coulisses pour mieux élargir l’espace sonore – une sorte de stéréophonie avant la lettre – chœurs, cuivres, carillons, orgue tonnant, il y a du monde, pour faire du “bruit“ ??? Non, car tout le développement fondamental de la matière musicale demeure génialement très clair pour l’oreille. Toute la symphonie est ainsi tendue vers sa solennelle et fracassante coda, vers cette “résurrection“ si longtemps différée, retenue…Et, enfin, clamée.
La vie. L’angoisse. La mort…Pour la première fois depuis Beethoven, la métaphysique déboule dans la symphonie. Mahler, là encore, fournit d’ailleurs un effarant “programme“ où il est question d’un héros, de sa mise au tombeau, de ses interrogations sur l’existence, du rayon de soleil, de ses souvenirs…Mais le plus stupéfiant reste la forme : cette coulée en cinq mouvements, terre de tous les conflits, de tous les climats, de tous les contrastes : marche funèbre, ronde infernale, chant naïf, hymne tonitruant.Du grand spectacle, et du grand son !
Dans une conversation avec Natalie Bauer-Lechner, violoncelliste et amie des Mahler, Gustav Mahler lui-même laisse une description qui nous parle avec toute la puissance de son imagination musicale : « C’est le Jour du Jugement dernier…La terre tremble. Ecoutez seulement ce roulement de tambour et vos cheveux se dresseront sur votre tête ! La trompette du Jugement dernier sonne. Les tombeaux s’ouvrent brutalement, et toute créature, tordue de douleur, sort des entrailles de la terre, pleine de gémissements et de grincements de dents. Maintenant, ils vont tous marchant en une formidable procession : mendiants et riches, gens du peuple et rois, l’Eglise militante, papes. Tous sont en proie à la même terreur, aux mêmes crises et aux mêmes lamentations ; car nul ne trouve grâce aux yeux de Dieu. Surgissant encore et encore – comme venue d’un autre monde -, la trompette du Jugement dernier sonne de l’au-delà. Enfin, après que chacun ait crié et hurlé dans une indescriptible confusion, on n’entend plus que le long cri déchirant de l’Oiseau de la mort au-dessus de la dernière tombe – puis finalement, celui-ci se taît aussi. Il n’y a alors rien de ce qui était supposé : pas de Jugement dernier, pas d’âmes sauvées ni damnées ; pas d’homme juste, pas d’homme diabolique, pas de juge ! Tout a simplement cessé d’être. Alors doucement et simplement commence : “Aufersteh’n, ja aufersteh’n“ – les mots se suffisent à eux-mêmes. »
A repérer, dans le troisième mouvement : deux coups de timbales et l’hallucinante valse tourbillonnante que le compositeur utlilisa pour chanter le vain prêche de Saint Antoine de Padoue aux poissons (9è lied des Knaben Wunderhorn). Tandis que le quatrième mouvement qui le suit sans interruption aucune est une authentique mise en musique du poème “Urlicht“ (Lumière originelle), sorte d’introduction au puissant finale.
Michel Grialou
Tugan Sokhiev © Marco Borggreve
Anastasia Kalagina © Theatre Mariinsky
Janina Baechle © Kurt Pinter