Epitomé, car l’œuvre est bien une célébration accomplie du théâtre, de la musique et de la virtuosité vocale.
« Le spectateur se trouve devant un événement dramatique, plus qu’il n’y plonge ». Deflo voit en effet des affinités entre Il Trovatore et la tragédie classique et constate que, comme s’il s’agissait du théâtre épique de Bertolt Brecht, les scènes les plus dramatiques de cet opéra nous sont simplement narrées et ne se passent pas devant nous dans le but de nous toucher ou de nous bouleverser. La conclusion de Deflo semble affirmer que Il Trovatore ne doit pas être présenté comme un mélodrame romantique truculent, mais comme une œuvre du théâtre épique : narrée à distance.Ceci laisse supposer que la dramaturgie de Deflo choisira de traiter cet opéra avec élégance et une certaine distance et qu’il l’allègera, heureusement, de la surcharge des mises en scène et des costumes qui, si souvent, l’ont ancré dans un XIXè trop anecdotique et obsolète.
Deflo élude l’historicisme de ce drame historique, si peu fidèle à l’histoire, et se décide pour un décor et des costumes – William Orlandi – qui, « pour récréerl’image médiévale typique du mélodrame romantique – château, jardin, cloître, donjon, prison, etc…préfère la description de deux mondes antagonistes, utilisant pour ce faire des toiles de fond en soie caractérisant avec clarté les mondes opposés ; ainsi les personnages vivront leur passion avec un langage scénique précis et lisible ». Et il poursuit : « Même chose pour le choix des costumes, leur forme et leur couleur, qui aident à reconnaître le combat fraticide en y ajoutant une valeur symbolique ». Et totalement
cohérent avec cette position, il suggère que les chanteurs doivent être libérés « des gestes mélodramatiques afin de constituer un jeu de signes limpide, mais riche de sens ». Deflo s’oriente ainsi vers une dramaturgie claire qui guide le spectateur et l’aide à comprendre l’essentiel de la tragédie et vers un espace scénique élégant, ce qu’il y a de mieux chez ce metteur en scène.
Du 3 au 12 février, 7 représentations du Trouvère au Théâtre du Capitole
Synopsis
Le protagoniste d’Il Trovatore est un héros typiquement romantique : c’est un personnage marginal (il se considère comme le fils d’Azucena, une gitane), rebelle (partisan du Comte d’Urgel, dépossédé de ses droits à la couronne suite au compromis de Caspe), sensible( un trouvère était un poète qui composait des vers que chantaient ensuite les jongleurs) et, par-dessus tout, c’est un homme amoureux( il aime Leonora, une dame de la cour, qui l’aime en retour). Son opposant dramatique est le Comte de Luna, qui, comme beaucoup d’antihéros romantiques, par opposition au protagoniste, est puissant, cruel et rejeté par Leonora. L’argument d’Il Trovatore entrelace deux de ses fils conducteurs – celui de l’amour de Leonora et celui de la gitane Azucena – qui convergent vers le personnage de Manrico qui, dans les deux cas est la victime des intrigues du Comte.
Le premier acte expose le double conflit de l’œuvre : la jalousie du Comte qui a entendu le chant du trouvère faisant la cour à Leonora, et l’histoire d’Azucena, une gitane qui a vu sa mère être brûlée vive sur le bûcher sur ordre du père du Comte de Luna et qui a décidé de la venger.C’est pourquoi lorsque des os calcinés d’un enfant furent retrouvés, à l’endroit même où avait été brûlée la vieille gitane, on supposa qu’ils appartenaient au fils du vieux Comte de Luna qui avait disparu, et qu’il s’agissait donc d’une vengeance d’Azucena. Dans la scène II, Leonora proclame son amour au trouvère qui chante sous son balcon et descend se jeter dans ses bras. Dans cette scène, sont rassemblés les trois personnages – Leonora, Luna, Manrico – et les deux jeunes hommes empoignent leurs épées pour se battre en duel, alors que Leonora tombe évanouie.
Le deuxième acte est composé de deux tableaux. Le premier est consacré au dialogue entre Azucena et Manrico où la gitane avoue dans un premier temps – et nie par la suite – qu’elle n’a pas jeté dans les flammes le fils du Comte, mais son propre enfant. Tout laisse donc supposer que le Comte n’est autre que le frère de Manrico. Une lettre informe Manrico que Leonora, le croyant mort, va prendre le voile et celui-ci part précipitamment pour l’en empêcher. Le deuxième tableau se situe au couvent où Leonora doit prononcer ses vœux et où se retrouvent le Comte de Luna qui veut l’enlever, et Manrico, qui finalement libèrera Leonora.
Le troisième acte se situe à l’intérieur et à l’extérieur de Castellor, une forteresse aux mains des partisans du Comte d’ Urgel et assiégée par le Comte de Luna. Devant les remparts, le Comte de Luna a emprisonné Azucena ; à l’intérieur, Manrico et Leonora sont informés que l’on s’apprête à brûler Azucena, et c’est aprè avoir chanté la célèbre cabaletta « Di quella pira » que Manrico part porter secours à sa mère.
Dans le quatrième et dernier acte, Manrico a été fait prisonnier et le Comte a décidé de le tuer et de brûler vive Azucena. Cependant, Leonora promet de s’offrir à lui en échange de la vie de Manrico, marché que le Comte accepte, ignorant qu’elle a absorbé un poison pour qu’il ne trouve qu’un corps inerte au moment de leur union. Leonora réussit malgré tout à se rendre à la prison que partagent Azucena et Manrico et annonce au trouvère qu’il est libre.Le Comte de Luna arrive au moment où Leonora est sur le point de rendre l’âme et, furieux, il donne l’ordre d’exécuter Manrico et accompagne la gitane à la fenêtre pour qu’elle assiste à l’exécution de son fils. Après seulement Azucena lui révèle avec cruauté qu’il vient de tuer son propre frère. Sa vengeance est enfin assouvie.
Composé durant une période très noire de la vie d’un Giuseppe Verdi âgé de 40 ans, cet opéra en quatre actes fut créé à Rome le 19 janvier 1853 sous la direction triomphale du compositeur.
Quelques années après Hernani de Victor Hugo et sa fameuse bataille, le théâtre romantique espagnol s’impose sur les scènes madrilènes. Le succès de certaines pièces données ne sera rien à côté du délire qui accueille El Trovador, la pièce d’un jeune auteur encore obscur. Le lendemain, la capitale espagnole ne bruisse que de ce nouveau « drame chevaleresque » d’un certain Antonio Garcia Gutierrez, né en 1813. Il écrira trente-cinq ouvrages. Parmi eux, Simon Bocanegra, source d’un autre opéra de Verdi. Preuve s’il en est qu’un certain romantisme verdien a bien partie liée avec l’Espagne, soit directement, soit indirectement.
L’ouvrage forme avec La Traviata et Rigoletto ce que l’on appelle la « trilogie populaire » de Giuseppe Verdi.
« Populaire », ce terme, qui peut avoir une connotation méprisante ou réductrice constitue au contraire pour le natif de Busetto une sorte de répertoire d’idées esthétiques et éthiques, que le compositeur revendiquera toujours avec force. Toute son œuvre, y compris Il Trovatore, tourne autour de ce concept. En premier lieu, il faut donc entendre « populaire » au sens d’ « universel ». Verdi cherche à toucher tous les auditeurs, quels que soient leur culture, leur nationalité ou leur statut social. S’y rajoutent deux nuances, celle d’un attachement viscéral aux racines et celle d’une absolue sincérité de l’expression. Sur des bases ainsi définies, prend naissance un ouvrage qui, de par l’abondance d’airs puissants et généreux n’est qu’un inépuisable jaillissement mélodique s’appuyant sur un livret à l’argument “abracadabrantesque“ !
Il Trovatore est un parmi les opéras les plus populaires qui comporte le plus d’airs dits “de coins de rues“ ou “de fins de banquets“, mélodies passionnées, nanties de verve et de fougue !! A vous de les retrouver ! Les cinéphiles retrouveront avec émotion des extraits de la musique du film Senso. Sachez que les deux fils conducteurs de l’ouvrage sont l’amour partagé entre Manrico, le troubadour et Leonora, dame d’honneur à la cour (éternel moteur de presque tous les livrets d’opéra), celui contrarié du baryton, le Comte di Luna, et la soif de vengeance d’Azucena la bohémienne. Manrico et le Comte di Luna sont « deux frères-ennemis sans le savoir.
« Donnez moi les quatre meilleurs solistes au monde et je vous ferai Il Trovatore. » Arturo Toscanini, grand chef d’orchestre verdien des années 50. En effet, pas de rôles secondaires vraiment, mais quatre premiers rôles exigeant chacun des moyens vocaux et des talents musicaux et dramatiques exceptionnels. C’est donc une redoutable entreprise pour les interprètes d’un Trouvère que de «s’embarquer» sur une scène où ils devront donner le meilleur d’eux-mêmes, et plus si possible.
Pour relever le défi, et sortir sans encombre de ce jeu périlleux, le Capitole met à l’affiche deux distributions dans les rôles premiers pour une nouvelle production du metteur en scène Gilbert Deflo dirigée par le chef Daniel Oren. Ce dernier, aura la lourde tâche de protéger les voix – déjà suffisamment mises à l’épreuve par l’écriture – des sonorités de l’orchestre pouvant se révéler très rapidement excessives, les musiciens se laissant emportés tels de fougueux chevaux ! par une musique si spontanée, émouvante, et si souvent dans l’urgence. Impossible de ne pas souligner aussi l’importance des chœurs.
Merci d’avance à G. Duflo de nous éviter la transposition de l’action de l’opéra pendant la guerre d’Espagne ! Elle a sévi pendant des décennies.
Quand vous lirez ces quelques lignes, il vous restera peu de temps pour essayer d’arracher les quelques billets qui peuvent bien rester encore, tout cela pour découvrir, ou pour assister pour la ènième fois, à une représentation de cet opéra parmi les plus populaires de Giuseppe Verdi.
(Il existe bien Le Trouvère, en version française, écrit par Giuseppe Verdi pour la scène du Théâtre Italien de Paris et pour un public français d’où quelques aménagements. La première eut lieu le 5 janvier 1857.)
Michel Grialou
photos : Antoni Bofill