Kabbala : Oratorio de début du monde de l’Homme et de son retour vers la Jérusalem terrestre !
René Clemencic. Les Sacqueboutiers. Ensemble Clément Janequin.
Auditorium Saint-Pierre des Cuisines. Le 4 décembre 2011.
Il est des concerts événements déjà sur le papier : Les Saqueboutiers fêtent leurs 35 ans en voici un premier. La venue à Toulouse de René Clemencic un autre. Celui là même qui dès les années 50 a œuvré à la redécouverte du répertoire ancien et baroque. Que de CD magnifiques a-t il offert à coté de ceux de Gustave Leonhardt et Nikolaus Harnoncourt, tous trois pionniers aujourd’hui historiques ! Enfin assister à la direction d’une œuvre par un compositeur vivant est peut-être le plus précieux.
Le public du très bel auditorium Saint-Pierre des Cuisines a vécu un moment historique. Pouvoir bénéficier de la vue de ce chef plutôt malingre diriger avec cette énergie et cette volonté si forte son œuvre est passionnant. René Clemencic a 83 ans et dirige comme un jeune homme fougueux, entièrement possédé par sa partition, tant est immense sa volonté de faire passer son message pris dans la tradition ésotérique juive. Son oratorio Kabbala est une œuvre tout à fait à part, inclassable, créée ce soir en France, après avoir été écrite en 1992. Répondant à une commande autour de Franz Kafka, et découvrant le livre essentiel de Gershon Sholem sur la Kabbale, René Clemencic a lié les signes. Il s’est même mis à l’étude de l’hébreu pour comprendre le pouvoir déflagrant des voyelles. Impossible de réduire cette œuvre à une simple analyse de la partition, avant tout protéiforme et intemporelle, autant ancienne, voir archaïque que moderne par son utilisation des percussions et ses passages aléatoires. En se servant du livre de la Kabbale, interdite à l’étude pour les moins de quarante ans, et uniquement de sexe masculin, René Clemencic dépasse le simple fait religieux et de loin, pour tenter de faire passer un souffle de transcendance permettant à l’Homme d’dvenir en sa plénitude. La question de la naissance du langage humain et du sens donné par l’esprit à la communication entre les humains est au cœur de cette œuvre, ainsi que les attributs imaginaires de la divinité et le nécessaire retrait de Dieu du monde. Ce sont le bruit, le son, le rythme qui fondent le langage. Le prélangage dans ses dimensions physiques précède la voix et la parole. La Kabbale sert de média pour faire comprendre que l’ontogenèse est en fait soumise à la phylogenèse, qui ensuite aboutit à la création du langage humain. Il n’y avait rien de personnel au début du monde de la pensée. C’est le groupe qui a permis à l’individu de naître. Le premier sens donné à la vie encore infantile est groupale soumis à Dieu, qui ensuite s’éclipse quand la pensée prend forme adulte individuelle. Et la Jérusalem éternelle que chacun cherche et que peu trouvent, est quête éthique.
L’œuvre s’architecture sur le fait que les voyelles hébraïques représentent aussi des nombres, donc les mots peuvent dévoiler bien des sens cachés par la numérologie. Les cinq chanteurs admirables, tous absolument, et le cornet à bouquin et les trois trombones de part et d’autres des deux percussionnistes, forment un monde qui s’oppose ou s’unit selon les moments de la création. Le chef les dirige avec l’énergie qu’on lui connaît. Le résultat est un voyage dans le monde du son, de la parole et des symboles qui ensemble créent la pensée, seule sens donné à la vie de l’Homme. Dieu n’est que passage obligé pour rendre responsable les hommes, et il reste des impressions physiques et émotionnelles indicibles qui permettent de mieux comprendre d’où nous venons et où nous allons. Du néant vers le néant, et c’est bien ainsi. Les interventions du Shofar (le premier instrument du monde, mais aussi l’instrument sacré du Temple des Hébreux) sont d’une émotion poignante car il renvoie à nos origines humaines. De même les trombones renvoient aux trompettes de Jéricho dans des moments de puissance diabolique.
Merci aux Sacqueboutiers d’avoir invité René Clemencic, légende d’humanisme, à diriger une œuvre d’une intelligence si souveraine. Tous les interprètes ont été virtuoses et disponibles aux demandes exigeantes du chef. La mise ne place a été exacte ! Rien n’a jamais limité les musiciens, jamais, même l’utilisation la plus improbable des voix et des instruments. Un moment d’éternité fulgurant !
Hubert Stoecklin