Ou, quand les ennuis des uns font le bonheur des autres (voir la page annonce du concert)
Les membres du Philharmonique ont fait le bon choix. Remplacer au pied-levé Myung-Whun Chung comportait sa dose de risques, surtout en maintenant le programme annoncé. Thomas Dausgaard, sollicité, a relevé le défi. Les musiciens l’ont de façon signifiante remercié à la fin du concert, et nous aussi !
Les musiciens l’ont surtout remercié en essayant de rendre au mieux toutes les intentions de leur chef, et tout d’abord dans une interprétation jubilatoire de la symphonie “italienne“ de Felix Mendelssohn. Certes, une interprétation pas marquée du sceau du génie mais, ni germanique, ni italienne, ni classique , ni romantique, ni arêtes vives, ni furia, mais tout simplement, sobrement, équilibrée, avec un peu de tranchant et de cantabile, un mélange d’énergie et de lumière, en un mot, un bien beau morceau de musique.
Mais, pour suivre, ce sera une interprétation de la symphonie n°4 d’Anton Bruckner qui n’avait pas résonné de la sorte à la Halle depuis quelque temps, depuis fort longtemps même !
Qui n’a pas adhéré à la musique du “Ménestrel de Dieu“ exécutée de la sorte, n’y adhèrera jamais ! Il faut un état de grâce, Thomas Dausgaard l’avait, et a su le communiquer à ses troupes mises en confiance et avec quelle autorité dès les premières notes au cor. Il faut, si jeune, avoir une certaine dose de culot ! Et pas un seul petit souci par la suite ! Cela méritait bien une ovation particulière à la fin. Tous les pupitres en effet, se sont appliqués à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Dans cette symphonie aux résonances multiples, le chef semble avoir privilégié le côté “romantique“ de l’œuvre, sans pour autant effacer l’aspect mystique : les deux apparaissent même, à la limite, imbriqués, donnant naissance à des touches psychologiques subtiles mais extrêmement intelligentes et convaincantes. Ainsi le début, qui sourd du silence mais avec un frémissement cosmique, que va peindre l’appel du cor, puis l’orchestre tout entier, qui se gonfle, s’amplifie et semble escalader les nues sous la pression d’une force irrésistible. De même dans l’Andante, où l’aspect sautillant des cordes traduit la joie du musicien à retrouver le beau paysage de ses champs d’Ansfelden et Saint-Florian. Les cuivres auront juste apporté leur couleur vive, mais sans excès. Le mouvement s’éteint même dans une sorte de silence plus ou moins agité, où la timbale scande, à la fois, le Temps qui passe et le rythme du thème principal.
Il en va ainsi également du Scherzo débutant dans le même silence que l’Allegro de départ mais qui, d’un geste très enveloppant, va se vitaliser, s’enflammer, s’emplir – là aussi – de mystère. Après la méditation, l’action ; après le Ciel, la Terre, entraînés que nous sommes dans une chasse aux superbes contrastes : un véritable triomphe de la vie, de la couleur, du rythme.
Ainsi surtout du Finale qui traduit par son piétinement lourd la marche des Elus vers un Ciel entrevu depuis longtemps et finalement atteint. D’où cette griserie impressionnante, ce vaste crescendo au terme duquel éclate la coda, frémissante, mystérieuse, avec des réponses feutrées aux cordes, murmures qui s’enflent jusqu’à devenir ample Hosannah. L’accord final arrive en toute logique. Quelle attention prodiguée à la construction de l’œuvre comme à sa beauté sensuelle !
Tout Bruckner est là, avec son côté naïf, mystique, sensuel, architectural, révélé de façon humaine, splendide, et, très émouvante. Une baguette superlative.
Michel Grialou
crédit photo : Ulla-Carin Ekblom (Thomas Dausgaard) / J-F Leclerc (Orchestre de Radio-France)