Comme l’indique son affiche assez décalée, voire peu communicante, le festival Toulouse Les Orgues va, pour la seizième année, jeter l’ancre et le souffle puissant des tuyaux des orgues, à Toulouse du 5 au 16 octobre.
Ce festival initié par le cher lutin organiste Xavier Darasse, est l’un des plus importants en Europe, et donc aussi à Toulouse qui ne s’en rend pas vraiment compte. Ce festival mit du temps à être reconnu à sa juste valeur immense et originale, et je me souviens de quelques démêlées avec les édiles de l’époque, inconscients de l’offrande musicale ainsi faire à cette ville, assez peu encline aux innovations de tout ordre.
Et pourtant une des plus grandes richesses de la Région, fait presque unique en France, ce sont ses orgues. Le Père Bachet et Xavier Darasse avaient dressé un état des lieux magistral qui montrait l’immense patrimoine à portée d’oreille, et si souvent ignoré.
Depuis les plus beaux Cavalliè-Coll de Saint-Sernin à Saint-Étienne, à l’orgue italien de la chapelle Sainte-Anne, en passant par l’orgue Ahrend de l’église-musée des Augustins dont on fête le trentième anniversaire, sans oublier les superbes orgues de Cintegabelle et de Saint-Pierre des Chartreux, en attendant cet orgue espagnol si souvent promis et si désiré, le panorama est sublime et mériterait de résonner toute l’année.
Certes pour ce type de festival il faut tenter de casser un peu l’image redoutable et paralysante de l’orgue instrument roi, mais surtout instrument liturgique. Pas facile de le faire sortir des murs et des traditions religieuses qui l’étouffent. « Cet instrument-machine » doit s’apprivoiser.
Depuis quelque temps le mérite de ce festival aura été la désacralisation de ce « monstre » tapi dans les églises. Par des rencontres improbables, des luttes d’improvisation, des ciné-concerts, des clins d’œil, une convivialité de tous les instants, le public commence à apprivoiser les orgues.
Après quelques turbulences à son sommet, le festival reprend couleurs et vie grâce à Michel Bouvard, titulaire de l’orgue Aristide Cavaillé-Coll de la basilique Saint-Sernin de Toulouse, et qui a accepté de s’y consacrer entièrement en tant que directeur artistique.
Le festival a donné aussi naissance au concours international d’orgue de Toulouse depuis 1996.
Les points forts de cette édition sont des hommages « à des histoires d’hommes et d’instruments. Aristide Cavaillé-Coll génial facteur toulousain d’instruments dont c’est le bicentenaire, et Jehan Alain dont on célèbre le centième anniversaire de la naissance, sont à l’honneur. L’un parce que ses orgues seront touchés et magnifiés sonnant comme de magnifiques orchestres. Ceux de Saint-Cernin, du Gesu, de Saint-Étienne…
On connaît de grands compositeurs contemporains pour cet instrument comme Olivier Messiaen, Thierry Escaich, voire Ligeti, mais le plus oublié et le plus émouvant demeure Jehan Alain, dont pendant longtemps seule sa sœur Marie-Claire Alain défendit la mémoire. Le festival lui rend un grand hommage au travers d’une exposition et de quelques-unes de ses œuvres, d’une lecture avec Brigitte Fossey d’un spectacle musical sur ses lettres du front, d’un concert avec L’orchestre du Capitole, de ses pièces pour orgue, de nombreuses conférences.
Mais pour émouvoir ce lourd instrument, il faut de grands organistes : Louis Robillard, David Briggs, Olivier Vernet, Michel Bouvard, Jean-Wilhem Jansen seront ceux-là. Bien sûr le dieu tutélaire de ce festival, un certain Jean-Sébastien Bach ne pouvait être absent. Sa Messe en si sera passée au régime amaigrissant de Sigiswald Kuijken.
Mais sans ses pochettes surprises le festival Toulouse Les Orgues perdrait son identité malicieuse. Et Pierre et le Loup avec la voix grave de Jean-Jacques Cubaynes, fera bon ménage avec la danse suspendue aux murs du musée Saint-Raymond, et un ciné-concert autour de Finis Terrae de Jean Epstein, du jazz. Les Sacqueboutiers et le tromboniste toulousain Fabrice Millischer astiqueront les cuivres. Et une bien téméraire transcription de la troisième symphonie de Gustav Mahler ne manquera pas de nous intriguer, car comment faire tenir ce fleuve Amazone de la musique occidentale dans un seul instrument, fut-il immense ?
Des aubades, des messes feront un lien musical continu. La découverte des orgues de la Montagne Noire et du Lauragais, et de la Gascogne
Ce riche programme qui sait faire la part aux hommages, à la célébration de l’orgue, mais aussi aux rencontres insolites, promet de maintenir le festival Toulouse Les Orgues au niveau européen.
et que sonnent, sonnent toujours ces « clairons de la pensée » que sont les orgues.
Gil Pressnitzer