Inutile de réfléchir longtemps mais au Top 5 des rôles pour soprano dramatique, Tosca est toujours présente, depuis plus d’un siècle, Tosca, une meurtrière par amour, ou, comment transposer sur une scène lyrique, un drame somme toute banal, dit “vériste“ ?
Du sang, de la volupté, de la mort, trois mots qui caractérisent une trame bien ordinaire. Nous sommes à Rome en 1800. La belle Floria, soprano, aime le beau Mario, ténor, mais sur leur chemin se trouve l’ignoble Scarpia, baryton, c’est tout, ou presque. Tosca est cantatrice, Cavaradossi est peintre et républicain notoire, et le baron Scarpia, chef de la police. Son désir de posséder Tosca est le ressort principal de ce drame qui se noue dans la Rome pontificale.
C’est donc avec un tel livret que Giacomo Puccini sent qu’il va « amener son public aux larmes ». La découverte, en effet, du “mélo“ français, La Tosca de Victorien Sardou, un soir de 1889 à Milan, a fait “tilt“. Il est persuadé que le mélange de sexe, religion et théâtre va captiver le public d’opéra. Ce natif de Lucques, dont une des maximes est : « Et faire pleurer, toujours, mais avec quelque chose de merveilleux, séduisant et gracieux », vous dira aussi : « pas trop de psychologie ».
De façon implacable, le plus célèbre compositeur italien depuis la retraite de Verdi va mettre en scène le sadisme, la tentative de viol, l’ambiguïté du désir. Dans Tosca, la dépravation accompagne la tyrannie. On avance d’un pas de plus dans la réalisation d’un authentique théâtre de la cruauté. Au bilan, l’opéra ne comporte pas moins de deux suicides, une exécution et un assassinat les deux sur scène, sans compter une séance de torture, en coulisses tout de même !
C’est ainsi que le drame dans lequel le sang aura raison de tous, fera quatre morts en vingt-quatre heures, évoluant vers son dénouement sans interruption, de façon rapide, efficace, terrible. Puccini, « le maître-queux du drame humain » traque tout ralentissement, précipite le rythme. La concision est impitoyable tandis que trame du livret et portée ne font qu’un.
Mais la réussite passe avant tout par la musique, exacte, brutale, et ce, dès les trois accords lugubres, implacables fendant l’air en guise de prélude. Telle est la force de Tosca, capable de faire entendre dans le discours musical, et jusque dans le grain de la voix les ambiguïtés des personnages. Tosca est sensuelle et dévote, amante jalouse et musicienne, toujours en représentation, à l’église comme à la scène. Elle poignarde avec détermination. Elle meurt le poing tendu vers le ciel, blasphémant. La soprano lyrico-dramatique d’envergure est l’américaine Catherine Naglestad couronnée il y a peu à Dallas pour son interprétation justement de Tosca. Mario, c’est l’artiste et l’amant, martyr et révolutionnaire, dont la richesse de la palette de peintre s’accorde avec celle de sa voix : généreuse, pleine, un peu emphatique même. Impressionnant Otello, mais aussi Hermann sur la scène du Capitole, on a hâte de découvrir en Cavaradossi, le puissant ténor russe Vladimir Galouzine. Le fameux « Vittoria » risque d’être d’anthologie !
S’il meurt à la fin de l’avant-dernier acte, Scarpia reste l’épicentre de l’opéra. Impulsif, assoiffé de pouvoir et de conquêtes féminines, il est cynique, sadique, d’une hypocrite bigoterie, et ne suscite que dégoût et haine. Pour un tel rôle à multiples facettes, il faut un baryton, tonitruant par instants, élégant dans certains phrasés, au souffle parfaitement maîtrisé jusqu’à la caresse vocale. De la prestance, de la volupté : pas facile. Un acteur plus une voix, c’est impératif. Frank Ferrari relève le défi et sera Scarpia pour toutes les représentations.
Pour diriger le tout, Tugan Sokhiev est à la baguette. Les qualités démontrées il y a peu dans Aïda vont trouver ici leur plein épanouissement. Car si les mélodies et les lignes vocales traditionnelles demeurent fidèles à l’esthétique de l’opéra italien, le langage harmonique et orchestral, lui, est absolument original : Puccini sait, par des touches impressionnistes et un coloris orchestral somptueux, créer instantanément des atmosphères. C’est le chef qu’il nous faut pour traduire sans faille cette langue musicale exceptionnellement souple qui fait feu de tout bois.
Théâtre du Capitole – du 29 septembre au 14 octobre.
Références audio – video sur Tosca
Impossible d’ignorer le mythe Callas. De près ou de loin, un demi-siècle ou plus écoulé depuis, on se doit de connaître son enregistrement de 1956 avec le chef Victor de Sabata.
Mais, Decca vous livre un formidable document d’archives, capté au Metropolitan de New-York en 1978 avec Shirley Verett, Luciano Pavarotti, et Cornell mac Neil, tous sous la direction alors du tout jeune James Conlon, dans une mise en scène efficace d’un certain Tito Gobbi, Scarpia 879 fois à la scène !!
Et, pour faire plus actuel, chez Decca toujours, un DVD, référence moderne pour cet opéra, filmé à Zurich en 2009, dans une mise en scène de Robert Carsen, dirigé par Paolo Carignani. Tout est réussite, aussi bien les protagonistes, Emily Magee, Jonas Kaufmann, Thomas Hampson, que la direction musicale comme celle des acteurs, mais réussite encore, véritable cerise sur le gâteau, dans la réalisation du film lui-même. Une représentation filmée qui ne peut que vous amener à aimer l’opéra.
Que des Tosca que l’on envie de vivre !! et d’applaudir sans fin.
Michel Grialou