Avec Takeshi Kitano, Jun Kumimura, Ryo Kase, édité en DVD chez HK Vidéo.
Un yakuza du clan Otomo, associé au clan Ikemoto, est arnaqué par les patrons d’un bar à putes travaillant pour le clan Murase, qui vient de signer une alliance avec Ikemoto. Cet outrage va provoquer des tensions dans le clan, où, entre multiples règlements de compte, chaque malfrat veut tirer son épingle du jeu et trahir ses semblables.
Takeshi Kitano retrouve ici le genre cinématographique qui l’a popularisé en dehors du Japon, et a contribué à changer le regard de ses compatriotes sur son travail : le film de yakuzas. Après un intermède introspectif (« Takeshi’s », « Glory to the Filmmaker ! », et « Achille et la tortue »), le réalisateur japonais se re-confronte aux mafieux du Soleil Levant, en lâchant en route une partie des gimmicks qu’il avait inventés pour aller vers quelque chose de plus sobre et classieux.
Alors, bien sûr, nous retrouvons encore une scène sur la plage, mais les yakuzas ne sont plus ces pantins désoeuvrés en chemise hawaïenne, en attendant que la mort leur tombe au coin de la figure. Dans « Outrage », ils sont habillés de façon classe, en costumes, chemise sombre et cravate. L’humour burlesque est absent au profit de joutes verbales très bruyantes et excitées. Un comble pour un metteur en scène qui avait pour habitude d’élaguer au maximum ses dialogues. L’ancienne marque de fabrique de Kitano, c’était ces plans silencieux, où un personnage regardait fixement la caméra, stoïque, sans rien dire, de manière à préparer le terrain à une violence survenant sans crier gare, de simples coups de feu rompant le silence et clôturant les errances de morts en sursis.
Pourtant, « Outrage » est certainement le film le plus violent de Kitano. Une violence qui surprend moins, car nous la sentons plus venir, mais qui n’en demeure pas moins assez crue (même si toujours outrancière) : charcutage au cutter, torture chez le dentiste, tabassage en règle, le réalisateur de « Sonatine » nous propose un éventail large de mises à mort variées, accumulant les règlements de compte sans perdre de vue son intention de livrer un objet plus abouti formellement que ses précédents opus.
Cette volonté de moins aller dans l’elliptique et plus dans le frontal, combinée à la recherche d’une esthétique moins « photo de vacances » et plus « film noir » témoigne certainement d’une intention d’aller repêcher les fans occidentaux que le cinéaste avait perdu en route. Car s’il s’est éloigné de son étiquette » réalisateur de films de gangsters », ses films ont ainsi pâti d’une distribution internationale ne sachant pas trop comment communiquer autour de métrages plus centrés sur la double image d’un Kitano (cinéaste)/Beat Takeshi (trublion à la télévision) propre à l’archipel japonais.
A travers « Outrage », Kitano parvient quand même à se renouveler un minimum avec un film étonnamment bavard, offrant au spectateur de nombreuses joutes verbales, dont les répliques s’enchaînent aussi vite qu’un spectacle de manzaï (style comique japonais composé d’un duo de comiques qui enchaînent les blagues sur un rythme très soutenu). La violence graphique et la violence verbale de ce film rappelle les dialogues énergiques du cinéma Hong Kongais, et particulièrement la filmographie de Johnnie To, dont « outrage » entretient certains points communs avec son diptyque « Election ».
Le film commence sur un banal affront survenu en boîte de nuit, mais qui prend ensuite des proportions inimaginables lorsque le chef de clan manipule les protagonistes pour les faire tourner en bourriques : l’humour décalé de Kitano trouve ainsi le moyen de s’exprimer, puisque le scénario dépeint la descente aux enfers d’un clan de yakuzas à travers les luttes internes qui frôlent l’overdose de trahisons et manipulations, jusqu’à la farce. Le parti pris scénaristique atteint son paroxysme dans la dernière demie-heure, où on atteint le n’importe quoi dans l’échiquier yakuza, où on ne comprend finalement plus quel intérêt ont les uns et les autres à s’entre-tuer. Le metteur en scène retombe finalement sur ses pattes, et les pantins désoeuvrés de « Sonatine » ne sont pas si loin, l’effet domino a changé de décor, les voitures rutilantes remplaçant le sable de la plage.
Au final, « Outrage » peine à trouver son rythme, mais le résultat se révèle un excellent nouveau départ dans la filmographie du maître. Dans les bonus, Kitano plaisante : « On m’a tellement bassiné pour que je réalise à nouveau un film de yakuzas. Mais j’ai livré un film tellement violent qu’on ne m’en réclamera plus« .
Thomas Berthelon : http://thomasberthelon.com