Un film d’animation de 2008 de Mamoru Oshii, produit par le studio Production I.G. Disponible en DVD chez Wild Side Vidéo.
En pleine guerre aérienne entre Rostock et Lautern, le pilote d’avion Kannami vient d’intégrer une base dirigée par la belle Kusanagi. Très vite, Kannami regrette de ne pas avoir pu rencontrer son prédécesseur, un pilote nommé Jinroh : est-il mort ? Disparu ? Les autres pilotes sont muets sur le sujet. La particularité de ces chevaliers du ciel ? Ce sont des « kildren« , des êtres ne pouvant vieillir, prisonniers de corps de jeunes adultes. Progressivement, les langues se délient, et nous en apprenons plus sur cette guerre d’un genre particulier.
Chaque nouveau film du maître Oshii constitue un évènement. Après l’OVNI « Tachiguishi Retsuden » sur la restauration rapide, réalisé à partir d’animations de photos, le réalisateur de « Ghost in the shell » revient au monde du dessin animé qui l’a fait roi. « Sky Crawlers » est ainsi son premier film d’animation traditionnel depuis son chef-d’oeuvre « Innocence » (2004), et on retrouve bel et bien l’univers particulier du réalisateur, champion incontesté de l’auto-citation : l’incontournable basset, les plans contemplatifs où ses personnages observent le ciel, les plages douces de la bande-son de Kenji Kawai, sa fascination pour les armes et les avions de guerre, ses références visuelles rétro, ses infographies aux tons ocres… Le bonhomme va même jusqu’à nommer certains personnages en référence à d’autres de ses films : la brune et attirante Kusanagi (« Ghost in the shell »), le fantôme Jinroh (« Jin Roh, la brigade des loups » qu’il a produit et supervisé).
Dans ce métrage, Oshii délaisse cependant la dimension politico-fictionnelle et ses scénarios imperméables aux nombreuses citations littéraires, pour mieux nous plonger dans le quotidien de ces pilotes d’un genre nouveau. La mémoire floue, un passé quasiment vierge, ces jeunes gens semblent condamnés à errer dans la base, répétant les mêmes gestes (la lecture et le pliage de journaux, la dégustation de bières fraîches, la cigarette, la sortie en ville pour déguster des quiches…) quand ils sont au sol, sans manifester beaucoup d’émotions. La mise en scène est très efficace, ne dévoilant ce que sont vraiment ces pilotes qu’au cours du film, et insistant sur la quotidienneté des actions sans pour autant trop insister sur l’aspect « pantin » des pilotes.
Ce que l’on considère dans un premier temps comme une mélancolie face à la guerre et ses victimes, n’est autre qu’une errance continue devant l’absence de but d’une existence consacrée à des enjeux qui ne sont dévoilés que tardivement, dans une réplique balancée froidement par un personnage dans une conversation presque anodine. Fidèle à lui-même Oshii, fasciné depuis toujours par les pantins et les poupées, livre à nouveau une réflexion sur des personnages aux corps artificiels, poursuivant des activités meurtrières dans un but fictif ou virtuel (sans trop dévoiler le film, même si la jaquette du DVD est impitoyable de ce côté-là, on est proche d’« Avalon » et de sa guerre virtuelle où l’esprit meurt vraiment).
Faux-semblants, réflexions sur la cohabitation nécessaire entre guerre et paix, pantins capables de sentiments, vous l’aurez compris, même s’il y a quelques joutes aériennes, on est loin de l’exaltation de « Top Gun ». A aucun moment nous n’avons le sentiment que les personnages vivent, respirent, ne sont obsédés que par l’espace aérien. Comme des fantômes, ces pilotes semblent hermétiques entre eux, et même les scènes de coucherie sont présentées comme des passages obligés, sans passion, comme des devoirs s’intégrant parfaitement à une vie attendue. Comme hors du temps, coupé de tout, et fonctionnant presque en huis clos, l’ensemble base/ville semble trop tranquille pour être honnête. Mais encore une fois, la découverte de la vérité par Kannami n’entraîne aucune forme de révolte, flirtant plutôt avec une sorte de fatalité. L’unique scène où les personnages se lâchent arrive presque trop tard, le spectateur ayant perdu ses illusions, s’étant fait une raison sur la vraie identité de ce lieu accueillant les nouveaux pilotes dans un rouage parfaitement huilé. Déshumanisé.
Le véritable personnage central de cette histoire n’est autre que la responsable de la base, Kusanagi. Psychologiquement instable, héritière d’un passé sentimental douloureux progressivement dévoilé, opérant un jeu dangereux de séduction avec Kannami, mère d’une mystérieuse jeune fille, elle porte le flambeau d’une humanité bien rare. Suicidaire, amoureuse, femme fatale, dangereuse et simple figure maternelle, elle se situe dans la droite lignée des femmes héroïnes peuplant le cinéma d’Oshii : le major Kusanagi bien sûr, mais aussi la guerrière gameuse Ash (« Avalon ») ou l’officier et amante Nagumo (« Patlabor 2 »).