La première pierre de la chapelle, seul vestige de l’ancien couvent des Carmélites, en a été posée par le roi Louis XIII et son épouse Anne d’Autriche, le 1er juillet 1622, année de canonisation de sainte Thérèse d’Avila ; le roi s’était engagé à donner 25 000 livres pour mener à terme la construction de l’édifice mais il ne tint pas sa promesse. Les travaux débutèrent grâce au président des enquêtes du parlement de Toulouse dont les cinq filles étaient moniales de cet ordre. Le décor peint habillant la voûte lambrissée et les murs, réalisé par les artistes Rivals et Despax, est un ensemble unique dans le Sud-ouest par la qualité des peintures et par la richesse iconographique. Désaffectée lorsque les Carmélites en furent chassées par la Convention en 1791, la chapelle fut rendue au culte dès 1807 pour le grand Séminaire. À la suite de la séparation de l’Église et de l’État, elle devient propriété de l’État et fut attribuée à l’Université de Toulouse (1908) : elle abrita un temps un musée de moulages. Depuis 2007, la chapelle relève de la Ville de Toulouse : le jardin a récemment été aménagé en terrasse de café pour permettre aux visiteurs de prendre un thé chaud, un jus de fruit naturel ou une délicieuse gourmandise locale, à l’ombre des Cèdres.
C’est dans ce cadre exceptionnel que bravant la chaleur caniculaire, le public est venu nombreux pour le premier des concerts orchestrés avec maestria par Catherine Kauffmann Saint Martin, après ceux de l’Orangerie de Rochemontès de douce mémoire.
Doit-on présenter encore Madame Marie-Christine Barrault, une des grandes Dames du théâtre et du cinéma en France ? Sa voix tout de suite reconnaissable, comme celle de Jeanne Moreau ou d’Isabelle Huppert, est au diapason de cette Chapelle. Quand on pense que son oncle, Jean-Louis, lui déconseilla de s’engager dans le métier de comédienne, on se réjouit qu’elle ne l’ait pas écouté, tant elle donne chair et âme aux personnages qu’elle incarne et aux voix d’outre-tombe, comme dirait Chateaubriand, qu’elle porte jusqu’à nous. Rappelons juste qu’Eric Rohmer lui a offert son premier rôle au cinéma dans Ma nuit chez Maud et qu’elle fut l’inoubliable interprète de Cousin, Cousine de Jean-Charles Tacchella pour laquelle elle a été nommée en 1976 pour l’Oscar de la Meilleure Actrice…, qu’elle a incarné des personnages forts, adaptés de la littérature et de la réalité, tels Marie Curie ou Jenny Marx, qu’elle a joué L’Allée du roi, monologue adapté du roman de Françoise Chandernagor…, qu’elle a enregistré des disques de chansons, textes et contes musicaux : Terre des Hommes de Saint-Exupéry, Pierre et le Loup de Prokofiev…
On sent tout se suite combien elle aime travailler en compagnie de musiciens sur des spectacles mêlant musique et texte. Reconnue aujourd’hui comme une des plus mélomanes des actrices françaises, elle est depuis 2007 présidente d’honneur des Fêtes Romantiques de Nohant, festival qui se tient dans le Berry autour du souvenir de George Sand et Chopin.
Enfant, je passais des vacances solitaires mais enchantées en Berry dans le château de ma grand-mère, à Aiguirande, non loin de La Châtre et de Nohant : je vagabondais librement dans les « traînes », ces pittoresques chemins creux du bocage, où, écrivait Sand dans Valentine (1832), « vous pouvez marcher une heure sans entendre d’autre bruit que le vol d’un merle, effarouché à votre approche, ou le saut d’une petite grenouille verte et brillante comme une émeraude, qui dormait dans son hamac de joncs entrelacés… ». J’y dévorais les œuvres de Madame Sand, qui se faisait prénommer George, une des rares femmes de son temps à vivre indépendante de sa plume, dont mon arrière-grand-père avait été, me disait-on, un des médecins. Et j’y ai été bercé par les enregistrements, par Sanson François, de Frédéric Chopin (1810-1849), cet immense musicien qui convenait tant à ma rêverie. J’ai toujours gardé une tendresse particulière pour lui, en particulier pour ses Nocturnes (celui en Si bémol majeur Opus 9 n°2 m’émeuvait aux larmes), dont Brigitte Engerer (qui est partie bien trop tôt en 2012) a fait un enregistrement inoubliable.
Véritables icônes du romantisme, Frédéric Chopin et George Sand se sont aimés pendant neuf ans. Lui, compositeur de génie entièrement voué à son art mais de nature fragile et tourmentée ; elle, star littéraire passionnée par l’écriture, la liberté… et la vie.
Dans Histoire de ma vie, Marie-Christine Barrault a choisi de nombreux passages dont celui où Sand parle ainsi de Chopin à Majorque : « … Au retour de mes explorations nocturnes, dans les ruines, avec mes enfants, je le trouvais à onze heures du soir, pâle devant son piano, les yeux hagards et les cheveux presque dressés sur la tête. Il lui fallait quelques instants pour nous reconnaître. Il faisait un grand effort pour rire et il nous jouait des choses sublimes qu’il venait de composer… C’est là qu’il a composé les plus belles de ces courtes pages qu’il intitulait modestement des préludes. Ce sont des chefs-d’œuvre… D’autres encore sont d’une tristesse morne et en vous charmant l’oreille vous navrent le cœur… »
Le lendemain, Chopin joua le Prélude en si bémol mineur !
A Nohant, il écrivit le Prélude en do dièse majeur, les Polonaises en mi mineur et do mineur, des mazurkas, la Sonate en si bémol mineur, dans laquelle il intercala la sublime Marche Funèbre composée, dit-on, pour accompagner au piano des funérailles terminant le spectacle d’un théâtre de marionnettes de Maurice Sand. De nombreuses distractions entouraient Chopin à la campagne. George Sand recevait l’élite de son époque, un monde de littérateurs et d’artistes, en particulier Eugène Delacroix dont les lettres révèlent la vie à Nohant et son contact avec Chopin : « C’est le plus vrai artiste que j’aie rencontré. Il est de ceux, en petit nombre, qu’on peut admirer et estimer. » Mais la maladie le terrassa de nouveau, le minant lentement, sûrement. La compagnie d’un poitrinaire ne pouvait plaire longtemps à George Sand. Elle avait déjà reporté son affection sur d’autres et attendait une séparation qu’elle n’osait provoquer.
A l’origine de plusieurs saisons musicales, dont le festival « Tons Voisins » à Albi, qui rencontre un vif succès, Denis Pascal qui se produit en France et dans le monde entier comme soliste et musicien de chambre, a été professeur de piano au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon avant d’être nommé à celui de Paris ; et cela s’entend : il est très respectueux d’un des phares de notre patrimoine musicologique. Sans doute, comme les autres artistes, souffre t-il de la chaleur étouffante. Mais il lui manque peut-être, à mon goût, un peu de folie pour ces œuvres de Chopin, d’autant plus que les textes de George Sand lus aujourd’hui en particulier présentent ce musicien comme exalté, à la limite entre le génie et la folie.
Par contre, la violoncelliste Marie-Paule Milone, dont on sent bien qu’elle a multiplié les rencontres créatrices (Janos Starker, Tedi Papavrami etc.) en plus de sa formation classique, apporte sa fougue et son « duende » (si Lorca me le permet) à cette note bleue dont il est question cet après-midi : les amateurs de jazz et de blues connaissent certainement celle, fameuse, qui modifie subitement et de manière inattendue l’atmosphère générale d’un morceau. Mais qui sait qu’en réalité, cette expression fut inventée par Sand parlant de Chopin dont la musique délivre fréquemment des changements d’humeur foudroyants, souvent nocturnes et mélancoliques.
Cette musicienne, même ruisselante, est la révélation de cet après-midi exceptionnel.
A travers les témoignages écrits des plus grandes personnalités de son temps confrontés à l’art fantastique de Chopin (George Sand, Eugène Delacroix, Hector Berlioz etc. qui tous s’inclinent respectueusement devant lui), et à travers certaines des pièces les plus fameuses du compositeur franco-polonais, Marie-Christine Barrault, Denis Pascal et Marie-Paule Milone nous ont entrainés dans les soirées célèbres de la vie mondaine parisienne ou de Nohant durant lesquelles ce musicien hypnotisait une audience choisie par la magie de son clavier et de sa musique.
On ne pouvait rêver mieux pour ouvrir en beauté ces nouveaux Dialogues en Musique dans l’écrin de la Chapelle des Carmélites. Et le feu d’artifice continuera le dimanche 3 septembre à 16h dans le même lieu.
« Rien n’est bon que d’aimer » évoque en mots et musique Pauline Viardot, immense cantatrice du 19ème siècle, fille de Manuel Garcia, sœur de Maria Malibran, « La meilleure des femmes » pour Tourguéniev, « L’être le plus parfait » pour George Sand. Avec amour et tendresse, Pauline Viardot, égérie, interprète et amie des figures artistiques majeures de l’époque, appelle à ses côtés ceux qui, pour elle, ont tant compté.
Mélodies, romances et pièces pour piano répondront aux extraits de sa correspondance, s’attachant à l’aspect fragile et poétique d’une chanteuse adulée. Magali Léger, soprano, Laure Urgin, récitante et Marie Vermeulin, pianiste, raconteront l’intimité d’un personnage fascinant.
Nos yeux se remplissent peu à peu des teintes douces qui correspondent aux suaves ondulations saisies par le sens auditif. Et puis la note bleue résonne et nous voilà dans l’azur de la nuit transparente.
Et chacun repart avec sa note bleue. Claude Nougaro avait la sienne, même si elle fut posthume.
Longue vie aux Musiques en Dialogue aux Carmélites: je ne doute pas un instant que la note bleue va y résonner à chaque fois.
E.Fabre-Maigné
27-VIII-2017
Pour en savoir plus:
La Chapelle des Carmélites 1 rue du Périgord – 31000 Toulouse Tél. 05 34 44 92 05 Métro Capitole (ligne A) ou Jeanne d’Arc (ligne B)
Musique en dialogues aux Carmélites est soutenue par la Mairie de Toulouse et organisée par VMI Productions
photos : Jean-Jacques Ader / Alain Huc de Vaubert