Alors que la Basilique Saint-Sernin vient de sonner les douze coups de midi, une dizaine de personnes sont déjà installées aux tables du Canithé. Beaucoup sont venus pour déjeuner, qu’ils soient entre amis, seuls ou en famille; d’autres simplement pour siroter un jus en étudiant. Mais tous, entre deux bouchées de tarte végétarienne ou deux gorgées de thé bio, traînent la main en espérant caresser l’un de nos amis à quatre pattes, qui se baladent entre les chaises, langue tirée et queue en l’air. Bienvenue au tout premier bar à chien de Toulouse.
Certains des canins ne remarqueront même pas votre entrée dans l’établissement, trop occupés à mâchouiller leur jouet en plastique, mais soyez en sûr, d’autres de ces boules de poils vous auront vu traverser la rue des Trois Renards, espérant que votre arrêt terminus soit prévu au numéro 1. Derrière le comptoir, Claire, 31 ans, co-fondatrice et gérante du premier café à chiens de Toulouse. À ses pieds, Oia, une petite Beagle. Sans le savoir, c’est en partie grâce à elle que le lieu est né. Alors que sa to-do list se résume à jouer, manger, dormir et donner tout son amour; la chienne de quatre ans a inspiré ce qu’est devenu, le repère des amoureux de nos amis à quatre pattes, le Canithé.
Le bonheur commence dès l’ouverture de la porte. La gueule ouverte, la queue qui remue et des petits sauts d’impatience; chaque client à le droit à un accueil des plus chaleureux. Retenus par une barrière les empêchant de sortir à chaque nouvelle entrée, les plus agités attendent qu’on la franchisse pour enfin pouvoir nous lécher les mains et nous sautiller sur les jambes.
Si certains apprécient le contact aux premiers abords, d’autres préfèrent au contraire rester dans leur coin, et attendre le bon moment pour se présenter. Car oui, le consentement c’est même chez les animaux. Claire a en partie créé ce lieu pour le rappeler : “Le Canithé est un lieu pour venir partager des moments avec des animaux. Pas forcément les caresser. Un chien, contrairement à ce que l’on pense, n’est pas fait pour être caresser de base. C’est comme les humains, il y a des personnes tactiles et d’autres moins, voire pas du tout. Chez eux c’est exactement pareil, et ça fait partie des valeurs qu’on essaie de transmettre à travers le bar. Quand ils dorment on les laisse dormir, quand ils jouent, quand ils machouillent, pareil.”
Repère gourmand
Le long des murs bleus courent des banquettes en bois sur lesquelles les clients dégustent leur déjeuner, zieutés par des regards gourmands, à l’affût d’un morceau tombant. Au menu ce midi, tarte de légumes de saison et burger végétarien. Claire travaille avec Alice, traiteur chez Aloe Vega, cuisine végétale. “Elle produit la nourriture et moi un peu tout le reste ! Je l’assemble, je la réchauffe, je dresse à l’assiette, je prends commande et je sers à table. C’était l’une de mes volontés, garder le contact humain”. Et ce, à n’importe quelle heure de la journée !
Ici, les commandes sucrées et salées sont prises en continu, si vous voulez manger un burger à 17h, c’est tout à fait possible. La carte se compose de quatre plats chauds, changeants toutes les semaines, et jusqu’à sept variétés de pâtisseries et desserts. Pour faire passer le tout, une carte de boissons artisanales vient compléter l’offre. Thé glacé et bières de Gaillac, limonade à la groseille, tonic, cola, thé toulousain par une productrice qui sèche et assemble elle-même ses compositions, café fourni par un torréfacteur du Gers… La plupart des produits sont bios et locaux. Pour les café latte ou les cappuccino, l’or noir sera accomodé d’un lait végétal. “Il n’y a pas de protéine animale au Canithé. Ici on préfère les animaux vivants.”
La dernière bouchée avalée, la fourchette à peine posée que le premier réflexe est de câliner ces boules d’amour. Les visages s’illuminent, la joie résonne. Un plaisir que tout le monde ne peut pas s’offrir, par manque de place, de temps, ou d’argent. Alors le Canithé offre ces moments de tendresse et d’égarement. Une routine à laquelle on ne peut que s’habituer. C’est le cas d’un client en fond de salle, un professeur de fac : “Je viens ici pour me détendre entre deux heures de cours, c’est très apaisant, on s’y sent bien. J’essaie de venir le plus régulièrement possible, deux à trois fois par semaine. Je ne suis pas du tout en situation où je peux adopter. Je vis en appartement et je me déplace beaucoup pour des raisons professionnelles, à l’étranger entre autres. Prendre un chien c’est un engagement et des responsabilités. Et comme je les adore, je viens ici, c’est un plaisir.”
L’adoption réfléchie
Si certains viennent ici par substitution, d’autres se déplacent dans la démarche de potentiellement adopter une de ces petites bêtes. Claire travaille avec l’association toulousaine de protection animale Musotopia. Elle recueille des animaux maltraités et/ou abandonnés, qu’elle replace exclusivement en familles d’accueil. “Un panel de personnes se proposent volontairement pour accueillir les animaux, ils font des sauvetages en fonction des places disponibles. C’est un moyen d’aider encore trop peu connu, il s’agit d’une étape de transition, un relai entre leur vie d’avant et leur future famille”. Les familles d’accueil déposent leur fameux toutou éphémère au Canithé dans la journée, pour permettre aux futurs maîtres et maîtresses de les rencontrer.
Si le café à chien n’intervient pas dans la démarche d’adoption, c’est fermement qu’il est nécessaire de sensibiliser à l’adoption dite réfléchie. “Pour Noël, des associations de protection animale rappellent qu’un animal n’est pas un cadeau, pas un objet. C’est vraiment ce qu’on essaie d’apprendre aux gens. Une adoption doit être réfléchie, c’est un changement de vie, au même titre qu’avoir un enfant. La responsabilité est la même, c’est un engagement à évaluer dans sa famille, dans son foyer. Avoir un chien c’est aussi un énorme engagement financier, un aspect qu’on oublie souvent mais entre la nourriture et les potentiels soins, ça peut coûter des milliers d’euros”. Une réalité à prendre en compte au moment de remplir les papiers, une réorganisation du quotidien, mais le jeu en vaut la chandelle. “Bon moi j’ai créé mon entreprise autour de ma chienne, c’est un peu l’extrême (rires) ! Mais je dis toujours que ma chienne m’a sauvé, quand ça n’allait pas dans ma vie. Je suis convaincue de l’apport bénéfique qu’ont les animaux sur les humains. Ils aident les gens à se réancrer, se rattacher à la réalité quand des fois elle est devenue insupportable. C’est quelque chose qui me passionne, et que je voulais transmettre au Canithé, avant tout”.
Article et photos par Julie Rodriguez
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