On le sait, monter une nouvelle production de Parsifal dans un théâtre relève du défi superlatif. Ce sera donc l’événement au Théâtre du Capitole en cette fin janvier pour 5 représentations. Il en faut du monde, sur le plateau, dans la fosse, la fameuse « abîme mystique » et en coulisses ! Rude tâche pour un spectacle de plus de cinq heures et demie, avec deux entractes.
Pour cette œuvre-testament, Wagner réclame un quatuor vocal masculin d’exception. Il l’a, avec Nikolai Schukoff, Matthias Goerne, Peter Rose et Pierre-Yves Pruvot. Seul premier rôle féminin, Sophie Koch couronne le tout.
Pour oser Parsifal, œuvre profondément complexe qui exige une certaine lumière, une certaine possibilité de couleurs, on ne peut les obtenir déjà côté musique, que d’un ensemble de musiciens prêts à se lancer dans cette longue aventure, et tous, d’un niveau certain. C’est le cas pour notre Orchestre National du Capitole. Pour diriger le plateau de cette « œuvre inouïe », dixit le compositeur, il faut un CHEF. C’est Frank Beermann. Ni trop vite, ni trop lent, c’est d’un équilibre rare. Les masses chorales seront impressionnantes avec les Chœur et Maîtrise du Capitole renforcés par les Chœurs de l’Opéra National de Montpellier. Ils constituent un élément majeur dans l’ouvrage. Elles sont dirigées par Alfonso Caiani.
Pour le côté théâtre, Christophe Ghristi, Directeur artistique du Théâtre a fait le choix d’Aurélien Bory, artiste phare de la scène contemporaine internationale, déjà en charge alors au Capitole d’Il Prigioniero de Dallapiccola et du Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók en octobre 2015.
Richard Wagner qualifiait son Parsifal de festival qui encense la scène. Ainsi, élargissait-il et approfondissait-il le concept de festival scénique qu’il avait auparavant attribué à l’Anneau du Nibelung, son véritable “opus magnum“, assurément l’œuvre dramatique la plus exigeante de toute l’histoire de la musique. Wagner ne comprenait pas « qui encense » comme une allusion à un acte religieux, mais plutôt comme une disposition particulière de l’esprit permettant d’atteindre à un principe stylistique particulier. On est très loin donc, avec Parsifal, de toutes les productions opératiques passées et présentes.
Osons un mini-résumé pour ce monument de plus de quatre heures de musique et de chant.
Avec sa ligne dépouillée à l’unisson aux vents et aux cordes, suivie d’accords arpégés éthérés, qui représentent la sphère du Graal, nous sommes transportés dans un autre monde dès les premières mesures d’un Prélude de douze minutes environ. Il doit être donné dans un noir complet. L’acte I nous plonge dans la désolation du royaume de Montsalvat, pays situé dans les montagnes pyrénéennes. Chanté par le baryton Matthias Goerne, le roi Amfortas, qui a jadis succombé au péché, la faute à Kundry, et perdu en même temps la Lance “sainte“, souffre à présent et éternellement d’une blessure inguérissable, faite avec la fameuse Lance. Il attend son salut de la mort ou bien d’un héros dont la “pureté“, et fort du savoir que donne la compassion, pourra le délivrer avec cette même lance qui le guérira alors. Ce héros prédestiné, Parsifal, apparaît. Rôle pour le ténor Nikolai Schukoff. La basse Peter Rose sera Gurnemanz, le plus vieux chevalier du Graal, et à ce titre, écuyer du roi, chancelier impuissant de ce royaume en déshérence. Il fait assister Parsifal à une cérémonie secrète qui rappelle le mystère de la Cène et au cours de laquelle, on dévoile le Graal sur l’ordre du vieux Titurel, père d’Amfortas, une célébration qui a le pouvoir de le maintenir en vie. Le Graal est la coupe qui a recueilli le sang du Christ au Golgotha, au pied de la croix. Titurel, c’est pour le baryton-basse Julien Véronèse. Ignorant de tous ces faits, Parsifal reste étonné, ne dit mot, ne pose aucune question, encore moins LA question, alors que tous attendent de lui une réaction. Il est donc renvoyé brutalement par Gurnemanz.
Changement de décor avec l’acte II.
Il nous mène dans le jardin féérique du magicien Klingsor, le baryton Pierre-Yves Pruvot, autrefois écarté de l’Ordre des chevaliers, et mutilé. Ce jardin est un domaine des délices. En quittant Montsalvat, Parsifal y parvient. Le mage, l’enchanteur ? a réussi à remettre Kundry sous sa coupe. Kundry, c’est la mezzosoprano Sophie Koch. Parsifal a déjoué les gardes et n’a pas donné suite aux tentations et agaceries des Filles-Fleurs. Klingsor ordonne alors à Kundry, tombée en transe, de séduire l’opiniâtre adolescent tout innocent, comme elle le fit autrefois avec Amfortas. Elle rejoint les Filles-Fleurs et c’est en l’appelant par son nom qu’elle lui révèle son identité. Parsifal réagit brusquement. Elle lui annonce le décès de sa mère Herzeleide, morte de chagrin, se croyant abandonnée par son fils. Elle promet cependant d’apporter elle-même, réconfort et connaissance au désespéré, bouleversé de remords, grâce au premier baiser d’amour, sorte de dernière bénédiction maternelle.
Mais l’étreinte de Kundry qui devait rendre l’adolescent inoffensif, atteint le résultat contraire : grâce à elle, s’éveille chez Parsifal un sentiment de compréhension pour les souffrances d’Amfortas. Sous la brûlure du sang, il a perçu la plainte du Sauveur et il parvient à résister aux tentations. Il repousse Kundry. Il reconnait sa ruse. Elle l’implore. Qu’il ait pitié d’elle, qui l’attend depuis si longtemps car elle ne peut se libérer de ce rire moqueur qu’elle eut sur le chemin du Sauveur qu’en entraînant un malheureux dans le péché. Il faut l’aimer, et ainsi la délivrer. Parsifal s’indigne de ce blasphème, refusant une heure d’amour en échange qu’elle le conduise jusqu’à Amfortas. Ce qui met Kundry dans un état de fureur extrême, qui le maudit alors. À ces hurlements, Klingsor accourt de sa tour, jette sur l’infortuné sa lance qui, comme par miracle, reste suspendue au-dessus de la tête de Parsifal. Ce dernier s’en empare et fait avec le signe de la croix sur le royaume magique de Klingsor, qui s’évanouit en fumée et fait place à un désert. Même le charme qui pesait sur Kundry est rompu. « Tu sais où tu peux me retrouver » lui crie Parsifal, muni de sa Lance, avant de s’élancer vers Amfortas pour lui apporter la guérison. Mais par quel chemin ?
Acte III. Après des années d’errance, Parsifal parvient enfin à Montsalvat. C’est au même moment qu’au château du Graal, Titurel meurt. Il va parcourir les derniers lieues, aidé de Gurnemanz et de Kundry qui le reconnaissent tous deux. Parsifal va pardonner à Kundry, et la bénir, après que Gurnemanz l’ait proclamé roi. En admirant la beauté des prés et prairies, Parsifal dit que le Vendredi saint toute chose vivante ne devrait que soupirer et se lamenter. La radieuse musique de ce Vendredi saint est alors une poignante méditation sur les principaux thèmes de l’opéra : la souffrance, la compassion et la rédemption. Vient ensuite la « Scène de transformation ». Conduit au Graal, Parsifal retrouve la communauté qui n’est pas brillante. Elle dépérit. Deux groupes de chevaliers y forment un cortège : l’un porte Titurel dans son cercueil , l’autre soutient Amfortas et sa blessure, épuisé. Aidé de la pointe de sa lance sacrée, Parsifal va guérir la blessure d’Amfortas. Il brandit le vase sorti de la châsse par les pages. Petit à petit, c’est l’embrasement du Graal pendant que Parsifal bénit l’assemblée des chevaliers.
Ce qui nous laisse toujours passablement songeur, c’est le fait que, une fois de plus pour un opéra qu’il termine début 1882, un an avant sa mort,, Wagner, connaît le sujet de Parsifal depuis…1845, au moment où se précise Lohengrin. Premières réflexions. Il l’a découvert à travers le poème épique en vers, Perzival, daté de 1210, de Wolfram von Eschenbach, disciple allemand de Chrétien de Troyes qui a repris cet épisode du cycle arthurien (les Chevaliers de la Table Ronde) en y greffant des éléments cathares et albigeois, mais oui, vous avez bien lu !! . Et, comme on dit, Parsifal trotte dans sa tête en même temps que d’autres de ses œuvres, livrets et partitions. Première ébauche, le jour du Vendredi Saint de l’année 1858. Il aurait alors entendu des voix d’anges chanter : « Tu ne porteras point d’armes en ce jour où le Seigneur mourut sur la croix pour le salut des hommes. », et, sur le champ, composé la scène où Gurnemanz, le plus âgé des chevaliers du Graal, décrit à Parsifal le charme du Vendredi-Saint, jour de repentir et de pardon ; le renouveau de la nature entière semble s’associer au mystère de la Rédemption. Autour de cet épisode, il va construire rapidement un drame en trois actes dont il ébauche l’esquisse à grands traits.
Nous sommes courant 1859. Centre et sujet principal de l’action, c’est Amfortas, le roi du royaume de Monsalvat, burg inaccessible, telle est “l’illumination“ soudaine dans la pensée de Wagner pour son Parsifal. Dans une lettre, il évoque Amfortas : « Le Graal, maintenant, d’après ma conception, c’est le calice de la Cène dans lequel Joseph d’Arimathie recueillit le sang du Sauveur crucifié. Quelle terrible signification acquiert ainsi la situation d’Amfortas, vis-à-vis de ce calice miraculeux ; lui, qui souffre de la même blessure, occasionnée par la lance d’un rival lors d’une aventure amoureuse et passionnée, il doit trouver son unique salut dans la consécration du Sang qui coula un jour de la blessure du Sauveur, lorsque celui-ci se mourait sur la Croix, renonçant au monde, délivrant le monde, mourant pour le monde ! Le sang pour le sang, la blessure pour la blessure – mais ici et là, quel abîme entre ce sang, cette blessure ! Tout extasié, tout en adoration devant ce merveilleux calice qui rougeoie d’un éclat suprême et doux, Amfortas sent la vie se renouveler en lui et il sait que la mort le refuse ! Il vit, il vit de nouveau et, plus terrible encore que jamais, la blessure fatale se fait plus brûlante : SA blessure ! L’adoration même devient une douleur ! Où est la fin ? Où est la délivrance ? les souffrances de l’humanité pour toute la durée de l’éternité ! »
Ainsi, le Sauveur désiré d’Amfortas ne peut être que Parsifal. Il faudra donc mettre en avant ce dernier dans le livret, ainsi que sa suprême purification, quoiqu’il fut déjà prédestiné par sa nature contemplative et profondément compatissante.
En mars-avril 1877, il en rédige le livret-poème – depuis Rienzi, il écrit entièrement ses livrets – dont l’idée se résume par : savoir par la pitié, idée déjà évoquée dans une lettre de 1858 adressée à Mathilde Wesendock : « Je reconnais en moi la pitié comme le trait le plus prononcé de mon être moral et c’est probablement la source de mon art… En l’occurrence, ce qui importe, ce n’est pas ce qui fait souffrir l’autre, mais ce que moi je souffre quand je connais sa souffrance… ». Il entame la composition de la partition dès septembre 1877. Elle verra le jour le 13 janvier 1882. Le 26 juillet de la même année, ce sera la création sur la scène du Festspielhaus de Bayreuth. Wagner aurait voulu que son Parsifal ne soit représenté que là, à jamais !!
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole