La “cérémonie“ digne d’une séquence messianique sous les arbres de la forêt gauloise aura bien lieu le mardi 19 novembre 2019 à la Halle, Toulouse, à 20h, dans le cadre du Cycle Grands Interprètes. L’artiste appartient corps et âme à cette lignée de pianistes pour qui la musique est autre chose qu’une succession de notes sur le papier.
Longtemps ignoré alors du grand public, pas du genre extraverti, guère soucieux de son profil de carrière mais bien davantage de son piano, ce seront plus de deux mille spectateurs attendant avec une impatience doublée d’une certaine excitation que Grigory Sokolov rejoigne son siège et attaque immédiatement les premières mesures de son programme, récital unique consacré à Mozart et à Brahms, et que voici :
MOZART : Fantaisie et Fugue en ut majeur K 394
MOZART : Sonate n°11 en la majeur K 331 opus 6 n°2
Andante grazioso
Menuetto. Trio
Alla turca. Allegretto
MOZART : Rondo n°3 en la mineur, K. 511
BRAHMS : Six pièces pour piano, les Klavierstücke, opus 118
Intermezzo. Allegro non assai, ma molto appassionato (la mineur)
Intermezzo. Andante teneramente (la majeur)
Ballade. Allegro energico (sol mineur)
Intermezzo. Allegretto un poco agitato (fa mineur)
Romanze. Andante—Allegretto grazioso (fa majeur)
Intermezzo. Andante, largo e mesto (mi dièse mineur)
BRAHMS : Klavierstücke, opus 119
Intermezzo. Adagio (si mineur)
Intermezzo. Andantino un poco agitato (mi mineur)
Intermezzo. Grazioso e giocoso (do majeur)
Rhapsodie. Allegro risoluto (mi bémol majeur)
« Interdit d’applaudissements, plongé dans le noir le plus complet, tenu en haleine comme jamais, le public est happé dans une sorte de transe musicale et ne peut que communier par son silence épais avec l’imperturbable concentration de l’interprète. Un sorcier.»
Né en 1950 à Saint-Pétersbourg, alors Leningrad, ce magicien russe boude les studios au profit des performances concerts. Artiste inclassable, c’est sans nul doute que l’on peut affirmer : « Il y a Sokolov et il y a les pianistes » D’un jeu pianistique, d’un sens musical et d’un art que tous pensaient éteints à jamais, ainsi va Grigory Sokolov. De par, le style et l’approche du piano, totalement personnels, uniques, le grand maître russe du piano acquiert un statut quasi mythique auprès de ses admirateurs à travers le monde.
Ses doigts d’or, comme s’ils étaient dix à chaque main, peuvent faire tout ce qu’on leur demande tout au long d’un immense répertoire. Douceur et élégance de la respiration fascinent tout autant que le contrôle absolu du temps, l’oubli de la part de l’artiste de tout ce qui peut bien se passer autour de lui, l’artiste délivrant son message musical avec un calme sidérant.
On ne va pas à un récital de piano, on va écouter Sokolov sur le Steinway qu’il a minutieusement réglé et apprivoisé pendant des heures avant le concert. Ceux qui ont assisté à un concert de Grigory Sokolov, ont vu Goliath traverser la scène d’un pas métronomique pour se diriger droit vers son tabouret de piano, visage fermé, impassible et tout à sa partition. Ils peuvent alors comprendre l’effet hypnotique dégagé par sa silhouette massive, toute d’énergie musicale contenue et prête à jaillir. Peu importe le programme: la Suite en ré de Rameau, la Sonate en la mineur de Mozart, les Variations sur un thème de Haendel de Brahms ou, toujours de Brahms, les Trois Intermezzos, ce soir, d’autres Brahms encore, tout semblera totalement nouveau, inédit, si personnel et respectueux à la fois, et ce, dès la première note : le colosse aux doigts de fée fait sourdre la musique à l’état pur, conduite avec un souffle, une finesse et une poésie qui ne semblent pas de ce monde.
Pour clore, s’il a “senti“ le public tout au long, il lui sera reconnaissant en lui délivrant, non pas un ou deux “bis“ mais peut-être bien, trois ou quatre ou cinq ou six !! Lors d’un récital, on en a compté jusqu’à ……sept !! Autant de devinettes à résoudre durant le dîner d’après concert, éventuellement.
Quelques mots sur les Klavierstücke de Johannes Brahms, les op. 118 et 119. Jusqu’en 1892 et proche ainsi de la soixantaine, le compositeur a délaissé le piano, cet instrument pourtant présent dans son tout début de carrière puisque pianiste avant d’être compositeur. Terminé le temps des partitions sur, symphonies, concertos, musique de chambre et lieder et sonates. Il va maintenant livrer quatre ensembles de pièces plutôt brèves pour son instrument premier. Et on ne peut s’empêcher d’y voir comme une suite de réflexions sur sa propre vie, car à l’approche des 60 ans, on est vieux, à l’époque !! mais aussi réflexions sur le piano lui-même qui, avec ses immenses possibilités acquises au fil des ans grâce à d’extraordinaires facteurs, les Erard, Pleyel, Beschtein et autres, l’instrument est bien loin du piano d’un Mozart, d’un Beethoven, d’un Chopin, et loin des premiers émois d’un Franz Liszt devant son clavier. Le piano jouera comme le rôle d’un confident pour ce musicien aux rapports difficiles avec son entourage, dit “bourru“, fuyant la foule et surtout le “beau monde“, une véritable antithèse d’un Liszt.
Les treize pièces interprétées ce soir ont toutes été écrites durant les vacances d’été de 1892 et 1893 dans les Alpes autrichiennes à Bad Ischl, petite cité thermale située au cœur du Salzkammergut, où ne se rencontre que du beau monde, et même Sissi, impératrice d’Autriche !! De son côté, Clara Schumann, toujours là, appréciait fort ces partitions pleines de nostalgie et d’une infinie tendresse, toujours sous le charme de celui dont elle a dû “tomber“ amoureuse dès leur première rencontre, le premier regard avec ce jeune homme de vingt ans. Elle compare ces ultimes partitions à un trésor d’inépuisables chefs-d’œuvre, dans lesquelles elle semble lire tous les mystères de son amour irrémédiablement perdu.
Les ultimes confidences pianistiques du compositeur sont réunies dans l’op. 119, recueil de calmes contemplations devant la mélancolie de la vie et témoignage du Romantisme finissant en cette année 1893. Une vaste Rhapsodie clôture toute son œuvre pianistique, ponctuée d’une multitude de traits, dans la plus pure tradition nordique, avec, comme en filigrane le visage de l’homme barbu sur fond de brumes hanséatiques.
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