Au Théâtre Garonne, elle présente son quatrième solo « Kara-Da-Kara ». Portrait de la chorégraphe et danseuse Azusa Takeuchi.
Les pieds sur terre, la tête dans les étoiles, Azusa Takeuchi danse connectée au monde. C’est au Japon où elle est née il y a une trentaine d’années, qu’elle a appris les fondamentaux du ballet classique, dès l’âge de 7 ans. Mais c’est en France et notamment à Toulouse qu’elle est entrée véritablement dans la danse contemporaine.
En 2008, boursière de l’université du Japon, elle débarque à Paris. Mais rapidement, la métropole étrangère s’avère trop vaste pour Azusa Takeuchi qui ne sait à quelle porte frapper. Ce sera alors le Centre de développement chorégraphique de Toulouse qui lui ouvrira la sienne : elle intègre la formation Extensions en 2010. C’est la révélation. La jeune danseuse japonaise voit se déployer devant elle l’éventail infini de la danse contemporaine et fait des rencontres déterminantes qui vont l’amener à « se trouver » en tant qu’artiste : les chorégraphes Rita Cioffi, Robyn Orlin, Vincent Dupont ou encore Myriam Gourfink qui la dirige à plusieurs reprises dans les pièces pluridisciplinaires du musicien Franck Vigroux. Avec Alain Buffard, elle confie avoir beaucoup pleuré. « J’étais interprète dans la reprise de « Mauvais genre » se souvient Azusa Takeuchi, et j’étais démunie face à la nudité que demandait le spectacle. Je ne comprenais pas du tout. Au Japon, il est interdit d’être nu sur un plateau ».
Peu à peu convaincue par elle-même de la nécessité de sa nudité, Azusa Takeuchi acceptera finalement la proposition radicale d’Alain Buffard, sans forceps. Les participations s’enchainent : un opéra pour Jérôme Deschamps chorégraphié par Franck Chartier de la compagnie bruxelloise Peeping Tom, un autre de Christian Rizzo, des projets collaboratifs avec les chorégraphes Yuta Ishikawa, Yuriko Suzuki et bien sûr avec le metteur en scène de théâtre Mladen Materic avec lequel elle créera « Prière pour Vera Ek » en 2015 au Théâtre Garonne. Parallèlement, elle conçoit ses propres soli : « Le Blanc » en 2010, « Kami » en 2012, « Emotional Intelligence » en 2016. Chacun de ses projets personnels nait d’une réflexion intime sur nos gestes et nos comportements quotidiens. Après la catastrophe de Fukushima, Azusa Takeuchi se pose la question du culte dans les maisons japonaises, où sont érigés de modestes autels de papiers devant lesquels se prosternent les familles. En appui à ces réflexions dont le pragmatisme initial la plonge dans des questionnements métaphysiques vertigineux, c’est bien le geste plastique qui fait prendre réellement corps à sa danse. À partir de quelques éléments scénographiques et de gestes simples issus de la vie de tous les jours, Azusa Takeuchi fait advenir le mouvement dansé. Son corps souple, élastique, désarticulé, presque surnaturel, s’inscrit alors lui-même comme un élément graphique dans l’espace scénique. Un espace qui cultive l’épure, le vide – propre à sa culture japonaise – permettant de déployer l’imaginaire, d’ouvrir un dialogue méditatif avec soi-même… Justement, dans sa dernière création intitulée « Kara-Da-Kara », la danseuse joue avec les sens des mots « vide » (« kara »), « corps » (« karada ») et « parce que » (« dakara »). « C’est une pièce sur l’existence du corps » explique la chorégraphe. « En observant mon propre corps, je me suis interrogée sur les différentes « matières corps « , celles qui sont traversées, modifiées par notre inconscient, nos émotions, notre relation à l’autre ». Ses explorations chorégraphiques dénotent chez Azusa Takeuchi un sens aigu de l’observation et une extrême attention et sensibilité aux autres et plus profondément une quête philosophique, existentielle à travers la danse. « Je pense qu’il existe autre chose sur terre que l’existence matérielle, que l’enveloppe corporelle. » L’artiste japonaise ne fait pas référence à une croyance shintoïste ou en un dieu autre, mais à une expérience personnelle marquante : la maladie cérébrale de son frère. « Son corps était bien présent, parmi nous, mais son âme, elle, était déjà partie ailleurs, depuis longtemps ».
C’est pour danser avec et pour ces âmes que d’aucuns nomment aussi fantômes, esprits ou étoiles, qu’Azusa Takeuchi a commandé au plasticien Nicolas Villenave une installation lumineuse spécifique : 81 ampoules vibrant sur un rythme qui se confronte à celui du corps de la danseuse. 81 petites étoiles scintillant dans une nuit qui résonne d’une musique concrète de Shinjiro Yamaguchi et où se font entendre les voix du père et du frère d’Azusa Takeuchi, aujourd’hui disparus. Comme sa compatriote danseuse Kaori Ito, Azusa Takeuchi danse parce qu’elle se méfie des mots. « Pour moi, c’est la façon la plus juste de m’exprimer. Je suis très dispersée quand je parle, mon corps, lui, n’oublie rien ; il concentre tout le champ de mes émotions et de mes expressions. ». Et quand on sait que ce spectacle est né sous le regard artistique bienveillant de Mladen Materic du théâtre sans parole Tattoo, autant dire que ce « Kara-Da-Kara » n’a pas besoin de faire de belles phrases pour nous parler à corps ouvert.
Une chronique de Sarah Authesserre pour Intramuros
Billetterie en Ligne du Théâtre Garonne
> Du 17 janvier au 19 janvier au théâtre Garonne (1, avenue du Château d’eau, 05 62 48 54 77, theatregaronne.com)