C’était Salomé, film de Charles Bryant, d’après la pièce d’Oscar Wilde. C’était au ThéâtredelaCité, le soir du mardi 27 novembre. Une farce macabre à couper le souffle.
Aujourd’hui, un film, c’est bruyant. C’est du son, une bande-son, des répliques dites par des comédiens, une bande de comédiens. Aujourd’hui, ça ne se fait pas un film muet (sauf rares exceptions). Que diraient les spectateurs, notamment les jeunes (qui n’ont pas connu la période muette) ? Le ThéâtredelaCité, en compagnie de la Cinémathèque, s’attaque à cela, et ouvre sa grande salle à des projections de ce type de long-métrage, soutenues par le jeu de musiciens, sur scène. Ainsi sont les ciné-concerts.
Salomé est un film muet. Pourtant, il hurle. Ce qui apparaît à l’écran, ce sont des désastres. Celui de Salomé, qui doit tuer celui qu’elle aime (« She kills the thing she loves, she loves the thing she kills« ) ; celui d’Hérode, qui règne sur la Judée et qui s’est marié à sa belle-soeur, Hérodias (la mère de Salomé) ; ceux de gardes et servants, qui sont emportés par ce torrent, au péril de leur vie. Ces effondrements, comme tous les effondrements, font beaucoup de boucan. Du boucan qui reste enfermé dans le crâne du spectateur.
Ce qui hurle, c’est Alla Nazimova, comédienne-danseuse ukrainienne. Elle est puissante, dans le rôle de Salomé. Des lampions dans les cheveux comme des bigoudis, elle prend toute la lumière. Ses mouvements de tête sont vifs, dédaigneux. Son regard est grave, cruel, sévère, insolent, parfois terrorisé. Elle est une sorcière, une Cléopâtre déchue.
Ce qui hurle, ce sont les couleurs criantes des costumes excentriques que portent les personnages, nombreux. Ils forment une espèce de cour fastueuse autour d’Hérode. Ils portent des chapeaux longs, larges, hauts. Ce sont aussi les corps des acteurs (des danseurs), parfois désarticulés, voire décharnés.
Florent Paris, lui, reste muet. Béret sur la tête, entouré d’ordinateur et machines, d’amplis pour sa guitare électrique. Pourtant, il n’est pas étranger à tout ce qu’il se passe. En jouant, il crée une atmosphère oppressante, sa musique est une tenaille, il boucle et re-boucle de mêmes phrasés, il rythme et fait culminer les tensions dans le thorax des spectateurs.
La force de ce film rappelle celle de l’écriture de Lautréamont (Les Chants de Maldoror). Une tragédie du mal, un cirque de l’apocalypse. Démesuré, désastreux, loufoque, un univers hors-du-commun gravite autour du spectateur, bien embêté (bien hébété) de ne trop savoir comment sortir et reprendre le chemin de chez lui.