Un jeune comédien, qu’est-ce que c’est ? Quelle tronche ça a ? Quelle voix ça prend ? Quel corps ça montre ? Où est-ce que ça habite ? Quelle langue ça parle ? Où est-ce que ça va ? C’est excité par quoi, dans cet art tellement ancien qu’est le théâtre ? Le festival Supernova (3e édition) est terminé. Il apporte quelques esquisses de réponses à cette montagne de questions.
Les jeunes comédiens, qui se sont succédés pendant quinze jours d’automne dans les théâtres toulousains, sont-ils des révolutionnaires affamés ? C’est une première idée qui vient en tête, quand on pense aux nouveaux artistes. Il y a Julian Beck et Judith Malina, la vingtaine à peine avalée, qui monte la troupe expérimentale du Living theatre, à la fin des années 1940. Il y a, bien plus proche d’ici, les Maurice Sarrazin et Jean-Pierre Armand qui créent les compagnies du Grenier de Toulouse ou du Théâtre Cornet à Dés, il y a plus de cinquante ans, aux mêmes âges. Les à-peine-adultes qui débarquent sur scène le font, parfois, avec fracas.
Ici, ce n’est pas tout à fait ça. Il y a bien quelques scènes fortes et offensives, comme dans L’Eveil du Printemps (mis en scène par Sébastien Bournac, avec des comédiens de l’Atelier Cité), où un personnage étreint longuement et maladroitement une poupée gonflable. Il y a aussi Ce que vous voudrez (libre adaptation de La Nuit des Rois de Shakespeare, dirigée par Laurent Brethome avec d’anciens élèves du conservatoire) qui cherche à être corrosive, faisant se rencontrer sur scène godemichet, soutane, et se mêler sang, farine, crachat, champagne. Mais, il se dégage des pièces jouées un certain calme. Les comédiens sont, dans l’ensemble, sages. Ils ne s’attaquent pas, frontalement, aux façons de faire de leurs aînés.
Il y a quand même quelque chose qui change. Les écrans, et tous les objets qui en découlent, s’installent solidement sur scène. Avec un certain naturel et, parfois un certain succès (parfois moins). Les comédiens montpelliérains, jouant Mr & Mrs MacB, mis en scène par Stuard Seide, sont entourés d’écrans diffusant des teintes et lumières, ils font office de décor. Sur la scène, quand se joue L’avenir, spectacle créé par Clément Bondu, des postes de télévisions vrombissent de lumières, sans que l’on comprenne franchement pourquoi. Les téléphones portables surgissent des poches des comédiens. Ils les portent à l’oreille pour jouer les échanges entre Roméo et Juliette (C’est quoi le théâtre ? de Théodore Olliver). Ils servent à faire jouer des morceaux de musique électronique (alimentaire, sans grand relief) dans L’Eveil du Printemps. Ils plaisent, ils irritent, ils servent, ils attendent, ils s’illuminent, mais quoi qu’il en soit, ils sont là, fréquemment. Le théâtre n’est pas un temple.
Il n’est pas un temple, et ses portes ont été ouvertes, un peu plus grand que d’habitude. Au-delà des grandes déclarations de démocratisation, de mixité des publics, et ainsi de suite, Supernova (et le travail en ce sens du théâtre Sorano) a fait venir quelques inconnus, des étrangers, ou pas-habitués, voire profanes. Du collège, du lycée, les élèves ont été nombreux à suivre des enseignants désireux. Leurs ainés, vingt ans, vingt-cinq, trente, davantage parfois, souvent habitués aux bancs de l’université, à des boulots rémunérés peu satisfaisants, un peu pommés, ont répondu présents à l’invitation. Pas tout à fait anodine, la présence des musiciens Bigflo et Oli, à l’une des représentations de L’Eveil du printemps.
Les accompagnements musicaux des pièces ont pourtant été l’un des défauts du festival. Souvent, ils n’ont été qu’alimentaires. C’est à dire : pas très utiles. Les découpages des scènes de Ce que vous voulez, sauvagement faits à la guitare électrique, irritent (trop répétitifs). Les morceaux qu’émet l’enceinte sur la scène de L’Eveil du printemps ne sont pas particulièrement réjouissants. Toutefois, ici encore, les montpelliérains portant Mr & Mrs McB se détachent du lot – avec différentes versions du morceau Strangers in the night.
Ces comédiens, venant tous de l’Ensad de Montpellier, ont fait bonne impression. Malgré une mise en scène qui ne satisfait pas complètement, ils portent énergiquement leur affaire. Une diction impeccable, une présence sur scène intéressante. Quelque chose transpire de cette troupe. Supernova a permis de découvrir et de remarquer de jeunes gens. Maxime Taffanel, seul sur le plateau pour Cent mètres papillon, est de ceux-là. Il joue Larry, un jeune nageur qui rêve d’être le nouveau Michael Phelps. Dans un langage chorégraphié et sifflé, il étonne et fait preuve d’une malice réjouissante. Autrement, les quatre artistes (Léa Romagny, Jules Puibaraud, Benjamin Lichou et Rémi Faure), jouant dans J’abandonne une partie de moi que j’adapte (de Justine Lequette) sortent également du lot.
Au fond, Supernova pose deux questions fondamentales : qu’est-ce que le théâtre ? qu’est-ce que la jeunesse ? Suffit-il que deux musiciens électroniques montent sur scène accompagné d’un homme déclamant un long poème pour qu’il y ait théâtre (L’avenir) ? Quand une représentation commence-t-elle ? Lorsque les comédiens sont aperçus par le spectateur ou quand ils commencent à s’adresser à eux ? Il y a cette jeune femme, Léa Romagny, qui occupe la scène avant le début du spectacle (comme cela s’est vu dans de nombreuses pièces présentées), adoptant des airs gamins, mâchonnant quelque chose, assise sur une balançoire (J’abandonne une partie de moi que j’adapte). Comme il est déclaré dans L’Eveil du printemps, la jeunesse est-ce « lâcher ses parents pour le grand monde » ? Convient-il de « laisser pousser ses enfants comme des mauvaises herbes » ?
Parfois caricaturaux, d’autres fois au bord de la justesse, les spectacles regroupés dans la 3e édition de Supernova donnent envie. D’assister à des représentations, de monter sur scène – simplement, d’exister pleinement. C’est aussi à ce sentiment (fort) que l’on juge la qualité d’une pièce. Que ces jeunes comédiens continuent de s’aventurer, d’embarquer avec eux des spectateurs et des profanes, qu’ils parviennent à se dénuder entièrement (certains appliquent déjà cette consigne au pied de la lettre). Que le Supernova ne se change pas, au fil des ans, en boîte de conserve.