La charismatique chanteuse et musicienne Aïda Sanchez (ex-membre du trio toulousain Orlando) sera sur scène les 1er et 2 novembre prochains au Bijou avec un album solo « Aïda – Extra Terrienne » écrit en collaboration avec le contrebassiste Etienne Roumanet.
Portrait d’une femme très libre qui a bien fait, un jour, de préférer aux courts de tennis, les cours de chant et de piano…
D’où viennent ton nom et ton prénom ?
Aïda Sanchez : Mon prénom signifie « la fête », ça vient de « l’Aïd ». C’était le prénom de la sœur de mon papa. Comme il l’adorait, il m’a donné ce prénom à ma naissance. Après plusieurs années de psychanalyse, j’ai compris qu’il aurait aimé avoir une deuxième sœur et pas une fille ! Et il est vrai que nous avions une relation plutôt fraternelle. Je suis de famille espagnole; mes parents sont tous les deux de Madrid. Ils se sont rencontrés avant la guerre d’Espagne, quand ils avaient 6 ans ; ils jouaient dans le même bac à sable ! Ils se sont mariés à Béziers car ils avaient fui l’Espagne enfants, quand leurs pères, anarchistes, combattaient en Espagne.
Tes parents étaient musiciens ?
Aïda : Pas du tout ! Mon père, Luis, était plâtrier. Ma mère nous élevait. Elle se prénomme Liberté mais on l’appelle « Libère » ! Mon père est tombé très amoureux de la France parce qu’il s’est senti adopté par ce pays et il a adoré ce qu’il y a découvert. Il a ramené à la maison Molière, Sartre. Il a ramené aussi la musique : Mozart, Rachmaninov et… Marie-Paule Belle (rires) ! D’un côté, j’avais droit tous les dimanches aux chansons espagnoles et de l’autre, il m’emmenait avec lui aux théâtres, aux concerts… Il m’a ouvert à l’art. Merci papa !
Tu te souviens de ton premier concert ?
Oui ! C’était justement Marie-Paule Belle ! J’en étais dingue parce qu’elle chantait « La Parisienne » (je suis née à Poissy). J’ai vu qu’on pouvait être une fille à cheveux frisés avec un piano et s’en sortir très bien (rires) ! Et c’est ce que je suis devenue ! J’étais éblouie par sa liberté. Luis m’a dit « Tu vois Aïda, ça existe des femmes libres ».
Quelle adolescente étais-tu ?
Une adolescente très obéissante, bonne élève et… folle de tennis ! J’étais vraiment très sportive. Je courrais tout le temps. J’étais aussi très serviable. Je voulais rendre la vie facile à ma maman que j’adore. Je jouais déjà du piano depuis l’âge de 6 ans. J’ai eu en effet la chance que ma maman qui voulait avoir son mercredi pour elle – ce qui était tout à fait légitime – nous inscrive avec mon frère et ma sœur au Conservatoire de Poissy, à la chorale. Il y avait là un piano à queue. Je ne saurais dire d’où ça vient, mais j’avais le don : je savais jouer des airs, à l’oreille. Le directeur du Conservatoire a proposé alors à mes parents que je m’inscrive non seulement à la chorale mais aussi aux cours de piano. Le problème est que, au bout d’un certain temps, il a voulu que j’apprenne le solfège. Et j’ai refusé.
Tu ne voulais pas en passer par la théorie ?
Disons que je ne pouvais pas nommer les choses. Pour moi, les choses ne devaient pas être nommées mais exister. Simplement. C’était très fort chez moi ce sentiment ! J’ai quand même réussi à convaincre le directeur d’accepter de ne pas faire de solfège. Je n’avais que 7 ans ! Il m’a dit « D’accord, mais tu ne le dis à personne ! » Comme il n’y avait pas de piano à la maison, dès que je sortais de l’école, je filais au Conservatoire où j’avais un petit studio et je travaillais assidument. J’étais tombée amoureuse de ma professeure de piano, donc je travaillais d’autant plus pour lui plaire. Et puis, bien plus tard, à l’âge de 37 ans, Frédéric Marchand (ndlr : accordéoniste et ex-membre du groupe Orlando) m’a proposé d’entrer dans une école de musique avec lui et donc d’apprendre le solfège et j’ai dit… oui. Et j’ai aimé ça car là, j’avais décidé de l’apprendre.
Quelles ont été les étapes de ton parcours qui t’ont menée de Poissy à Toulouse où tu as formé avec Frédéric Marchand et Christelle Boizanté, Orlando, ce trio qui pendant 17 ans s’est produit dans toute la France et même au delà des frontières de l’Hexagone?
Arrivée à l’âge adulte, après avoir fait beaucoup de compétitions de tennis – j’ai même été sélectionnée pour faire partie de l’équipe de France ! – j’ai enseigné le tennis, notamment en Angleterre, puis pour les ouvriers de l’usine Talbot à Poissy, mais je me suis rendue compte que ce monde-là ne me correspondait plus. Un soir, lors d’une fête chez des comédiens, je me suis mise au piano et j’ai chanté mes compositions pour m’amuser. J’ai été repérée par deux femmes : il s’agissait de Nathalie Bensard et de Brigitte Monseur. De cette rencontre est né le spectacle « Piano panier » qui a beaucoup tourné, au festival d’Avignon, au Palais des Glaces à Paris, dans les années 80. C’était vraiment un spectacle déjanté ! Nous étions très libres ! Très rock’n’roll ! On ne respectait aucun code, ni de théâtre, ni de musique. En fait, ça ressemblait à ce qu’allait devenir Orlando. L’aventure a duré douze ans. Ensuite, je suis partie en Amérique où j’ai vécu une vie de fou… Quand je suis revenue, je n’allais pas très bien et j’ai eu l’idée avec Nathalie Bensard qui m’a aidée, de créer et diriger une chorale de rue composée de 40 personnes : Lila Fichette (« Lis l’affichette »). On a chanté au théâtre de la Bastille, au théâtre de l’Odéon… Avec l’argent gagné, on faisait des tournées en France, l’été, dans des petits villages. On préparait à manger pour tous les habitants et on chantait gratuit. On était heureux ! C’était une époque de ma vie merveilleuse qui a duré douze ans. Et avec le recul, je la trouve encore plus merveilleuse.… Parallèlement, je travaillais au noir dans le bâtiment ; je faisais de l’enduis, du plâtre, du carrelage, pour gagner un peu ma vie. Un jour, j’ai annoncé à la chorale que j’arrêtais. Cela ne me plaisait plus, j’avais le sentiment d’écrire toujours les mêmes chansons, de me mentir et de mentir aux autres. Au même moment, mon papa est décédé. Tout s’est écroulé. Et puis, j’étais amoureuse d’une femme qui vivait à Toulouse. Alors, j’ai pris mes affaires, mon chien, mon piano et j’ai débarqué à Toulouse. Et j’ai appris à être plombier ! Et j’ai adoré ça !
Vraiment ?
Oui ! Moi qui n’arrivais pas à faire des tubes en tant que chanteuse, comme plombière au moins j’en avais plein (rires) ! C’est aussi magique que faire une chanson : tu conçois le parcours de l’eau dans une maison et lorsque tu ouvres le robinet au bout, l’eau coule ! Tu vois les gens heureux et ça te rend heureux. C’est comme ça que j’ai rencontré Jean Stéphane et Alain Daffos de la compagnie La Part Manquante ! J’ai été leur plombière ! Je leur ai fait les toilettes, l’évier et la douche! Je les avais connus grâce à 3BC Compagnie à qui j’avais donné un stage de chant choral. Philippe Bussière et Jean-Marc Brisset m’avaient convaincue de reprendre le piano et la scène et… d’être comédienne, en me proposant de jouer le rôle d’un faune et de composer la musique pour une pièce de Claudel « L’Endormie » dans laquelle jouait aussi… Christelle Boizanté ! J’avais déjà repéré Christelle deux fois auparavant. À Toulouse, puisqu’elle faisait en effet partie des élèves du stage de choral mais aussi à Paris : elle était assise dans la salle de la Cité internationale, lors d’une représentation de la pièce « Les Quatre jumelles » de Copi que j’avais montée ! Ce spectacle musical avait fait scandale à l’époque, surtout auprès des fans de Copi car il était exclusivement féminin. Alain Daffos m’a confié ensuite mon premier vrai rôle avec texte dans « Une langouste pour deux » de Copi. Il m’a fait beaucoup travailler. Et moi qui bégayais tout le temps, j’ai réussi à dire mon long monologue de drague de façon impeccable ! Je faisais beaucoup rire le public. C’était étonnant ! J’adore jouer. J’aimerais beaucoup recommencer. Mais alors que je n’avais plus d’argent et me préparais à être vendeuse de pianos à Carrefour, miracle ! Frédéric Marchand m’appelle pour partir en Bosnie avec Clowns Sans Frontières. Nous étions devenus les meilleurs amis du monde le jour où je lui ai demandé de venir chez moi habillé en tailleur jaune (rires) ! De retour de Bosnie, Frédéric m’a proposé un projet de disque. Or, il se trouve que Christelle venait de se séparer du trio a cappella Les Petites Faiblesses et avait le désir de chanter en solo. L’idée nous est venue alors de l’accompagner, moi au piano et Frédéric à l’accordéon. Mais comme on ne pouvait pas s’empêcher tous les deux de faire les clowns et les deuxièmes voix, finalement Christelle a lâché prise et c’est ainsi qu’on est devenu Orlando : trois chanteurs et trois musiciens […]
Entretien complet en écoute sur Radio Radio
Sarah Authesserre
Aïda – Extra Terrienne, en concert jeudi 1er et vendredi 2 novembre, 21h30 au Bijou (123, avenue de Muret, 05 61 42 95 07, www.le-bijou.net)