Verdi est un génie de l’opéra, répétons-le si besoin est !! Et La Traviata, ce drame d’une solitude en belle compagnie, est bien ce mont Everest des opéras. Courez-y : il est de retour au Théâtre du Capitole. Les premières représentations sont triomphales.
Sans revenir encore sur l’ouvrage en lui-même – voir les articles précédents – et si l’on veut faire un petit compte-rendu sur cette production, d’une réussite majeure, évacuons tout de suite les éléments concernant l’époque choisie.
La Traviata est avant tout un produit typique du XIXè, ouvrage créé en 1853, et on imagine mal une transposition dans le sens complet : ni Moyen-Âge, ni XXIè siècle. De plus, le drame se noue autour de Violetta qui n’est finalement qu’une sorte de victime d’une prostitution aristocratique. La “morale“ qui la détruit existait avant et est encore en vigueur de nos jours. Aussi, sera-t-on admiratif devant les trouvailles de la production signée Pierre Rambert, et comment, essentiellement par un goût sans faille, une forme d’intemporalité va donner l’unité à l’ensemble depuis le lever de rideau jusqu’à cette élévation vers les cieux dans le dernier tableau. Une certaine somptuosité se dégage des tableaux successifs et nous fait oublier et repousser très loin ces Traviata sordides qui se piquent au milieu des poubelles, ou qui pèlent des concombres en cuisine. Les excès du « regiethater », ce n’est pas pour le Capitole non plus, et on se fout des quelques éléments d’homoérotisme, scène de pédophilie et touche de scatologie, ou figurantes en laisse que l’on peut admirer ailleurs.
Sans oublier la qualité des costumes qui ont dû faire souffrir les costumières. Il faut qu’ils soient non pas déterminés mais motivés, beaux, et ils le sont, point, et le personnel bien habillé, un signe évident de richesse. On n’est pas passé chez le chiffonnier du coin et Frank Sorbier n’a pas fait les vide-greniers. Dès le lever de rideau, on sait où nous sommes : dans un cercle fermé, une sorte de club où les protagonistes portent sur eux les insignes de leur milieu, bijoux, coiffes et fourrures, des détails qui prennent une importance capitale et sont les témoins de privilèges et du visage flamboyant de la décadence déjà vouée à la mort. Le noir est bien omniprésent et la première robe de Violetta est…noire, aussi. Elle est d’entrée un personnage dramatique alors que la musique n’est que gaieté et dynamisme.
Les décors qui cherchent avant tout à exprimer une situation, ce qui est bien ce qu’on leur demande, sont d’Antoine Fontaine et les lumières d’Hervé Gary. Personne n’oubliera le rideau de scène dès les premières notes distillées par les musiciens de l’Orchestre du Capitole qui se distinguent une fois de plus, chaudement applaudis ainsi que George Pétrou à la direction musicale et, pour ne pas les oublier, tous les membres du Chœur du Capitole et leur Directeur Alfonso Caiani. Toutes leurs interventions sont remarquables et dans leur ensemble, et dans leur jeu.
Le trouble qu’Alfredo inspire à Violetta dès leur premier regard représente pour elle une évasion, une fuite, mais qui se traduira finalement par un faux-départ, car la “cage“ du premier acte ne s’est que transformée en une seconde, plus fragile encore. Premier tableau, Violetta est encadrée par tout son milieu, puis elle connaît la solitude dans la demeure à la campagne où ils se sont isolés. Il n’empêche que l’argent, omniprésent, décide toujours. Vente des biens de Violetta et mariage “d’argent“ de la sœur d’Alfredo, ne l’oublions pas…Le drame se noue bien là, irrémédiable, dans ce qui aurait dû être un petit nid d’amour. Le deuxième tableau de ce deuxième acte en sera la consécration. Le ballet, imposé alors, se doit d’avoir une motivation dramaturgique. Il l’a, sous une forme de pantomime qui sert de contrepoint à la musique, expression de cette mort qui englobe tout l’ouvrage : mort physique mais aussi mort morale. On aura remarqué le costume des deux danseurs ainsi que leur prestation.
Finalement, l’héroïne subit tout au long de l’ouvrage une succession de petites morts : elle est tuée d’abord par le père de son amoureux, à cause de la morale. Elle l’est ensuite par Alfredo lui-même à cause de son manque de compréhension, son emportement, sa lâcheté ? Et aussi par son amant patenté qui, en subvenant aux besoins, ne fait qu’entretenir la dépendance.
Le quatrième est le tableau de la solitude et de la nostalgie : solitude encore plus désespérée et nostalgie liée aux choses perdues, aux choses déterminantes dans une existence. Plus que la vision de la pauvreté, c’est bien la désolation qui s’impose. L’arrivée d’Alfredo puis de son père en rajoutent au tragique de situation. Et sa mort devient un aboutissement logique , sorte de bilan final que Violetta dresse dans son lit, son monument funéraire. Un de ses objets fétiches favoris, la poupée, finira dans les bras de son amoureux.
Quant à la distribution, on se réjouit de la parfaite homogénéité de l’ensemble, de l’investissement de chacun, même pour le rôle le plus court, ce qui permet aux trois protagonistes principaux de se distinguer aussi bien pour l’une que pour l’autre des distributions. Dans le père Giorgio Germont, Nicola Alaimo et André Heyboer donnent toute la dignité voulue à ce personnage haïssable et pourtant accessible en dernier ressort à une humanité presque touchante. Aucune vulgarité dans les deux Alfredo, Airam Hernandez et Kévin Amiel, peut-être plus de métier dans le chant du premier que le second compense par une certaine spontanéité et fraîcheur en accord avec sa Violetta.
Quant à Violetta, Anita Hartig et Polina Pastirchak sont bien dans les sommets que toute Traviata exige. L’une plus à l’aise que l’autre dans les vocalises, mais vous ne saurez pas laquelle, l’autre un brin plus émouvante, pareil. Intelligence dramatique et musicale les caractérisent tout comme une présence physique sans laquelle il n’est pas de Violetta qui vaille : « dite alla giovine », « Alfredo, Alfredo », « Parigi o cara », « Morro », « Adio des passato » que des morceaux d’une confondante sincérité d’accents qui doivent vous “remuer un peu les tripes“. Si cela n’est pas le cas, l’opéra n’est pas pour vous, c’est un test ! Pour ma part, le dernier tableau, le plus beau de toutes les Traviata vues, je l’ai vécu ce samedi 29 septembre.
Il vous reste 6 représentations pour comprendre ce qu’est l’émotion à l’opéra.
Michel Grialou
La Traviata • Verdi
du 26 septembre au 07 octobre 2018 • Théâtre du Capitole
Place du Capitole • Toulouse
La Traviata © Mirco Magliocca
Pierre Rambert © Julie Guillouzo