Pendant une dizaine de jours, Toulouse a suivi le rythme d’un cinéma indépendant, surprenant, ingénieux, rarement décevant. Une nouvelle fois, l’association A Côté, organisatrice du festival, a réussit son coup. Vous l’avez manqué ? Suivez cet exemple d’aventure.
Vendredi 14 septembre, fin de journée, la foule se masse devant l’American Cosmograph, dans la rue Montardy. Une petite dizaine de musiciens jouent et bouchent la rue : ce sont les Frères Pouetards. Un homme scande les paroles d’un morceau de Rage against the Machine à travers son haut-parleur. Cette fanfare, plus surprenante que le sont certaines, donne à sa manière la couleur. Les festivités seront fortes, inattendues, déjantées.
Alors que le concert se termine, des spectateurs se pressent à l’intérieur du cinéma. La première projection du festival est toute proche. Benoît Delépine est venu présenter le nouveau film, qu’il a réalisé avec Gustave Kervern, I feel good, avec des personnages principaux joués par Jean Dujardin et Yolande Moreau. Un film dans lequel aurait dû être présent Christophe Salengro, décédé cette année. Mouss et Hakim, les musiciens qui ont oeuvré à la bande-son du film, sont présents devant l’écran. Ils se mettent à jouer et à chanter a cappella. Après eux se présente un représentant de la mairie, s’aventurant dans une présentation très exhaustive du festival… et recueillant applaudissements nerveux et éclats de rire. De ce film, l’on retient des plans efficaces et un échange de crachats, digne d’un match de tennis opposant deux bons joueurs, dans lequel se retrouve engagé le personnage joué par Jean Dujardin.
Le lendemain, Rohmane Bohringer et Philippe Rebbot présentent L’amour flou, le film qu’ils ont réalisés ensemble, le premier qu’ils réalisent. Il est un grand étonnement. Au coeur de l’intrigue : leur nouvelle vie commune malgré la disparition de leurs sentiments amoureux l’un pour l’autre et auprès de leurs enfants. Ils ont vécu ce bouleversement de leurs vies et ont décidé d’en faire un film, sans attendre. Ce long-métrage, d’une simplicité réjouissante, est désarmant de transparence. D’une profonde justesse, portés par Philippe Rebbot et Rohmane Bohringer, pour lesquels on éprouve une violente affection, ce film est, s’il n’y en avait qu’un, le seul qu’il faudrait regarder.
Un festival qui dure dix jours, en plein mois de septembre, doit broder avec les rythmes soutenus des uns et des autres, les exigences de l’emploi du temps et les fausses injoctions mondaines. Mercredi après-midi, le 19 septembre, le Cratère accueille une poignée de spectateurs. Il est 16 heures et la projection du nouveau film du réalisateur marocain Hicham Lasri, Jahilya, va débuter. Le film s’ouvre sur des mots de John Fante et le corps nu d’une femme. Drapé d’énigmes et d’opacité, ce long-métrage est bâti sur une esthétique innovante et des trouvailles visuelles. Il est question du fait d’être un chien ou un cafard, de la démence présente dans la société marocaine, du désoeuvrement et du viol. Des longueurs, des hermétismes, de l’absurde, du cyclique, des plans qui remplacent des mots : un film loin d’être évident et qui exige une attention singulière.
Le lendemain, jeudi 20 septembre, le film de l’iranien Mani Haghighi, Pig, est projeté à l’UGC, en fin d’après-midi. Dans l’Iran d’aujourd’hui, un tueur en série décapite les grands réalisateurs du pays. Le personnage, joué par Hasan Ma’juni, en est justement un. Amoureux de musique rock, ce qu’indiquent les nombreux T-Shirt à effigie qui embrassent sa bedaine, il lui est interdit de faire cinéma depuis quelques années. Il constate, impuissant, cette suite d’assassinats, qui font tomber les têtes de ses confrères. Portant une haute estime de lui-même, il se pose cette lourde question, qui donne au film toute son épaisseur et sa singularité : pourquoi lui, le plus grand des réalisateurs, n’est-il pas décapité ? Se construit un long-métrage pinçant, qui provoque des rires et des tensions. Aux yeux du jury présidé par Philippe Découflé, accompagné notamment par Marc Caro, Noël Godin et Solène Rigot, il était le meilleur des films en compétition. Pig remporte l’amphore d’Or face aux derniers films de Gaspar Noé et de Lars von Trier, entre autres.
D’autres films furent primés. L’amphore du peuple revient au film Les invisibles de Louis-Julien Petit. Les réalisatrices Caroline Capelle et Ombline Ley décrochent l’amphore des étudiants de l’ESAV avec leur long-métrage Dans la terrible jungle. L’amphorette fut remise au court-métrage Petite avarie.
La septième édition du FIFIGROT est close. De nombreux spectateurs ont pu se frotter à des longs-métrages, et à des plus courts, loin d’être évidents ainsi qu’à des films moins pesants. L’Association A Côté continue quant à elle d’établir sa cartographie des cinémas indépendants. Toulouse est riche de festivals pareils. Et l’année prochaine, une fois de plus, vous pourrez les suivre les yeux bandés (et le nez bouché, parfois).
Valentin Chomienne
Festival International du Film Grolandais de Toulouse