Fameux opéra de Verdi, « la Traviata » est de retour au Théâtre du Capitole, sous la direction de George Petrou et dans une mise en scène de Pierre Rambert, avec Anita Hartig dans le rôle-titre, aux côtés de Nicola Alaimo et Airam Hernandez.
Pas entendu depuis vingt ans dans les murs du Théâtre du Capitole, « la Traviata » de Giuseppe Verdi sera dirigé à Toulouse par le chef grec George Petrou. Présentée en ouverture de la saison lyrique, cette nouvelle coproduction du Théâtre du Capitole et de l’Opéra national de Bordeaux exhibera une Violetta d’aujourd’hui. Créé en 1853, « la Traviata » («la dévoyée») est l’adaptation de « la Dame aux Camélias », roman et pièce de théâtre d’Alexandre Dumas fils. On y assiste à l’agonie de Violetta Valery, courtisane à la santé fragile qui abandonne sa vie mondaine parisienne par amour pour Alfredo Germont, jeune homme de bonne famille. Mais le père de celui-ci exige de Violetta qu’elle rompe avec son fils au nom de la respectabilité bourgeoise.
Le personnage de Violetta est inspiré de la vie d’Alphonsine Plessis, dite Marie Duplessis. Maîtresse d’Alexandre Dumas fils et de Franz Liszt, elle meurt à Paris, en 1847, d’une phtisie (tuberculose pulmonaire) à l’âge de 23 ans. Comme Marguerite Gauthier, l’héroïne du roman publié en 1848, Marie Duplessis était issue d’une famille modeste et devint l’une des «cocottes» les plus mondaines de Paris. D’une grande beauté et d’une sensualité irrésistible, elle avait choisi pour emblème le camélia, fleur onéreuse, sans odeur et éphémère.
Lorsque Alexandre Dumas fils adapte en 1849 son roman pour la scène, la pièce tombe sous le coup de la censure et ne sera créée qu’en 1852. Drame en cinq actes, « la Dame aux Camélias » connaît aussitôt un immense succès dans cette version édulcorée pour ménager la société bourgeoise – l’héroïne est moins virulente, ses problèmes financiers atténués et elle ne meurt plus seule mais entourée de tous, y compris du père de son amant, ainsi pardonnée et réconciliée avec le monde bourgeois. Au cours d’un séjour parisien, Giuseppe Verdi assiste en 1852 à une représentation de la pièce qui confronte la frivolité des salons mondains et le poids des valeurs de la famille traditionnelle. Un tel tableau revêt une résonance particulière pour le compositeur qui vit à l’époque avec la soprano italienne Giuseppina Strepproni, au passé riche en liaisons scandaleuses, qu’il n’épousera qu’en 1859. Cette liaison est alors mal acceptée par son père et son entourage provincial.
La Fenice de Venise lui ayant commandé un ouvrage, Verdi s’associe à Francesco Piave pour remanier la pièce en cinq actes de Dumas. Le librettiste pousse dans ses plus vifs retranchements le matériau dramatique trop édulcoré de la version théâtrale. À la demande la Fenice, Verdi doit pourtant se résoudre à transposer l’histoire au XVIIe, où le statut social de l’héroïne est plus flou. Alors que seuls prédominent les sentiments et l’intériorité du personnage, l’opéra est organisé en trois actes et ne conserve que l’ossature purement signifiante de la pièce : exposition, péripétie, catastrophe. Entretenant un parfait équilibre entre musique et drame, chaque acte possède son unité musicale et dramatique, son atmosphère particulière : brillant et virtuose, le premier acte présente une Violetta mondaine et avide de plaisir ; plus intérieur et pathétique, le deuxième acte opère le basculement entre la courtisane et la compagne de plus en plus résignée ; très dramatique, le troisième met en scène la mort de l’héroïne.
Si « la Traviata » s’inscrit dans la tradition lyrique italienne, notamment dans sa construction alternant récitatifs, airs, duos, ensembles et chœurs, la partition fait preuve d’innovation dans sa conception dramaturgique. La force du drame y prime en effet toujours sur la forme musicale aux règles trop strictes. Étroitement liée aux vicissitudes de la narration, la partition suit donc l’évolution dramatique. L’écriture vocale, par exemple, virtuose ou intimiste, épouse les contours psychologiques de chacun des personnages au point que les vocalises, éléments le plus démonstratif de virtuosité et donc d’énergie, se raréfient au fur et à mesure de l’affaiblissement physique de Violetta, jusqu’à disparaître totalement de son chant à la fin de l’œuvre.
Verdi écrit la musique de « la Traviata » en même temps qu’il travaille au « Trouvère » qui sera créé en janvier 1853, à Rome. Avec « Rigoletto », ces œuvres constituent la trilogie populaire de Verdi et amorcent un tournant dans la carrière du compositeur qui ne cessera désormais d’affiner cet équilibre recherché entre drame et musique. D’abord intitulée « Amore e morte », l’œuvre devient finalement « la Traviata » lors de la création, le 6 mars 1853, qui est un échec retentissant. Le succès finit par s’imposer progressivement au fil des représentations, jusqu’à la reprise triomphale, un an plus tard.
La production à l’affiche du Théâtre du Capitole a été confiée à Pierre Rambert, danseur et ancien directeur artistique du Lido de Paris. Il s’est associé à deux artistes renommés: le décorateur Antoine Fontaine (« La Reine Margot » de Patrice Chéreau, « Marie-Antoinette » de Sofia Coppola, « L’Anglaise et le Duc » d’Éric Rohmer, « Casse-Noisette » de Kader Belarbi au Capitole, etc.), et le couturier Franck Sorbier. Selon le metteur en scène, «l’œuvre ne raconte que ce qu’elle raconte. Si l’on imagine que Violetta est le centre du monde, elle ne fait que s’adapter à toutes les données qui lui sont offertes : le sexe, l’argent, l’amour romantique, la religion, la pression sociale, l’ostracisme, la maladie… et elle fait avec. C’est à travers sa vie elle-même que nous façonnons notre perception du monde, et particulièrement du monde auquel elle est confrontée. L’émotion inaltérable que provoque « la Traviata » trouve alors sa source dans notre capacité de compassion et d’empathie pour un personnage certes contraint, mais qui in fine arrive libérée au terme de sa courte vie», assure Pierre Rambert.
Dans cet entretien réalisé par le Théâtre du Capitole, le metteur en scène poursuit: ««Mes choix visuels se sont portés sur une atemporalité esthétique. J’ai placé cette production sous le sceau du camélia et cette fleur choisie est celle choisie par Violetta. (…) Le luxe et l’élégance des écrins successifs à ces moments de vie me sont apparus constitutifs de la production. Les décors sont signés par Antoine Fontaine. Il a su saisir entre les mots que j’ai pu lui dire les images que j’imaginais. J’ai confié la création des costumes à Frank Sorbier et Isabelle Tartière. Violetta et tous les protagonistes seront habillés par une maison de haute couture ; le style, le chic de Frank Sorbier, l’aspect elliptique et contemporain de son travail se marient voluptueusement à une opulence de camélias, symbole de cette production».
Dans l’une des deux distributions qui se succèderont sur scène, on retrouvera dans le rôle-titre Anita Hartig (photo), soprano roumaine déjà appréciée ici dans « Faust », de Charles Gounod. Le baryton italien Nicola Alaimo et le ténor canadien Airam Hernández seront sur scène à ses côtés. Dans la seconde distribution, la soprano bulgare Polina Pastirchak fera à cette occasion ses débuts en France, le jeune ténor toulousain Kevin Amiel chantera son premier Alfredo aux côtés du Germont d’André Heyboer.
Jérôme Gac
Du 26 septembre au 7 octobre, au Théâtre du Capitole,
place du Capitole, Toulouse. Tél. 05 61 63 13 13
Conférence, mardi 25 septembre, 18h00, au Théâtre du Capitole (entrée libre)
A. Hartig © Shirley Suarez
P. Rambert © Julie Guillouzo