C’est un duo bien rodé, qui a su trouver l’alchimie entre deux compétences et deux mondes qui ne se fréquentaient pas beaucoup a priori : le théâtre et l’entreprise. Pierrot Corpel et Thierry Lafforgue sont des passionnés qui ont mis en commun leurs envies et leur complicité pour créer Aparté, une structure qui a le vent en poupe. Interview à deux voix.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Thierry Lafforgue : “Je suis un ancien banquier, j’ai travaillé dans le secteur bancaire pendant vingt ans. A cette époque le théâtre était pour moi un exutoire, pour respirer, développer ma fibre créative et sortir un peu du cadre parfois pesant de la banque. J’ai commencé le théâtre en même temps que mon fils, je me suis inscrit dans une troupe adulte et c’est comme ça que j’ai rencontré Pierrot il y a 15 ans. Dans cette troupe, personne n’avait jamais fait de théâtre mais ça a été une expérience très positive, nourrie de rencontres très fortes”.
Pierrot Corpel : En 2000, j’ai fondé La Compagnie A qui, coté cour, est une compagnie de théâtre professionnelle qui produit ses propres spectacles et qui vient de créer la saison culturelle « Les Tréteaux du Capitole » à Toulouse et qui, coté jardin, enseigne et forme des comédiens de tous âges enfants, ados et adultes à l’art dramatique dans le cadre des Ateliers de La Compagnie A.
Enseigner, partager, transmettre ma passion pour les Arts du spectacle à toujours été pour moi primordial et c’est dans ce cadre là que nous nous sommes rencontrés avec Thierry, il y a une quinzaine d’années.
Comment avez-vous créé Aparté ?
Thierry Lafforgue : “Un jour après avoir suivi un énième parcours de formation de manager au sein de la banque, on nous a demandé de faire une création collective pour le comité de direction et les managers de la banque, de bâtir un projet commun qui fédère les managers. Par un des participants on avait accès à un château, des chevaux, etc. En ce qui me concerne, je pouvais amener, en la personne de Pierrot, une compétence dans la mise en scène et dans la direction « d’acteur ». Beaucoup avaient des réticences et puis finalement, ils se sont pris au jeu, on a passé une super journée. On a écrit un scénario, on s’est habillé en costumes d’époque médiévale, on y a mêlé plein d’anachronismes. On a filmé le tout, on l’a monté, on l’a projeté à l’équipe et ça a fait un tabac : dix ans après ils m’en parlent encore.
A ce moment-là on s’est dit, il se passe quelque chose et on a voulu proposer l’expérience à plus de monde. A cette époque j’ai quitté le secteur bancaire pour rejoindre une entreprise familiale et ait repris mes études en parallèle en réalisant un Executive Mba au sein de la Toulouse Business School. Je me suis alors ménagé du temps pour réaliser du conseil en management. J’avais envie de créer quelque chose avec Pierrot dont je connais bien la méthode d’apprentissage du théâtre qui est dans la bienveillance, dans l’apprentissage collectif. On a la même sensibilité en terme de confiance en soi, de psychologie et on a eu envie de monter ensemble le projet. C’est comme ça qu’on a créé Aparté en septembre il y a deux ans et demi”.
Qu’est-ce qui fait selon vous la spécificité d’Aparté ?
Thierry Lafforgue : “Aparté, c’est pour moi l’alliance très forte d’une double compétence : une réelle connaissance de l’entreprise et une maîtrise égale des possibilités du théâtre. Je suis manager depuis 25 ans et comédien, Pierrot est comédien, metteur en scène et musicien et on joue ensemble depuis 15 ans. Chacun a son rôle et on se complète. Faire le lien entre l’entreprise et le théâtre c’est notre credo commun et ce credo est d’abord fondé sur la volonté partagée d’amener de la bienveillance, de la considération, de remettre de l’humain au coeur de l’organisation, d’améliorer les relations et de revenir à une communication plus empathique loin des fonctionnements parfois déshumanisés. A travers nos actions, le collègue est à nouveau perçu comme un être humain, au delà de son costume d’employé ou de manager, quelqu’un qui a des loisirs, des passions, des hobbies, etc.”
En quoi consistent ces actions en entreprise ?
Thierry Lafforgue : “Elles peuvent prendre des formes très diverses. Elles vont d’une intervention de deux heures à une journée et les budgets vont de 800 à 12000 euros pour le plus gros qu’on ait fait jusqu’à présent. On prend un premier contact avec l’entreprise pour cerner ses besoins et l’état d’esprit puis on écrit une réponse en terme de formation ou d’événement. Notre équipe de comédiens est professionnalisée, ils interviennent de façon personnalisée selon la demande pour des événements, dans des cocktails, des meetings, des séminaires, etc. En plus de deux ans d’existence on a déjà la confiance de plusieurs grosses entreprises dont Schindler, le Crédit agricole, le Crédit Mutuel, EDF, PREVIFRANCE, TBS, Enedis, le CHU de Bordeaux, etc. On a un bon réseau via les clubs d’entreprise comme par exemple le MEDEF, le Blagnac Rugby ou le Stade Toulousain Rugby et une vraie crédibilité car on sait de quoi on parle. On fait aussi des mises en situation (on ne dit pas “jeux de rôles”) où les équipes de l’entreprise vont jouer des personnages “pour de vrai” et résoudre des conflits ou bien mêler les juniors et les seniors pour exploiter aussi tous les aspects pédagogiques de transmission du théâtre, pour faire vivre les messages au lieu de les lire sur des écrans. Enfin, on propose aussi de réaliser ces interventions dans un théâtre partenaire, un lieu neutre (le Grenier Théâtre) pour faire sortir les gens du cadre du travail et faciliter le lâcher-prise”.
Quelle vous paraît être la plus-value de votre approche artistique ?
Pierrot Corpel : “Il y a sept ans j’ai créé des ateliers de théâtro-thérapie en clinique psychiatrique avec des gens qui ne sont plus hospitalisés mais qui participent encore à des ateliers de reconstruction de la personnalité. Des gens en souffrance, qui ont vécu des parcours compliqués ou des accidents de vie, une dépression, un burn out… Je me suis aperçu que, grâce au théâtre, ces gens me parlaient d’une nouvelle naissance et me remerciaient de ce que le théâtre leur permettait de vivre aujourd’hui, des nouvelles facettes de leur personnalité qu’ils ont découvertes.
Dans le cadre d’Aparté maintenant on intervient dans des entreprises où les modes de management sont parfois très durs, où les équipes sont investies mais sous pression avec des organisations en silos et ça a vraiment du sens pour moi d’agir en amont, au coeur même de l’entreprise, sur des équipes où tout le monde est mélangé, de l’employé au manager. En effet, le théâtre crée de la cohésion et fait passer des messages de bienveillance et d’empathie qui permettent de se mettre à la place de l’autre, de mieux se comprendre et d’éviter parfois les tensions ou les conflits.”
Comment s’est forgée votre conception du théâtre comme outil de cohésion ?
Pierrot Corpel : “Je tiens cette envie d’aider les autres de ma mère qui a toujours été engagée et investie de part son métier dans des structures sociales. Je viens aussi du sport collectif, je crois très fort à la notion d’équipe et aux valeurs qu’on y apprend : l’entraide, l’esprit d’équipe qui permettent d’arriver à des résultats qu’on n’imaginait pas. Le théâtre véhicule ces mêmes valeurs, avec en plus d’autres apprentissages : l’audace, la spontanéité et la créativité. C’est très important pour nous d’intervenir en entreprise avec ces valeurs et ces messages-là. Dans les ateliers il y a il y autant de gens qui viennent du privé que de la fonction publique, des infirmières, des professeurs des écoles, etc donc pour moi en plus du côté divertissant du théâtre que j’affectionne, notre action a une véritable utilité publique. Faire du théâtre entre collègues ça fait remonter en chacun l’humain, ça lisse les rapports hiérarchiques, les différences entre métiers et ça permet de retrouver des relations normales entre êtres humains”.
Thierry Lafforgue : “On tient beaucoup à ce rôle sociétal, parce que les modes de management aujourd’hui sont souvent épuisants. Si l’on peut ramener de l’humain au sein des organisations par ces activités, on met en avant de la cohésion. Ce que l’on propose va au delà de ce qui était classiquement proposé en matière de team building. En entreprise on fait souvent faire aux gens des activités communes futiles comme des cocottes en papier mais cela ne contient pas de message sur l’humain, ne véhicule pas de valeurs particulières, n’oblige pas les gens à sortir de leur zone de confort ni à valoriser leur créativité. Et puis le lien qu’ils tissent avec Pierrot contribue aussi à la nouveauté car il a une approche dénuée de tout contexte professionnel qui facilite le lâcher-prise immédiat”.
Justement sur quoi repose selon vous cette qualité du lien ?
Pierrot Corpel : Je travaille, à l’inverse de pas mal de courants selon lesquels il faut d’abord se faire confiance avant de pouvoir se reposer sur l’autre. On est dans le développement personnel, mais pour moi la confiance en soi passe d’abord par la confiance en l’autre. Je leur fais faire des exercices pour mettre en valeur l’autre, ne pas dire non à ses idées, l’accepter, le valoriser, amener un nouveau regard sur lui, et du coup développer d’autres facettes de la personnalité de chacun, autant l’autre que soi-même. L’autre devient un outil dont je me sers pour travailler sur moi. Je dis souvent que j’aime “redonner le goût des autres” et “travailler le je à travers le jeu”. Ce sont des formules, mais elles résument bien ma façon de voir. Construire des dispositifs qui valorisent tout le monde, qui fonctionnent à l’inverse de l’esprit de compétition et qui redonnent du sens et de la reconnaissance personnelle.
En conclusion, peut-on savoir comment vous mesurez l’impact de vos actions, avez-vous des indicateurs qui vous permettent de juger de leur efficacité ?
Thierry Lafforgue : “Oui, on met en place des débriefings au cours desquels au-delà de l’appréciation sur l’animation on va jusqu’à mettre en place des plans d’action. On développe en plus des enquêtes de satisfaction qui nous permettent de juger si l’action proposée a été efficace et bien perçue. Puis quelques mois après l’animation je recontacte l’organisateur, décideur pour savoir s’il a le sentiment d’être rentré dans ses frais, d’avoir investi dans quelque chose de satisfaisant, qui a amélioré le climat dans son équipe ou facilité la communication. On développe aujourd’hui une offre sur des formules qui atteignent l’objectif de la confiance en soi, du mieux-être et qui montrent que les gens n’ont pas perdu leur temps, qu’ils en ont retiré une valeur ajoutée en terme de bienveillance, de meilleure communication, de collaboration. Les clients nous disent qu’il y a un avant et un après et ça c’est le meilleur compliment pour nous. Si on peut remettre de l’humain dans les organisations et aider à prévenir les risques psychosociaux, côté managers comme côté collaborateurs, les faire sortir un peu du carcan et du contexte institutionnel aussi, pour nous c’est gagné”.
Propos recueillis par Cécile Brochard
📍 Thierry Lafforgue, un homme au singulier pluriel
📍 Pierrot Corpel : déployer l’art du jeu
Aparté • Théâtre en Entreprise
Tel : 05 62 73 16 21
www.aparte-theatre.com
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photos © Pierre Beteille / Culture 31