C’est toujours un grand plaisir de venir dans cette Chapelle vestige de l’ancien Couvent des Carmélites, dont la première pierre fut posée par le roi Louis XIII et son épouse Anne d’Autriche, le 1er juillet 1622, année de canonisation de sainte Thérèse d’Avila : le roi s’était engagé à donner 25 000 livres pour mener à terme la construction de l’édifice mais il ne tient pas sa promesse et les travaux ne purent continuer que grâce la générosité du président des enquêtes du Parlement de Toulouse dont les cinq filles étaient moniales de cet ordre.
Dans la tradition du gothique méridional, la chapelle comprend une nef unique de 30 mètres de long et onze de haut, aux voûtes soulignées de nervures, mais surtout dans son décor peint qui la recouvre du sol au plafond. En effet, à la fin du XVIIème siècle, le peintre toulousain Jean-Pierre Rivals s’est inspiré de la chapelle Sixtine pour l’orner, travail qui a été repris et poursuivi par son successeur Jean-Baptiste Despax, et qui est considéré comme un chef-d’œuvre de la peinture toulousaine de cette époque ; et certains Toulousains, fiers de l’être, n’hésitent pas à l’appeler la Sixtine toulousaine.
Toutes proportions gardées, le décor peint habillant la voûte lambrissée et les murs, est un ensemble unique dans le Sud-ouest par la qualité des peintures et par la richesse iconographique.
Comme à chacune de mes venues, après l’accueil chaleureux de Catherine Kaufmann-Saint-Martin, grande prêtresse des Musiques en dialogue en ce lieu (1), je m’abime dans la contemplation de ce grand livre d’images.
Soudain, du fond de la nef, filés, enflant leur onde, purs et profonds, grâce perlée, essor qui se débat, désir qui fuse, joie qui chante, eau mouvante, flamme qui monte, or qui palpite, douceur, lumière, moelleux d’argent, les sons fendants d’un violon (2).
Et comme une apparition surgie d’un conte de fée, sylphide émergeant de l’onde de la musique, la blonde Amanda Favier rejoint sur l’autel le récitant François Castang, dont la voix radiophonique est bien connue des auditeurs de France Musique (où il officia longtemps), pour nous narrer la fabuleuse histoire de son violon.
De Venise à Venise, capitale de la Musique à l’époque où naquit celui-ci, de gavotte en sonate, de rondeau en caprice, en passant par Leipzig, Paris, Gènes, Cologne, Vienne, de Bach à Niccolò Paganini, en passant par Jean-Marie Leclair ou Eugène Ysaÿe, nous voyageons en rêve à travers une Europe musicale et culturelle, celle que Stefan Zweig se désolait de voir partir en fumée sous les bottes de la force brutale investie des pleins pouvoirs, et qui heureusement survit à travers certains artistes, comme celle-ci.
Nous sommes guidés par la verve du conteur, et Amanda Favier est aussi à l’aise dans ces différents répertoires, et je pense un instant au regretté Didier Lockwood, musicien globe-trotteur (du nom d’un de ses disques), de la profondeur baroque à la nostalgie tzigane ou la fantaisie italienne ; mais cela ne devrait pas choquer celle qui a joué, entre autres, avec des musiciens de jazz comme Jean-Marie Machado.
J’ai l’impression que c’est ce violon lui-même qui nous parle, lui qui parfois pleure ou éclate de rire, ce violon qui frémit comme un cœur qu’on afflige, un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir (3), lui qui a failli mourir, enfermé pendant 60 ans dans le coffre-fort d’un collectionneur, et qui savoure sa renaissance sous les doigts de cette belle musicienne.
Si je prends un violon dans mes mains, je crois tenir une vie.
De la joie à la douleur, de l’ivresse à la méditation, de la profonde gravité à la légèreté angélique, il parcourt tout l’espace du sentiment. L’allégresse sereine ne lui est pas plus étrangère que la brûlante volupté; le râle du cœur et le babil des sources, tout lui est propre; et il passe sans effort de la langueur des rêves à la vive action de la danse (4).
Cet instrument magique n’a pas perdu son âme, bien au contraire, depuis sa naissance il y plusieurs siècles, en 1723, et tel que l’avait légué à Madame la Musique le luthier qui l’a accouché, Matteo Goffriller (1659-1742). Sur ses instruments ont joué Pablo Casals, János Starker… et aujourd’hui, Ophélie Gaillard ou Gautier Capuçon, outre Amanda Favier.
C’est bien l’âme de ce magnifique instrument qu’elle nous donne à entendre, insufflée dans le bois rouge cerise par cet artisan de génie, aussi inspiré qu’Antonio Giacomo Stradivari ; cette petite âme, comme disait Francis Jammes qui souriait qu’on le croit seul vivant, au milieu des magnifiques meubles anciens de sa famille façonnés avec amour par un ébéniste passionné par son métier :
… Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
qui n’ont pas cru à ces petites âmes…
En rappel, qui aurait pu sembler iconoclaste pour les puristes d’un autre siècle, mais si touchant pour nous, habitant Toulouse où l’Espagne pousse sa corne, c’est un petit conte musical pour enfants que nous offrent François Castang qui aime aussi réciter pour le jeune public, et la violoniste jouant le jeu avec éclectisme : celui de Ferdinand, ce petit toro devenu célèbre au cinéma, qui préférait respirer l’odeur des fleurs plutôt que celle du sang ; un conte édifiant pas si léger qu’il n’y paraît quand l’on connaît la barbarie d’un autre âge des corridas.
En repartant dans la chaude après-midi de juillet, je me remémore Madame Louise de Vilmorin (5) et son Violon hippocampe et sirène
Berceau des cœurs, cœur et berceau
Larmes de Marie-Madeleine
Souper d’une Reine
Sanglot.
Violon orgueil des mains légères
Départ à cheval sur les eaux
Amour chevauchant le mystère
Voleur en prière
Oiseau.
Violon alcool de l’âme en peine
Épaule des saisons soudaines
Feuille de chêne
Miroir.
Violon femme morganatique
Chat botté courant la forêt
Puits des vérités lunatiques
Confession publique
Corset.
Violon chevalier du silence
Jouet évadé du bonheur
Poitrine de mille présences
Bateau de plaisance
Chasseur.
Par une belle correspondance, c’est celui que j’ai entendu aujourd’hui sous les doigts amoureux d’Amanda Favier : pari réussi pour la maitresse de cérémonie de ces superbes concerts consacrés à la Musique, aux Lettres et au Patrimoine (6) !
Les prochains auront lieu le dimanche 26 août, avec Muza Rubackyté (piano) et Régis Goudot (récitant), et le 23 septembre, avec Les Passions de Jean-Marc Andrieu (direction) et Gilles Cantagrel (narrateur) (1), toujours dans ce lieu inspiré.
Des rendez-vous à ne pas manquer, quelle que soit la météo !
8-VII-2018
E.Fabre-Maigné
photos Carmélites © © JJ Ader
Pour en savoir plus :
- musiquendialogue.org
- Arno Holz (1863-1929)
- Voir ma chronique lors de sa disparition (et celle de Mady de la Giraudière) :
- https://blog.culture31.com/2018/04/05/je-me-souviens-de-didier-lockwood-et-de-mady-de-la-giraudiere/
- Charles Baudelaire (1821-1887)
- André Suarès (1868-1948)
- Louise de Vilmorin (1902-1969)