On peut se replonger dans l’article d’annonce de cet opéra, intitulé « noir, c’est noir », mais aussi dans le premier compte-rendu vous demandant instamment de ne pas rater cette production !
« Ça, c’est de l’opéra ! » aurait pu être le titre de cet article car, pour qui veut bien s’appuyer sur la définition, les trois éléments, chant, musique, et théâtre sont bien au rendez-vous ( cités dans l’ordre qui me sied).
Petite précision s’il en est, c’est, personnellement, la septième production de Macbeth à laquelle j’assiste en live comme on dit, et c’est une parmi les plus satisfaisantes, que je me dois de défendre avec une certaine énergie, en toute…objectivité, ou du moins, le plus proche de !!
Tout d’abord, merci à William Shakespeare pour son ouvrage, Macbeth. Et doublement merci à Giuseppe Verdi pour, d’abord sa participation au livret, implacable, impitoyable je dirai même, et pour la musique, évidemment, que ce soit pour la première version de 1847 ou pour la deuxième en 1865, ou pour celle-ci qui voit la version adoptée, celle de Paris, sans ballet, et avec une fin dite impropre. Tout cela pour signifier, que sa recherche de l’essentiel s’accompagnait alors d’une conception rigoureusement unitaire du drame, depuis son aspect littéraire autant que musical jusqu’à ce qui est qualifié, de nos jours, et dans le sens le plus large, d’interprétation et de mise en scène. Donc, tous ceux qui glosent sur, justement, les deux derniers éléments cités, feraient bien de relire la correspondance du compositeur qui, épistolier infatigable, leur explique tout. En cela, on ne peut qu’être satisfait par l’équipe (dont tous les membres ont été cités dans le compte-rendu précédent) qui a pris en charge le côté théâtre de cette véritable machine de guerre que représente cet opéra, opéra des ténèbres, noirceur des actions et des passions, poésie de la violence, envahissement de la scène par les forces obscures. Dans cette nuit où se déchaînent les crimes, d’où tout sommeil a disparu.
« Ayez pour règle que les rôles de cet opéra sont au nombre de trois et ne peuvent être que trois : Lady Macbeth, Macbeth et le chœur des sorcières. » tel est l’un des propos de Verdi. Ainsi vont se dérouler les quatre actes de cet opéra qui traduit, on ne peut mieux, ce thème si banal de la passion du pouvoir, dans sa manière la plus destructrice. Ici, le monstre froid de la destructivité est insensible à toute douleur d’autrui.
On répètera que le maître d’œuvre du spectacle est ce jeune chef Michele Gamba que nous découvrons ici au Théâtre, un chef qui semble complètement immergé dans ce monument, faisant preuve d’un esprit de maturité, de calme, de domination d’un appareil orchestral et scénique conséquent. Les musiciens de l’Orchestre National du Capitole sont comme sur scène, et assument brillamment un des trois volets, celui de la musique. Une partie du chant, c’est avec les Chœurs. Les Chœurs de la maison, plus les renforts, plus quelques éléments de la Maîtrise, tous ces artistes ont été ovationnés lors des premières représentations, ainsi que leur Directeur, Alfonso Caiani, accueil amplement mérité. Le « Patria oppressa ! » vaut bien le « Va, pensiero ! ». Dans leur rang, les sorcières incarnent le mal, et se doivent d’être horripilantes, trompeuses, mortifères, exerçant un pouvoir d’attraction quasi irrésistible. Affublées de leurs costumes à deux faces, et sans nez crochu, ouf, elles sont les représentantes du démoniaque. Femmes phalliques dans l’acceptation la plus archaïque, leur pouvoir destructeur est tout-puissant.
Quant au reste de la distribution, tous sont à louer, du plus petit rôle au plus grand. Le ténor Boris Stepanov est Malcolm, jeune espoir en devenir. Macduff est chanté par le ténor Otar Jorjikia, qui prouve qu’on n’a pas besoin d’aller chercher un Placido Domingo. Souffle parfaitement maîtrisé, beau timbre, la voix émeut, attendrit même. Et Banquo, c’est la très belle basse In Sung Sim, dont les qualités du chant a fait dire à certains qu’ilest fort dommage que Verdi l’ait fait disparaître aussi vite dans le synopsis. Avec Macduff, Banquo constituent les utilités de luxe esquissant un vague repoussoir au Mal.
Il faut maintenant aborder le couple infernal, soit l’épouse, Lady Macbeth chanté et joué par Béatrice Uria-Monzon, une artiste qui, je le répète, ne pouvait pas passer à côté d’un tel rôle. Elle interprète le rôle d’une femme à qui il est interdit d’assurer une descendance, et qui s’abandonne alors aux forces des ténèbres qu’elle déchaîne. Elle se dresse entre Macbeth et sa peur. Incarnation de la femme phallique, elle exerce un pouvoir inexorable sur son époux-enfant. Elle transgresse les lois humaines. Totalement négative, elle est dénuée de la moindre humanité. Elle mourra, donc, sans se repentir. Et en coulisses, après avoir chanté la « scène du somnambulisme », ce morceau de bravoure terrible du répertoire…
Pour la voix, on a pu relever sur la partition, quelques précisions maniaques du style : cupo, parlante, risoluto, la voce oscillante, lamentoso……tout ça pour dire que le chant désormais, ce n’est pas l’art et le plus beau d’une voix, mais l’âme en acte, – l’âme prise sur le fait. Pas étonnant que la créatrice du rôle, qui le comblait, se signalait, paraît-il, par une voix offusquée, enfumée, vacillante, pleine de griffes, véhémente, ingrate !!! Mais il lui faudra être belcantiste dans le Brindisi. Verdi est impitoyable. Une voix capable aussi de théâtralité, car ses premiers mots sont parlés avec la lecture de la fameuse Lettre qui la voit entrer en scène. En somme un rôle parmi les plus grands, écrits par Verdi, pour soprano dramatique ou pour mezzo ? en tous les cas, pour une voix noire, s’emportant jusqu’à l’égarement, jusqu’à la blancheur somnambule. Tout cela pour conclure que B. Uria-Monzon assume vaillamment les difficultés de l’écriture et fait de son implacable héroïne, un ensemble parfaitement défendable. Elle n’a pas suivi les conseils de Verdi qui, dans une énième lettre, voulait une Lady Macbeth qui ne chante absolument pas !
Quant au héros, si je puis dire, Macbeth, c’est un grand rôle pour baryton, ici, un habitué pour la scène du Capitole, Vitaly Biliyy. Il est sur scène pendant presque toute la durée de l’opéra. Aucun problème de tessiture pour notre chanteur. Sous la coupe des sorcières, dominé par sa femme, Macbeth n’a pas la moindre grandeur. D’une grande vulnérabilité, il est comme un enfant dans les mains de son épouse. Sans elle, il n’aurait sûrement rien fait. C’est elle la « Deus ex machina » qui exerce sur lui un pouvoir de fascination et de tyrannie. En un mot, c’est « un pauvre type » manipulé, un objet entre les mains de son épouse. Il est le nourrisson jamais sevré d’amour maternel. Sa rage narcissique, sa mégalomanie l’entraînent à briguer le pouvoir et à l’atteindre par tous les moyens, y compris en exerçant sa violence sur les enfants. Rappelons qu’il n’a aucune descendance. Mais Malcolm, le fils de Duncan, lui échappe, le fils de Banco, Fleanzio aussi. Seuls, seront assassinés tous les enfants de Macduff. Un rôle exigeant pour lequel Vitaly Biliyy a la voix qu’il faut et une part de théâtre qui ne pourra que s’étoffer encore avec le temps, on n’en doute pas. Il sera un grand Macbeth.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole
Macbeth • Giuseppe Verdi
du 18 au 29 mai 2018
photos © Patrice Nin