Le Rocher de la Vierge
Dans un coin de la salle de ce restaurant de poche de la rue Merly, une platine et des vinyles peuvent mettre la puce à l’oreille. Il ne s’agit pas d’une simple déco vintage, mais d’une part de l’existence du maître des lieux, Mikael Lecumberry, le cuisinier le plus pop de la scène gastronomique toulousaine. En effet, dans une autre vie, il a été musicien et chanteur. Sa présence s’imposait donc naturellement dans cette série de chroniques mariant vinyles et cuisine. À l’instar de tant d’autres de sa génération, il a monté ses premiers groupes à l’adolescence, avec ses amis, en copiant les modes de l’époque (punk, new wave…). Puis, il en a fait son métier, en traçant un sillon plus singulier, au milieu des années 1990 avec un single (Pourquoi les filles sont-elles aussi belles ?) signé Mikael Toma puis avec un album (Basse fidélité) signé Toma. Au fil des années, la lassitude le gagne et il revient à son autre passion, pratiquée jusque-là en « amateur » : la cuisine.
À partir de 2008, le Toulousain aux origines biarrotes et bayonnaises fait ses gammes en cuisinant au Bar de l’Esquile, rue du Taur, avant de se lancer en solo en créant Le Rocher de la Vierge. En moins de deux ans d’existence (naissance en octobre 2016), l’endroit est déjà devenu incontournable, consacré par les gourmands d’ici ou d’ailleurs (« Meilleur rade » 2018 pour le guide du Fooding). Le genre manquait dans la ville : un bistrot taquin et ludique jouant avec les abats, revisitant des produits trop souvent négligés (foie de veau), surfant sur la marée, rendant hommage au noble cochon sous toutes ses formes (joues, pieds…), assaisonnant des classiques selon l’humeur du marché… Un restaurant accessible proposant un menu entrée/plat/dessert à 16 euros au déjeuner et qui décline une série de rations tout aussi enthousiasmantes le soir. Côté liquides : des vins d’auteurs, « naturels », pas à cause de la mode, mais par goût et cohérence avec le solide.
Le résultat est pop, éminemment mélodique, enchaînant des accords simples et des harmonies imparables à l’image de petits jus qui swinguent dans l’assiette et que l’on sauce jusqu’à la dernière goutte. Pas de grandes symphonies ici ni de longs instrumentaux où les prouesses des virtuoses ne suffisent à dissiper un sentiment d’ennui. Au Rocher de la Vierge, on fait résonner des ritournelles qui se nichent dans les papilles et que l’on a envie de réécouter. La cuisine, comme la musique pop, est un art collectif. Mika a donc ses sidemen et ses sidewomen (soyons inclusifs) : Paul, Sacha, Sylvie, un autre Paul… Parfois, d’anciens partenaires – tel le sémillant Khoi – font leur retour, non pour une reformation, mais pour un « gig », une performance d’un soir ou d’un déjeuner. D’autres fois, ce sont des chefs ou des vignerons invités qui viennent ajouter leurs propres notes à la partition. Le public applaudit, en redemande. Les rappels peuvent s’achever tard dans la soirée… Des vinyles atterrissent sur la platine. Les plus valeureux esquissent quelques pas de danse.
Naguère, nous avions comparé Mika à Paddy McAloon, l’orfèvre du groupe Prefab Sprout. Même précision, même sophistication, avançant masquées derrière une légèreté et une évidence que distillent leurs compositions ciselées. On maintient. On pourrait ajouter Dominique Dalcan. Pas seulement à cause d’une certaine ressemblance. Plutôt pour leur faculté commune à dépasser les frontières, à lorgner sur les horizons lointains, à mêler de l’electro à de l’acoustique, de la terre à de la mer, de la java au cha-cha-cha. Au Rocher de la Vierge, la musique n’est pas un prétexte ni un alibi. On en écoute en faisant la mise en place, en cuisinant, après le service… Depuis quinze ans, Mika s’est concocté une play-list de 4500 titres, en évolution permanente, qui accompagne désormais la vie du restaurant. Un peu comme une bibliothèque, elle condense une partie de son parcours. Parions qu’elle doit comprendre des chansons d’Etienne Daho et de New Order. Pourquoi ? Vous lui demanderez quand vous irez goûter sa cuisine…
Le Rocher de la Vierge
40 rue Merly • Toulouse
Téléphone : 05 34 30 80 38
Etienne Daho – Le grand sommeil
Le Tire Bouchon • Philippe et Laurence Lagarde
photos © Pierre Beteille