Une fois de plus, le printemps des Musiques du Monde a fleuri à la Salle Nougaro et à Odyssud.
Comme souvent, c’était l’affluence des grands soirs à la Salle Nougaro: pas un fauteuil inoccupé. Le pianiste cubain Omar Sosa et le chanteur-koriste (joueur de kora) sénégalais Seckou Keita, épaulés par le percussionniste vénézuélien Gustavo Ovalles, étaient venus présenter leur disque « Transparent Water ».
Sur la scène, dans un clair obscur bleu trônaient le piano, les claviers et les percussions, avec au centre la kora, majestueuse; derrière elle, une fontaine au doux clapotis rappelle le nom de leur album.
Tous trois habillés de blanc, les musiciens sont entrés sous un tonnerre d’applaudissements, les chaudes lumières de Michel Rodriguez les baignant dans une « eau transparente », c’est le cas de le dire; et tout de suite un flot de notes cristallines a envahi la belle salle bleue créée par le regretté Gil Pressnitzer grâce au soutien du Comité d’Etablissement de l’Aérospatiale. Sur le swing chaleureux du cubain, toujours en quête de nouvelles orientations musicales, la voix de tête aérienne du sénégalais s’adressait, j’imagine, aux cieux, aux oiseaux et aux dieux; elle nous ouvrait les portes du Pays du Rêve (comme le chantait Joni Mitchell) et nous incitait à suivre ces musiciens dans des contrées magiques connues d’eux seuls.
L’eau qui ruisselait en fond de scène, et dont le percussionniste ira jouer parfois avec ses mailloches, accentuait cette impression onirique.
J’ai senti des effluves du Weather Report de Black Market ou de la Familia Valeria Miranda de Music from Oriente de Cuba, tant cette musique est grisante et entrainante; d’ailleurs les musiciens qui ne tenaient pas en place sur leurs sièges se levaient régulièrement pour venir danser à la face et inviter le public à en faire autant.
Leur plaisir de jouer ensemble était palpable et le public ne s’y est pas trompé qui écoutait « religieusement », attendant la fin des morceaux pour manifester son enthousiasme: même si le concert est basé sur la recherche de combinaisons innovantes, toujours sous-tendues par une affirmation de liberté qui passe par l’improvisation, la symbiose des trois cultures est une réussite. On peut y associer nombre d’images, tant il est vrai que cet album profondément spirituel évoque une translucidité hypnotique, une lumière ruisselante et qu’il s’en dégage une sérénité apaisante dont on a tant besoin dans notre monde contemporain…
Ils ont fini enlacés à la face dans une belle image de fraternité.
A Odyssud, quelques jours plus tard, c’était le maitre tunisien du oud Anouar Brahem qui nous proposait ses Blue Maquams, rencontre entre tradition musicale arabe ancestrale, dont il est aujourd’hui l’un des plus créatifs représentants, et le Blues; disons plutôt le Jazz, puisqu’il était accompagné à la contrebasse de Dave Holland (compagnon de route entre autres de Keith Jarret) et à la batterie, de la légende Jack Dejohnette (76 ans (!) qui a fait ses classes dans le John Coltrane Quintet (!) et dont la subtilité rythmique n’est plus à louer !
Il reprenait en quelque sorte les choses là où il les avaient laissées il y a 20 ans avec l’album ECM « Thimar », enregistré déjà en compagnie du contrebassiste anglais (et de son compatriote John Surman) qui porte avec une classe toute britannique ses 71 ans. Dans la formation virtuose de cette tournée, il y a aussi le pianiste de Django Bates dont la légèreté et la sophistication harmonique sont à découvrir absolument: pour moi, c’était lui la révélation de cette soirée.
A partir de compositions originales alliant grand raffinement mélodique et structures formelles volontairement simples, Anouar Brahem laisse toute sa place et sa puissance créative à la geste de l’improvisation.
Multipliant les combinaisons instrumentales offertes par cet orchestre de luxe, solo(s), duo(s), trio(s) jusqu’au quatuor, donnant toute la mesure de son engagement rythmique, Anouar Brahem, a travaillé simultanément sur la finesse des alliages de timbres, la délicatesse des équilibres harmoniques entre les instruments et la pléthore de propositions générées par la complicité continuelle entre ces grands improvisateurs: cela met en évidence la richesse de sa vision musicale, profondément humaniste, sur laquelle se greffe la force de son imaginaire; on est entrainé dans une hypnotique rêverie poétique.
Engagé depuis ses débuts dans la patiente élaboration d’un univers éminemment personnel célébrant les noces entre la richesse de la tradition arabo-turque, la sophistication formelle de la musique de chambre occidentale et la liberté expressive du jazz, ce grand maître du oud poursuit sa quête universaliste d’harmonie avec ce nouveau projet résolument tourné vers ses valeurs d’ouverture.
Plus que jamais « passeur » entre les hommes, les cultures, les genres et les époques, Anouar Brahem, a mis sur pied autour de ces retrouvailles réjouissantes une petite formation virtuose et il développe avec ce nouveau groupe un univers lyrique à la fois d’une totale cohérence esthétique et d’une grande diversité de feelings, de sensations.
Loin de la folie meurtrière des hommes qui n’a pas de cesse, ni de limites dans l’invention d’armes de destruction, loin du machiavélisme des politiques qui jouent avec, pour des intérêts les plus bas et les plus sordides, des concerts de cette trempe nous réconcilient avec l’humanité, et la fraternité musicale de ces musiciens d’horizons si différents fait chaud au cœur.
On a du mal à se séparer d’eux après de nombreux rappels, mais ils doivent reprendre la route pour porter ailleurs cette bonne parole; et surtout les bonheurs musicaux qu’ils distillent avec générosité.
Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.
Aucun peuple ne tolère
Qu’un autre vive à côté;
Et l’on souffle la colère
Dans notre imbécillité…
On pourrait boire aux Fontaines,
Prier dans l’ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes;
Tuer son frère est plus doux.
Et l’aube est là sur la plaine !
Oh! « j’admire », en vérité,
Qu’on puisse avoir de la haine
Quand l’alouette a chanté.
Victor Hugo (1802-1885)
(Les chansons des rues et des bois)
E.Fabre-Maigné
28-IV-2018
Pour en savoir plus :
Salle Nougaro: www.sallenougaro.com/
Odyssud: www.odyssud.com/
Omar Sosa: http://www.jmp.fr/artistes/item/root/omar-sosa-quarteto-afrocubano.html
Seckou Keita: www.seckoukeita.com/
Gustavo Ovalles: www.gustavo.ovalles.free.fr/
Anouar Brahem: www.anouarbrahem.com/fr
Dave Holland: www.daveholland.com
Jack Dejohnette: https://fr-fr.facebook.com/jackdejohnette/
Django Bates: https://www.djangobates.co.uk/