A l’automne 2017, Jacques Roubert, galeriste au Confort Des Étranges, éditait deux œuvres hors-format fondées sur son travail d’écriture. Voir cet acteur inclassable et incontournable de la scène artistique toulousaine éditer ses poèmes n’est pas un geste impromptu mais nous apparaît comme l’image fuitée de la partie immergée de l’iceberg.
Voici en premier un grand portfolio, sobrement intitulé 20 puisqu’il rassemble onze de ses poèmes et neuf images de Richard Nieto.
[On parlera dans un autre billet du long poème symphonique édité en CD: « La Compagnie des Bourdons du Trône », lu par le comédien Denis Lavant et mis en musique par Bertille Fraisse.]
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Aux poètes qui servent une langue ciselée d’allégories, Jacques Roubert oppose la sienne, plus rêche et pas rétive à lécher la blessure. Quand le poète dit le vrai, Jacques Roubert préfère dessiner le geste qui le désigne.
Ainsi se trouvent en lien l’émotion et les mots pour y croire sans qu’elle soit pour autant nommée.
Juste ce qu’il faut de poudre d’art oratoire pour instiller un ressenti de brûlure.
Prendre le risque de Croire, sans retour possible, que l’écart entre le langage et la chair n’existe pas.
Que l’un et l’autre sont en vérité comme le bloc soudé des bassins des amants quand le sculpteur les ébauche: pure énergie, tension de matière, un nœud de vibrations et de lumière, une super-nova.
Elle me dévisagea comme seuls les arbres savent le faire lorsqu’ils déambulent à l’insu des passants.
Avec quelle énergie alors il se déplacent.
La cérémonie des entailles eût lieu
et elle me précipita vers d’inconsolables blessures.
Je nomme objectivement ce qu’une écorce d’amoureux pleure sous la coupure.
Ce furent des troubles légers, des broutilles sans incidences, si l’on songe aux iris d’où
pulsaient des échardes.
Je vis ce qui n’existait pas,
mais le filtre des rosées
et l’égoïne incendiaire
de ses yeux,
dressèrent dans ma bouche
un bûcher de sciure.
Le poème peut être parfois plus que vrai. Le poète peut ainsi armer ses mots et ses tournures jusqu’à la confrontation, jusqu’à à la nudité en face. Jacques Roubert a décidément cette licence sur la volupté et la douleur. Rien de tordu (Grands Dieux!!). Rien que de l’humain, de la re-connaissance.
Dans ce choix du support qui appelle à l’étalage, à l’affichage, on reconnaît le par ailleurs galeriste Jacques Roubert. Le lecteur-regardeur-manipulateur de ces grands formats s’engage inévitablement sur la voie du face à face. Les pages libres des textes et des images ne font pas un pli, se tiennent à deux mains. Ce faisant, on s’expose au texte comme on s’immerge dans un bain: il faut être saisi, changer d’état, pour toucher au subtil par les sens modifiés.
Après un temps, alors que les phrases font mouche une fois abouti leur parcours d’insecte explorant l’interface sensible de notre peau, le va-et-vient peut s’amorcer avec les images de Richard Nieto.
Mais l’inverse peut aussi fonctionner, tant ces images sèment un trouble. Elles valent aussi qu’on les éparpille, jusqu’à laisser sourdre leur petite musique, cet autre langage qui favorise le changement d’état.
Ces photographies ont sans doute leur histoire mais ce n’est pas le sujet. Leur pouvoir tient en ce qu’elles suggèrent que chacun peut reprendre la piste jamais refroidie qui mène à la mémoire de ses propres situations intimes, aux fissures par lesquelles on accède aux autres dimensions du soi.
C’est la pleine conscience poétique, et c’est tout l’art de Jacques Roubert d’y amener par l’agencement de poèmes et d’images en apparence épars, par le tissage entre formes brodées et sens débridés. Car si la langue de Jacques Roubert sonne et claque et peint de grands tableaux, c’est en tâche de fond qu’elle impacte et déroule son onde longue, celle des grandes orgues intérieures.
On peut trouver Jacques Roubert – et ce somptueux portfolio 20 – dans sa galerie, la bien-nommée Le Confort Des Étranges. Ce lieu tient du repaire et semble dressé pour distraire tant bien que mal l’esprit du poète de l’impérieuse confrontation avec l’en-soi. Et même, au vu de ses écrits irradiés, pourrait-on interpréter les devoirs convenus du galeriste comme une officine de blanchiment des vertiges de son introspection.
Ce peu d’espace réunit avant tout les traces de son dialogue avec d’autres artistes, échos ou mises en abîme de sa quête du visage humain comme ultime toile sensible des sens et des émotions que l’Époque anesthésie inexorablement.
[un article du blog La Maison Jaune]
Le Confort Des Étranges, galerie d’art – 33 rue des Polinaires à Toulouse
La galerie sur Facebook
Un portrait fort réussi de Jacques Roubert galeriste par notre confrère Michel Grialou de Culture 31