Air sublime, mélodie-phare de l’opéra Orphée et Eurydice. Deux représentations seulement pour ce trentième opéra de Christoph Willibald Gluck, écrit en plein XVIIIè, entre le dit “baroque“, et le dit “classique“, créé le 5 octobre 1762 à Vienne sous le titre Orfeo ed Euridice, reprise à Paris le 2 août 1774 , donné ici en version concert.
Gavure sur cuivre colorée de 1764 de Noël Lemire. Cette gravure figurait dans l’édition parisienne de l’opéra de Gluck. Orphée et Eurydice revenant du royaume des morts.
C’est pour le vendredi 23 février à 20h et le dimanche 25 à 15h. Christophe Rousset et ses musiciens, Les Talens lyriques seront sur le plateau avec le Chœur du Capitole dirigé par Alfonso Caiani. La tragédie-opéra en trois actes sera chanté pour les rôles principaux par Frédéric Antoun dans Orphée qui essaiera de récupérer sa bienaimée Eurydice interprétée par Judith van Wanroij, sous les yeux de Jodie Devos chantant l’Amour.
Orphée ou la quête de l’originel
Thème des premiers opéras de notre répertoire, “support“ de la réforme de l’art lyrique entreprise par Gluck qui suscita plus tard l’admiration d’Hector Berlioz, le mythe d’Orphée est incontestablement le sujet de prédilection des compositeurs d’alors et semble être synonyme d’un désir de retour à l’originel. Remarquons d’abord le lien que la musique orphique établit entre un effet irrationnel et une cause rationnelle, à savoir le pouvoir magique du chant – l’enchantement – et l’ordre et l’harmonie qui sont à la base de ce pouvoir, et enfin, que l’orchestre , mot sûrement très inapproprié au départ, va évoluer au fur et à mesure que la légende va inspirer de nombreux opéras, ballets, poèmes symphoniques et autres pièces musicales, de l’Orfeo de Poliziano représenté à Mantoue en 1480 ( mais oui !), accompagné au luth ou à la lira di braccio à archet, en passant par l’Orfeo de Claudio Monteverdi, et jusqu’à nos jours. Il convient d’utiliser le mot orchestre à partir des ensembles instrumentaux réunis justement pour l’Orfeo ed Euridice de Gluck dès sa création à Vienne. Mais le mot existait bien chez les Romains comme chez les Grecs !! A vos écrans !
Orphée, la vie de ce jeune héros thrace dont parenté et origine varient suivant les traditions, fils d’Apollon et de la nymphe Clio ou fils du roi de Thrace Œagre et de la muse Calliope, mais dont la vie se décompose toujours en trois épisodes, distincts et clos en apparence, dont seuls les deux derniers ont été retenus par la légende. C’est ici le second qui nous occupe.
Savez-vous que la version française – 1774 – de cet Orphée de Gluck pouvait être donnée en son temps avec un clavecin et une harpe, quarante cordes, quatorze bois dont huit bassons ! sept cuivres et deux tambours !!!
Christophe Rousset
On ne s’étendra pas ici sur le chef d’orchestre et sa troupe dont la notoriété est internationalement reconnue dans ce répertoire qu’ils affectionnent particulièrement. Vous découvrirez le talent des solistes dans cet opéra dont on vous livre quelques éléments, à commencer par un résumé très court du synopsis, soit :
Ayant perdu son épouse Eurydice, Orphée pleure sa mort durant la cérémonie funèbre. Les Dieux, voyant le chagrin du jeune héros, l’autorisent à descendre aux Enfers pour qu’il aille chercher sa bien-aimée. Une seule condition lui est imposée : qu’il ne croise pas le regard d’Eurydice en remontant des Enfers. Accueilli d’abord avec hostilité par les Esprits infernaux, Orphée est guidé par les Ombres heureuses qui lui rendent Eurydice. Tous deux chantent le bonheur de leurs retrouvailles, et Orphée veille à ne pas regarder son épouse. Mais celle-ci commence à douter de l’amour d’Orphée, qui lui refuse tout contact. Tenu au silence, Orphée finit pourtant par briser le serment et témoigne son amour à Eurydice : la jeune femme s’effondre aussitôt, laissant Orphée à nouveau seul. Toutefois, grâce à l’intervention de l’Amour, ils seront bientôt réunis et pour l’éternité.
Acte I : Il nous introduit au cœur de la douleur d’Orphée. Eurydice, sa femme, est morte, mordue par un serpent. Dans un bois, Orphée, entouré de nymphes et de bergers, pleure la mort de sa bien-aimée et procède à la cérémonie funèbre.
Acte II : Zeus a vu l’immense chagrin d’Orphée et lui a envoyé l’Amour. Orphée aura le droit de descendre aux Enfers. Si sa musique parvient à attendrir les Dieux, alors son épouse lui sera rendue. Seule condition : il ne devra ni regarder ni informer Eurydice de ces conditions lorsqu’il la ramènera sur terre – sinon elle mourra. Décidé, Orphée part à la recherche de sa bien-aimée.
Orphée se fraie un chemin parmi les esprits infernaux. Bien qu’il ne soit pas le bienvenu, il finit par attendrir les gardiens, qui lui ouvrent les portes du royaume des morts.
Acte III : Dans le paysage des Champs-Elysées, les Ombres heureuses souhaitent la bienvenue à l’époux fidèle et lui rendent Eurydice. Tandis que cette dernière exprime son bonheur, Orphée est contraint de garder le silence et de rester de marbre jusqu’à ce qu’il soit sorti des Enfers.
Orphée tâche de conduire Eurydice loin des Enfers. Mais la jeune femme ignore pourquoi Orphée lui refuse le moindre regard… le voilà plongé dans un dilemme insoluble. Quoi qu’il décide, Orphée perdra Eurydice une seconde fois. S’il la regarde, il viole la loi divine, et s’il ne la regarde pas en se retournant, il va décevoir son épouse qui risque de ne pas accepter de rejoindre avec lui le monde hostile des hommes Ne pouvant résister davantage aux prières d’Eurydice, Orphée succombe : il se retourne et embrasse sa bien-aimée, qui tombe morte aussitôt. De nouveau, Orphée est plongé dans le plus grand désespoir. Toutefois, les époux seront bientôt réunis pour l’éternité par l’Amour.
Les Talens Lyriques
L’Orfeo est sûrement la première œuvre du grand maître qui introduisit à l’opéra la vérité et l’expression dramatique, un peu par hasard d’ailleurs après avoir rencontré fortuitement un personnage peu ragoûtant mais au final assez fascinant, celui qui allait être le librettiste de ce chef-d’œuvre, le dénommé Raniero de’ Calzabigi, un aventurier de Livourne, littérateur, jongleur, coureur de jupons, mais éditeur des œuvres complètes de Métastase, bel esprit, poète et un fervent amateur de la tragédie lyrique française. Terminé les opera seria. Gluck s’aventure dans de nouvelles voies avec cette économie de moyens si caractéristiques, un nouvel art servi par une admirable spontanéité. C’est ainsi que dans le traitement du mythe d’Orphée et de sa descente aux Enfers, Gluck dégage son interprétation du mythe des relations symboliques et prophétiques. Foin de la figure mythologique abstraite. Pour lui, Orphée n’est pas un être surhumain, dieu, demi-dieu ou génie, qui conduirait l’humanité un peu plus loin sur le chemin de son accomplissement ; c’est simplement un homme endeuillé par la mort de sa bien-aimée, et dont la douleur résonne des accents les plus émouvants. Il est un être subjectif capable de sentiments. La force du talent de notre natif de Bohème consiste principalement à mettre en valeur les sentiments humains dans leur plus grande intensité.
Orphée ramenant Eurydice des Enfers, Jean-Baptiste Corot
D’Orphée confié à Vienne à un castrat, Gaetano Guadagni pour la version originale de 1762, Gluck passe à un ténor plutôt aigu pour la version parisienne, disons une haute-contre. Puis, c’est en 1859 qu’Hector Berlioz confie le rôle à une voix d’alto ou de mezzo-soprano, et ce sera à l’illustre Pauline Viardot-Garcia, fille du fameux ténor Garcia et sœur de la dénommée Malibran. Les ajouts chorégraphiques de 1774 sont supprimés. C’est toujours aujourd’hui, l’ouvrage le plus célèbre et le plus enregistré du compositeur dans telle ou telle version, l’action toujours concentrée sur ses deux personnages. Pour la première fois dans l’histoire de l’opéra, la musique est d’une pureté de ligne absolue, d’une grande lisibilité et d’une grande économie harmonique, des qualités pour certains, mais pas pour tous ! Un cas véritablement singulier que ce compositeur d’opéras italiens, le plus “français“ tant qu’il est en exercice à Vienne, et le plus “italien“ lorsqu’il s’établit à Paris. Quant à l’invention de génie de Gluck, reconnue alors, c’est bien « dans les morceaux pathétiques de faire exprimer par les accompagnements ce que l’âme éprouve lorsque les paroles cherchent à le dissimuler », faisant de l’instrument une voix au lieu de faire de la voix un instrument.
Michel Grialou
Orphée et Eurydice (Gluck)
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset (direction)
Choeur du Capitole
vendredi 23 février 2018
dimanche 25 février 2018
Christophe Rousset © Ignacio Barrios
Judith van Wanroij © Gerard de Haan
Les Talens lyriques © Eric Larrayadieu