C’est un habitué de la Halle qui sera de nouveau au rendez-vous de ce lundi 15 mai à 20h pour un récital avec le cycle Grands Interprètes.
Enfant prodige en son Brésil natal, le pianiste est adulé par les mélomanes du piano, au même titre que des Pollini, Sokolov, Pogorelich, Argerich, Volodos, Thibaudet, Lang-Lang et autres, pour ne parler que des monstres sacrés en exercice. L’homme étant plus que discret, c’est par son piano et lui seul, que « ce magicien à la sonorité ronde et bruissante de mille nuances » est toujours en pleine lumière.
Au sujet de la construction du programme d’un récital : « Je pars du principe qu’un concert doit être préparé comme un bon repas, ce qui m’arrange car je suis très gourmand et gourmet. (…) Concevoir un programme, c’est d’abord basé sur l’inspiration. Ce peut être la recherche d’un équilibre particulier, de contrastes affirmés ou bien pas du tout, d’une complémentarité harmonique entre les œuvres. (…) Il ne faut pas jouer tout le temps les mêmes pièces mais associer la légèreté à la profondeur, faire découvrir des partitions plus rares… » Nelson Freire.
Bach / Siloti Prélude en sol mineur pour orgue, BWV 535
Bach / Busoni »Ich ruf zu Dir, Herr Jesu Christ », BWV639
Bach / Busoni »Komm, Gott Schöpfer, heiliger Geist », BWV667
Bach / Hess »Jesus que ma joie demeure »
Schumann Fantaisie en ut majeur, opus 17
Entracte
« Pour moi, l’important est d’être sincère, j’aime moins ce que les gens expriment que la façon dont ils l’expriment. Martha (Argerich) et moi, par exemple, nous avons été hypnotisés par Horowitz, non pour sa vélocité ou la richesse orchestrale du son mais pour cette façon dont le marteau touche les cordes, et qui nous électrise. »
En entrée de programme, quatre petites pièces de Jean-Sébastien Bach mais arrangées par des auteurs divers. Tout d’abord, le Prélude en sol mineur revu par Alexandre Siloti (1863 – 1945). De 1883 à 1886, il reçut l’enseignement de Franz Liszt à Weimar. Siloti fut un personnage de premier plan dans la vie musicale du début du XXe siècle. Pianiste, compositeur, et chef d’orchestre, il eut des professeurs prestigieux comme Nicolaï Rubinstein, Sergei Taneiev et Tchaïkovski. Il a composé plus de deux cents arrangements ou transcriptions. Ce sombre et méditatif prélude fut notamment enregistrée par la grande pianiste brésilienne Guiomar Novaes, une artiste que Nelson Freire révère. Les deux pièces suivantes ont été arrangées par Ferruccio Busoni (1866 – 1924), l’un des musiciens les plus originaux du XXe siècle. Lui aussi fut à la fois compositeur, ne serait-ce que son stupéfiant concerto pour piano et chœur d’hommes, et pianiste virtuose et chef d’orchestre, influencé par Liszt, évidemment, et Brahms et Anton Rubinstein. Une de ses grandes passions fut la musique de Bach d’où les très nombreuses transcriptions qu’il écrivît. L’hommage à Bach s’achève avec la transcription d’un autre choral, Jésus que ma joie demeure, dans la transcription de la légendaire pianiste anglaise Myra Hess. Là encore, c’est un chant d’une grande simplicité suscitant une émotion de chaque instant.
Pour suivre, la Fantaisie en ut majeur de Robert Schumann, opus 17.
Robert Schumann, musicien de la tombée du jour, et des voix intérieures non réconciliées, a d’abord, avant de rencontrer la merveilleuse floraison, la belle fusion, de la poésie et de la musique des années 1840, pu s’accomplir totalement dans les œuvres pour piano. Imprégné d’émotions littéraires (Jean-Paul Richter, Novalis). Il a ainsi pu cristalliser ses dualités psychologiques (Eusebius, le rêveur, Florestan l’exalté, mais surtout Robert Schumann, l’écartelé) dans cet instrument sacré et familier : le piano.
Ce piano, lien avec Clara Wieck, passeur de ses élans et réceptacle de sa profonde mélancolie, est aussi pour lui l’échec de sa carrière de virtuose, et le défi permanent de l’ombre de Beethoven.
La fantaisie en ut majeur Op. 17, seule œuvre d’importance en 1836, est essentielle dans son œuvre. Enserrée dans la composition de ses trois sonates pour piano (1835-1838), elle est exemplaire des tensions que vivait alors Schumann:
– quête pathétique de la grande forme romantique qui le happera toujours,
– conjuration de l’absence de la bien-aimée lointaine séparée brutalement de lui, poids fondamental de la poésie de la nuit sur son œuvre.
Ces éléments, auxquels il conviendrait d’ajouter le désir de fasciner Liszt, mais surtout de continuer le dialogue avec les dernières œuvres de Beethoven, permettent de saisir l’esprit de cette œuvre de Schumann, où tous les miroirs de sa personnalité sont encore intacts.
Dans cette musique où l’émotion créée la forme, Schumann va loin dans le lyrisme intense et passionné, et une mer s’entrouvre au milieu du piano. Cette quasi-improvisation fait tout le prix de ce journal intime.
Dédiée à Liszt, mais chant d’amour pour Clara, elle se compose de trois mouvements que Schumann veut voir enchaîner « d’un bout à l’autre d’une manière passionnée », donc aucun applaudissement, cela va de soi. Long cri passionné du premier morceau. Héroïsme conquérant du second morceau. Hymne à la nuit du dernier morceau.
Après avoir songé à une sonate, puis se laissant aller à une variante libre de la forme sonate, Schumann pense d’abord à plusieurs épitaphes. « Rimes, Trophées et Palmes », puis « Ruines, Arc de Triomphe, Diadèmes d’étoiles », et enfin pour traduire le sens la partition il inscrit le quatrain suivant en couverture :
En tout ce qui bruit résonne
Dans le rêve irisé de la terre
Une note secrète
Pour celui qui tend l’oreille. (Schlegel)
Hector Villa-Lobos
Pour distraire ce début de deuxième partie, un petit clin d’œil du pianiste à son pays d’origine, le Brésil avec le compositeur Hector Villa-Lobos (1887-1959) et ses centaines de compositions, dans tous les genres, depuis la simple bluette pianistique, jusqu’au colossal édifice pour double ou triple orchestre avec solistes et chœurs. Chez lui, le domaine du piano pullule dans tous les sens. Après un sympathique morceau intitulé Preludio tiré de Bachianas brasilerias n°4, nous avons, plus consistantes, trois pièces parmi les huit constituant ce petit recueil intitulé A Prole do Bebê, n°1, un recueil qui a plus fait pour la célébrité du compositeur qu’aucune autre de ses œuvres pianistiques. Branquinha, la “petite blanche“ qui ouvre le défilé, c’est la poupée de porcelaine, suivie de Moreninha, la “petite brune“, la poupée en papier mâché, et on continue avec l’ultime du recueil, A Pobrezinha, la poupée de chiffon, une “petite pauvresse“. En dépit de leur sujet, la “famille du bébé“, c’est-à-dire la collection de poupées, ces morceaux n’en sont pas moins de redoutables exercices pour pianistes avertis.
Frédéric Chopin
Le programme se termine avec l’un des monuments du piano romantique, la Sonate en si mineur, op.58 de Frédéric Chopin, véritable chef-d’œuvre d’architecte pour une construction de sonate, la plus tardive, la plus spectaculaire des trois. Après une deuxième essentiellement dramatique, et au caractère assez fantastique, celle-ci est avant tout lyrique, d’un lyrisme splendidement épanoui, à la fois rêveur, mélancolique et brillant. C’est une œuvre qui chante beaucoup. Composée pendant l’été 1844 à Nohant, chez George Sand, elle reprend les quatre mouvements typiques de la sonate classique et trouve tout son attrait dans les codes la définissant. Mais, sous son apparence plus maîtrisée, elle est profondément chaotique : il y a une énergie qui s’élève et retombe sans cesse, comme si Chopin se souvenait de luttes passées et s’en servait pour accomplir un saut vers une autre logique, comme s’il commençait par tout désintégrer avant de reconstruire. C’est ainsi que l’Allegro maestoso peut se traiter comme un orage de passion qui balaie tout sur son passage, pendant que le Scherzo avance en trombe, et le Finale peut se parcourir à pas précipités et vigoureux, avec une énergie indomptée. Au milieu, une pause poétique avec un Largo parcouru de sons d’un éclat argenté que seuls les plus grands savent faire miraculeusement jaillir, des sons d’une très grande beauté.
Quelques mots sur Nelson Freire
Né au Brésil en 1944, Nelson Freire commence le piano à trois ans et donne son premier récital à cinq ans avec la Sonate en la majeur K.331 de Mozart. C’est bien un enfant prodige du piano même s’il s’en défend. Ses professeurs sont Nise Obino et Lucia Branco qui a travaillé avec un élève de Liszt. Agé de douze ans, il est lauréat du Concours International de Rio de Janeiro (jury : Marguerite Long, Guiomar Novaes, Lili Kraus) avec le Concerto n°5 de Beethoven. Il continue ses études à Vienne avec Bruno Seidlhofer, professeur de Friedrich Gulda. C’est ce dernier qui, très réputé en Amérique du Sud dans les années cinquante, va entraîner de nombreux jeunes pianistes sud-américains à venir sur Vienne. En 1964, Nelson Freire reçoit à Lisbonne le Premier Grand Prix du Concours International “Vianna da Motta” et à Londres les Médailles d’Or “Dinu Lipatti” et “Harriet Cohen”.
« Le secret de son jeu respirant le naturel, l’imagination, le grand large, se rappelle subitement dans ce regard d’éternel enfant porté sur le monde. » Eric Dahan.
Sa carrière internationale commence en 1959 : Europe, Etats-Unis, Amérique Centrale et du Sud, Japon et Israël. Nelson Freire s’est produit avec les plus grands chefs. Il est l’invité des formations les plus prestigieuses.
Nelson Freire a réalisé de nombreux enregistrements notamment grâce à Decca à une époque déterminée. Chopin, Debussy, Brahms, Beethoven,……nombreuses sont les récompenses.
Dernières parutions : un prestigieux coffret de sept disques The Complete Columbia Album Collection chez Sony. Chez Decca la compilation Radio Days avec des enregistrements radio de 1968 à 1979, Beethoven Concerto n°5 avec le Gewandhausorchester et Riccardo Chailly, ainsi que Chopin Concerto n°2 avec l’Orchestre Gürzenich de Cologne et Lionel Bringuier.
Un portrait Nelson Freire est disponible chez Video Film (Brésil).
Nelson Freire est nommé “Soliste de l’année 2002” par les Victoires de la Musique et en janvier 2005 “Victoire d’Honneur pour l’ensemble de sa carrière”.
Son CD Brasileiro a reçu le Grammy Awards 2013, comme meilleur enregistrement classique de l’Amérique du Sud.
Dernières venues :
Mardi 28 avril 2015 en récital
11 octobre 2013 – Programme : Assad, Chopin, Mahler, avec l’Orchestre Symphonique de São Paulo – direction : Marin Alsop.
Michel Grialou
Les Grands Interprètes
Nelson Freire (piano)
Halle aux Grains
lundi 15 mai 2017 à 20h00
Mécénat / Partenariats
Nathalie Coffignal
ncoffignal@grandsinterpretes.com
Tel : 05 61 21 09 61