Nous sommes plus de mille huit cent personnes à la Halle pour ce concert de Vendredi Saint. On n’oublie pas cette jauge impressionnante du lieu qui la classe parmi les plus élevées de France en tant que salles de concert dit classique. Ce qui est une belle performance.
Pour le programme en question, l’Orchestre National du Capitole fut de bout en bout passionnant que ce soit avec une œuvre symphonique de 1895 rarement donnée, la Suite de Lemminkäinen de Jean Sibelius ou, en suivant, du même compositeur, son seul et unique concerto pour violon en ré mineur.
Ce dernier fut donné il y a peu par la jeune Baiba Skide et ce soir, c’est Benjamin Beilman qui tient l’archet et, véritablement, subjugue l’auditoire et fait oublier la prestation de sa consœur. Là, on se tait, bien sûr, et on écoute et on regarde, et on reste un brin interloqué. Ce jeune violoniste stupéfie l’auditoire autant par sa musicalité, que par une virtuosité époustouflante ou encore par l’entente avec le chef Rafaël Payare. Musique prise à bras le corps sans effet intempestif, tirant des sons puissants, le petit prodige “à la confiance tranquille“ fascine par une précision sans faille et semble réécrire sa partition. Splendide cette exécution d’un de mes concertos préférés. Rien à rajouter si ce n’est que l’écrin orchestral a parfaitement été dessiné par un chef attentif et lui aussi inspiré. C’est captivant d’un bout à l’autre.
En deuxième partie, l’orchestre aborde une œuvre que l’on qualifie de grandiose. On sait par avance que seuls les grands orchestres peuvent relever le défi. Le jeune chef vénézuélien de 36 ans l’aborde sur l’estrade pour la première fois. Eh bien, pour une première, c’est une première ! « Optimisme symphonique dans sa forme fin de siècle, dédié au XXè siècle. » a dit je ne sais plus qui. Ainsi parlait Zarathoustra, écrit en 1896, somptueusement instrumenté, ce poème symphonique propose l’évangile de la vie terrestre et joue sur l’opposition de deux tonalités dissonantes. La connaissance de la partition ne peut suffire si l’on veut la conduire jusqu’à ses ultimes et discrets accords après un dernier fortissimo semblant emporter le monde.
Et là, on est heureux d’entendre tous ces instruments, tous. Il faut d’abord les musiciens, ET le chef qui permet cette écoute différenciée – l’“effrayante“ polyphonie straussienne – sinon comment repérer le contrebasson, la clarinette basse, le cor anglais, la flûte piccolo, et tous les autres bois, et les cors par deux, par trois, par quatre, par six, et les nombreuses cordes en sureffectif, les basses rugissantes à souhait, les deux harpes, l’orgue, etc……un festival sonore mais pas uniquement du son pour du son. Rares sont les enregistrements qui vous permettent de retrouver tout cela, il n’y a que le concert en DIRECT. Une orchestration diabolique que Rafaël Payare s’acharne à mettre en évidence avec force énergie et complicité de tous les pupitres. Ni emphase, ni lourdeur, ni trop spectaculaire, ni tonitruant, il dirige l’œuvre, sans faillir et semble, à mon goût, avoir compris les intentions de Richard Strauss. Jusque dans la fugue illustrant l’épisode De la science qui constitue la partie la plus étrange de la partition : le thème exécuté par les fameuses basses se développe dans un univers quasi dodécaphonique. Tout cela, sans recherche éperdue de sous-entendus philosophiques.
En ces temps très troublés, peut-être aurez-vous envie de vous plonger dans le bouquin qui avait transporté d’enthousiasme la jeune génération en 1883, Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, cet hymne à la solitude, qui appelait l’homme à se libérer de ses chaînes ? Plus dans l’air du temps, un petit retour au film de Stanley Kubrick, 2001, Odyssée de l’espace ?
On en profite pour rappeler le niveau d’excellence, encore ! du précédent concert avec Adam Laloum interprétant avec bonheur le n°9 des concertos pour piano de Mozart, dénommé “Jeunehomme“, sous la direction de Josef Swensen qui, inspiré comme à son habitude par cette musique, nous livre une magnifique Symphonie n°6 de Bruckner. Un véritable bain sonore réjouissant.
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole