Opéra composé par Martin Matalon et mis en scène par Jorge Lavelli, d’après Copi, « l’Ombre de Venceslao » est à l’affiche du Théâtre du Capitole.
Créé l’automne dernier avec succès à l’opéra de Rennes, un ouvrage composé par Martin Matalon est aujourd’hui à l’affiche du Théâtre du Capitole, dans une mise en scène de Jorge Lavelli. Ce dernier signe le livret en français, d’après la pièce de Copi « l’Ombre de Venceslao ». Associant neuf maisons d’opéra, à l’initiative du Centre français de Promotion lyrique et destiné à être chanté par de jeunes interprètes, ce projet réunit donc trois artistes argentins qui se sont installés à Paris et pourrait bien être le point culminant d’une saison lyrique toulousaine pour l’instant trop convenue – si l’on excepte la débandade pathétique d’un ténor désertant le scène pour comparaître devant un tribunal après une nuit trop agitée, contraignant le Théâtre du Capitole à annuler la dernière représentation d' »Ernani », le 21 mars dernier…
Resté inédit pendant vingt-deux ans, le texte a été écrit en espagnol, en 1977, au lendemain du coup d’État du général Videla en Argentine. Il fut ensuite monté en France par Lavelli, en 1999, qui déclarait à l’époque: «Copi plonge sans retenue dans la mythologie argentine. Ce n’est pas une piécette de plus mais une grande œuvre de Copi qui avait la théâtralité dans la peau. La pièce aborde un thème dont se nourrit toute la littérature argentine : l’aventure d’un individu isolé qui se confronte à l’obstacle de la nature et s’interroge sur les véritables raisons d’être de l’homme. Mais Copi reste Copi, avec sa cruauté, sa dérision, son regard ravageur. Il raconte l’histoire d’une famille disséminée dans les immensités de l’Argentine des années cinquante. Venceslao abandonne ses biens, part avec sa maîtresse vers le Nord, vers les frontières mythiques de l’Argentine, tandis que les plus jeunes, plus ambitieux, partent pour Buenos Aires. Tous finiront par rencontrer la mort. Dans une scène finale, onirique, le personnage principal revient, tel une ombre, pour se réconcilier avec ceux qui lui ont été fidèles. La destruction de la famille de Venceslao répond assez bien à notre époque de faillite idéologique et d’absence d’idées, où le grand idéal se résume à une monnaie unique… Cette pièce pose mille questions, interroge à nouveau les valeurs de base, comme la famille ou la société.»
À propos de son livret, Jorge Lavelli précise : «L’opéra sera le récit d’un voyage, un parcours “géographique” très précis qui commence dans la petite ville de Diamante, pas très loin du Paraná, le fleuve qui contourne la “Mésopotamie” argentine pour se jeter, finalement, dans le Rio de la Plata. La scénographie souhaite préserver un champ de liberté, ouvert à tous les possibles, à toutes les envies surgies du jeu et des efforts des personnages dans leur quête d’un bonheur qui comblerait leur besoin d’exister. Oui, avant d’être lyriques, nous cherchons la vérité profonde des comportements des personnages pour qu’ils existent et s’épanouissent librement avec la musique. L’histoire réunit le tragique et son contraire : l’humour est toujours présent. De cette alliance, de ces conflits, de cette dualité, naît la beauté des contraires complémentaires. C’est avec un sourire douloureux que nous nous employons à parcourir l’esprit de cette aventure émouvante et ludique, riche de toutes les couleurs d’une Amérique latine ravivées par l’imaginaire, la sensibilité poétique et la fantaisie de Copi.»
Compositeur amoureux de théâtre musical et de cinéma – il a signé des partitions pour les films muets de Luis Buñuel et de Fritz Lang -, Martin Matalon a écrit une musique destinée à un orchestre de taille “Mozart”. Il y a ajouté un quatuor de bandonéons solistes et «un dispositif électronique qui aura le rôle de complémenter l’orchestre, être sa caisse de résonance, son extension, mais aussi intégrer des sons concrets en relation avec les exigences du livret (bruits de ville, de nature, explosions, fusillades…) – toujours intégrés au tissu instrumental ou vocal». Selon le compositeur, «la trame de cette pièce, en quelque sorte, les avatars d’une famille du campo profond argentin perdue dans l’adversité de la nature, s’articule aussi par l’idée de voyage, de trajectoire… Chacun des personnages ira chercher son destin quelque part ailleurs : pour les uns, la grande métropole volera leur dernier soupir, pour les autres les imposantes chutes d’Iguazú seront le destin ultime de leur périple», explique Martin Matalon.
Celui-ci avoue : «Justement c’est cette idée de trajectoire, de voyage, que j’épouse comme dessin formel de cet opéra. Les deux actes et trente-deux scènes qu’articule cette pièce de théâtre seront tout autant trente-deux mouvements ou sections de cet opéra, auxquels il faut rajouter une ouverture et un intermède purement musicaux, soit un total de trente-quatre sections qui sont donc des véritables miniatures musicales, chacune avec ses propres caractère, couleur, instrumentation, rythme, dynamique, durée… Ces scènes/mouvements, sont de longue, moyenne et courte durée donnant à l’œuvre un rythme formel varié et dynamique. Le principe de complémentarité est le lien compositionnel qui reliera chacune des miniatures. L’idée est de développer une direction et une trame formelle, dont chaque mouvement débouche sur le suivant : un détail anodin d’une section devient l’élément de base de la nouvelle section. Ainsi cette trajectoire à travers ces miniatures (qui ne reviennent jamais en arrière), sont non seulement la métaphore musicale du relief dramatique et géographique et des couleurs fauves présentes dans cette œuvre, mais aussi un voyage dans le son qui commence avec un orage instrumental (métaphore de la tempête qui ouvre le livret) et qui finira avec le dernier souffle (paroles) de (l’ombre de) Venceslao…», prévient le compositeur.
Martin Matalon assure : «Dans les trente-quatre miniatures qui composent cette œuvre, j’essaye d’utiliser de nombreuses combinaisons et modes de jeu vocaux : de la ligne purement chantée au parlato libre, rythmé, en passant par le sprechgesang, et lorsque la dramaturgie le justifie, j’utilise divers modes de jeu vocaux. Je suis particulièrement attentif aux possibilités que m’offre le livret pour créer des ensembles vocaux à géométrie variable : de l’aria au quintette vocal en passant par le duo, le trio et le quatuor… Il y aura deux scènes purement musicales (l’ouverture et l’intermède) et une scène de «théâtre sec” sans chant ni musique instrumentale…», termine le compositeur.
Jérôme Gac
une chronique du mensuel Intramuros
Du 2 au 9 avril, au Théâtre du Capitole,
place du Capitole, Toulouse. Tél. : 05 61 63 13 13.
Rencontre, avant la représentation, 19h00.
Rencontre avec l’équipe artistique,
jeudi 30 mars, 18h00, au Théâtre du Capitole
(entrée libre).
photos:
« L’Ombre de Venceslao » © Laurent Guizard