Au théâtre du Pavé, le comédien et metteur en scène endosse tous les personnages de « Bérénice ».
Antiochus, roi de Commagène, aime en secret Bérénice, reine de Judée, qui aime Titus d’un amour réciproque. Mais Titus, nouveau César de Rome, suite à la mort de son père l’empereur Vespasien, prend conscience de ses devoirs et doit sacrifier sa passion sur l’autel de la raison d’état car la loi romaine proscrit l’union d’un empereur et d’une reine étrangère.
« Bérénice », tragédie de Racine en cinq actes, ne compte pas moins de 1506 alexandrins pour dire les amours contrariées d’un trio de puissants. Francis Azéma qui, il y a quelques années, avait monté et joué cette pièce dans une proposition épurée (cycle « Noir Lumière ») aux côtés de Sylvie Maury, Corinne Mariotto et Christophe Montenez – alors tout jeune dans le rôle de Titus – reprend aujourd’hui « Bérénice » dans une version encore plus dépouillée puisqu’il y prend en charge tous les rôles ! Sacrée gageure que voilà. Dans un écrin somptueux tout en verticalité froide et métallique accueillant les tourments de cœurs brûlants d’amour, il incarne les six personnages qu’une simple étole rouge drapée de six manières différentes permet d’identifier, maitrisant en quelques esquisses, leurs postures, leurs déplacements, leurs axes, leurs regards et timbres vocaux. Seuls partenaires : un jeu de lumières diffusé par un mur de projecteurs témoigne de l’intériorité des protagonistes tandis qu’un habillage sonore aux ultra-basses oppressantes suggère l’atmosphère de chaque scène. Doté de la sobriété et de l’humilité qui caractérisent son jeu, Francis Azéma fait entendre cette triste partition poétique avec une rare limpidité et précision, captivant un auditoire suspendu aux délicats alexandrins, donnés avec naturel, sans aucun achoppement. Si la démarche d’incarner seul en scène tous les rôles d’une pièce a pu faire ses preuves dans la comédie, l’enjeu pouvait s’avérer davantage risqué, appliqué à la tragédie. En dépit d’une toute confiance dans le talent du comédien, on pouvait craindre que cette partition pour un acteur tourne au ridicule, quant à l’interprétation du rôle féminin, Bérénice, appréhension redoublée après l’entracte, au moment de l’acmé et des larmes de circonstances.
L’exercice, en effet, se révèle périlleux : même si Francis Azéma ne bascule jamais dans l’abîme du grotesque et du pathos, ses inflexions vocales féminisées et ses jeux avec l’étole amènent parfois un sourire aux lèvres inadéquat. Les fervents amateurs de la pièce y trouveront leur bonheur : celui de savourer la beauté élégiaque d’un texte maitrisé et respecté par un serviteur amoureux de la langue racinienne. Et à ce titre, on ne peut que saluer la prestation de l’acteur qui ne se laisse jamais tenter par quelque démonstration de virtuosité. Cependant à force d’épure et de fidélité respectueuse, la pièce se fige par manque de vie et d’émotions. On écoutera davantage cette partition comme un (long) poème qu’on ne la vivra comme spectacle de théâtre. « Bérénice » est une tragédie sage, il est vrai, dépourvue d’action et de violence physique mais on aurait aimé éprouver cet « éternel passage de la crainte à l’espoir, et de l’espoir à la rage » porté au plateau avec tant de sincérité.
Une chronique de Sarah Authesserre pour Radio Radio
– Du 28 février au 11 mars, au Théâtre du Pavé (34, rue Maran, 05 62 26 43 66, www.theatredupave.org