En Italie, un proverbe dit Flor d’inverno annunzio primavera, Fleur d’hiver annonce le printemps.
Dieu sait que nous avons bien besoin de fleurs et de printemps en ces temps de basse politique où toutes les valeurs auxquelles nous croyons sont mises à mal…, à l’heure où certains relents d’idées sales reviennent pour ériger à nouveau des murs entre humains de différents horizons et de différentes cultures…
Et où la Culture est tristement absente des débats qui agitent le microcosme politique.
Quelques belles manifestations culturelles viennent heureusement à point pour rafraichir nos émotions.
Ce 2 mars, à Toulouse, deux magnifiques concerts nous ont enchantés, comme un avant-printemps ; et je pense à celui de René-Guy Cadou :
Des œufs dans la haie
Fleurit l’aubépin
Voici le retour
Des marchands forains.
Et qu’un gai soleil
Pailleté d’or fin
Eveille les bois
Du pays voisin
Est-ce le printemps
Qui cherche son nid
Sur la haute branche
Où niche la pie ?
C’est mon cœur marqué
Par d’anciennes pluies
Et ce lent cortège
D’aubes qui le suit.
Le midi, salle du Sénéchal, La Pause Musicale / Toulouse Métropole (1) du bon Joël Saurin invitait le Trio Miegterrana pour un récital Fin’amor : des chants d’amour méditerranéens, avec Muriel Batbie Castell : chant, Lakhdar Hanou : luth oriental (oud), accompagnés Paco Labat : derbouka et daff.
A la fin du 11ème siècle, apparaît dans le sud de l’Europe une merveilleuse poésie lyrique, celle des Troubadours. La chanteuse Muriel Batbie Castell et le joueur de oud Lakhdar Hanou nous font découvrir quelques uns de ces poètes occitans mais nous emmènent aussi en voyage autour de la Méditerranée (Catalogne, Castille, Portugal, Maghreb, Grèce, Italie) à la rencontre d’autres poètes et musiciens, avec des mélodies envoûtantes, riches et libres d’improvisation. Le percussionniste leur apporte tout en finesse un tapis de rythmes.
La soprano Muriel Batbie-Castell (2) dont la voix nous indique le nom occitan des stations du Métro toulousain, mais aussi berce a cappella le long-métrage de Jean Perissé : « La fabuleuse histoire de Monsieur Riquet », est une spécialiste dans l’interprétation d’œuvres musicales et vocales des 17ème et 18ème siècles, dans l’ensemble baroque Hypocras, où le regretté Jean-Christophe Maillard jouait de la flûte traversière.
Avec l’Ensemble choral et orchestral de l’Ariège, sous la direction : Dominique-Jean Grétillat, elle interprétera prochainement les Te Deum de Haendel, Mozart et Delalande.
Muriel Batbie-Castell, la Rosa Bella de Foix a reçu une Rose d’Argent (1er Prix), bien méritée, de la Chanson poétique de création, décernée par l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse. Tant elle excelle dans ce genre.
C’est au Maghreb que Lakhdar Hanou (3) s’est initié à l’art du maqâm, fondement de la musique orientale. Il est aujourd’hui un des joueurs de oud (luth arabe) parmi les plus reconnus. Autodidacte, il s’est néanmoins formé auprès de grands maîtres tel Samir Joubran à Arles. Profondément ancré dans les deux rives de la méditerranée, le oudiste toulousain Lakhdar Hanou à crée les spectacles « Kafila », « les doigts teintés », « voyages et mélodies sous le signe du maqâm » et a participé à d’innombrable projet autour du Maghreb et de l’Orient. Toutes ces initiatives ont été expérimentées au oud (luth arabe) à travers l’échange artistique, ses compositions originales et le collectage de pièces mythiques et/ou mystiques du Maroc à la Turquie… Il est longtemps intervenu au chevet des Personnes hospitalisées en Gynécologie-Obstétrique à l’Hôpital Paul de Viguier, dans le cadre du Programme Culture à l’Hôpital.
Au programme, des cançons chansons traditionnellles occitanes bien sûr, Pus astres no m’es donatz de Guiraut Riquier enchaînée avec l’estampida de Raimbaut de Vaqueiras Calenda Maia, Bruneta (18ème siècle), Can vei la lauzeta mover de Bernart de Ventadorn, enchaînée avec la cantiga galaïco-portugaise Santa Maria strela do dia, un chant portugais a capella Cançao do mar (Frederico de Brito/Ferrer Trindade), deux chants arabo-andalous : Ya ra sha et Tres morillas (las tres morillas de Jaén), deux chants séfarade La rosa enflorece et Yo m’enamori d’un ayre, un traditionnel grec Amygdalaki tsakisa, un chant italien de Toscane Un cavalièr di Spagna.
Sans oublier les Instrumentaux composés par Lakhdar Hanou, alternant avec des solos vocaux, des duos (comme celui voix percussions où celles-ci évoquent un cheval lancé au galop) et des trios bien sûr.
Un voyage musical et poétique autour de la Méditerranée, plein d’éclectisme et de finesse, comme des épures.
Dans la première canso, reprise en rappel à la demande du public, sont énumérées dans la seconde strophe les qualités de la civilisation de Paratge chères aux troubadours : mérite, valeur, joie, reconnaissance, courtoisie, intelligence, savoir, honneur, beau langage, tenue, générosité, amour, connaissance et gentillesse.
Ces valeurs universelles, aujourd’hui tant galvaudées et même bafouées !
Qu’il est bon de les entendre rappeler !
Le soir à la Salle Nougaro (4), décidemment en pleine forme dans sa programmation, nous a offert avec le Trio Chemirani une anthologie de l’art des percussions iraniennes porté par un trio familial plein de complicité : Djamchid Chemirani : zarb, voix | Keyvan Chemirani : zarb, daf, santour | Bijan Chemirani : zarb, daf, saz.
Depuis près de 35 ans et un célèbre enregistrement soliste pour Harmonia mundi, Djamchid Chemirani (né à Téhéran en 1942), passé maître dans l’art des percussions classiques, en particulier du Zarb à la caisse en bois de mûrier ou de noyer tourné., a joué avec les plus grands, accompagné les Ballets de Maurice Béjart et le Mahabharata de Peter Brook. Exilé d’Iran dans les années 60, il a poursuivi son cheminement artistique en France et dans le monde avec régulièrement à ses côtés ses deux fils : Keyvan et Bijan. Chacun a parcouru divers univers sonores et nourri son métier de musicien. Mais ils n’ont eu de cesse de revenir au grand œuvre commun : élaborer une langue rythmique universelle. Dawâr, leur dernier album, c’est le bout du chemin : jamais encore, les Chemirani n’avaient atteint une telle limpidité du son issu de la fusion de leurs trois frappes ; c’est par la conscience jubilatoire de l’œuvre engendrée ensemble, qu’ils rejoignent l’expérience spirituelle si présente dans la culture iranienne. Tout en puisant dans la poésie persane, les Chemirani composent et développent des formes modernes où l’accent est mis sur les polyrythmies et sur la multiplicité des sons. La parfaite concision du langage, la vertigineuse circulation du dialogue, la variation infinie du toucher conjuguées avec une complicité hors du commun, font de cette formation une réussite scénique et discographique complète.
Djamchid Chemirani récite sur certains morceaux des poèmes des plus grands poètes persans, dont Rumi, Hafiz ou Omar Kayyam, et il donne bien à entendre les rythmes soutenus contenus déjà dans les vers. Au bout d’un moment, sans que l’on soit gagné par la monotonie, on est emporté, comme envouté, et l’on ne s’étonne plus de l’absence d’instruments à cordes ou à vent. Même si les rares interventions de Bijan Chemirani au saz sont bienvenues.
Pour le rappel, ils invitent leur ami, le Guillaume Lopez (5), ce musicien qui depuis les belles soirées de la Mounède, la Maison des Racines du Monde, nous enchante à chacun de ses concerts. Pour « La neit », une composition à 13 temps de Bijan (avec qui il joue régulièrement en duo depuis 2013) sur lequel il a écrit des paroles en oc, et pour une improvisation sur un rythme à 7 temps, à la flute traversière, à la boudègue (la cornemuse occitane) et à la voix, il se fond dans leur musique en toute fraternité.
Une fois de plus, j’ai ressenti à travers la musique la force toujours vivante de la civilisation enracinée autour de la Méditerranée en général, et dans notre terre occitane en particulier, l’un des plus beaux fleurons d’un véritable humanisme.
Comme l’a écrit un poète persan :
O la brave musique d’un tambour au loin
C’est le chant des passagers de l’univers
Cette musique que le peuple fait accompagner
Et de sa voix et du tambour
O dieu, donne aux musiciens des doigts de sucre
Et pour le zarb une main de fer…
E.Fabre-Maigné
5-III-2017
PS. Signalons une soirée à ne pas rater le 8 mars à Bouloc, une première: on célèbrera la journée des droits des femmes à travers plusieurs temps forts dont un rendez-vous à la salle des fêtes dès 18h30, avec BRICODAM, duo qui retape la chanson française (leur clip ici) et l’association AMALGAM (danse et vidéo). Tout cela pimenté d’interventions « point-virgule » de MISS VERO (une des trois Boudu Les Cop’s)
Expo, vidéo, apéro… Et c’est gratuit!
Pour en savoir plus :
(1) https://lecatalogue.jimdo.com/la-pause-musicale/
(2) www.muriel-batbie-castell.com/
Fin’amor avec Lakhdar Hanou:
le 5 juin à 18h St Pierre de Rivière, Ariège (auberge de la Barguillère)
le 24 juin à Bouisse, Aude (château) Journée René Nelli consacrée à la Méditerranée Renseignements : Association d’Etudes du Catharisme / René Nelli
(Tél. : 09 52 83 18 73)
Te deum de Haendel : le 6 juillet à Foix, Ariège (abbatiale St Volusien, 21h), le 7 juillet à 21 en la cathédrale de Mirepoix, le 9 juillet à 17h en la cathédrale de St Lizier.
(3) https://fr-fr.facebook.com/Lakhdarhanouexperience/
(5) Guillaume Lopez, musicien aux nombreux talents, nourri par ses origines occitanes et espagnoles, mais ouvert à toutes les rencontres humaines et musicales, a fondé en 2008 le C.A.M.O.M dont il est le conseiller artistique, dans une envie de fédérer une « compagnie d’artistes autour des cultures des Pays d’oc et de la Méditerranée ».
Avide de rencontres et d’échanges, Guillaume est un musicien en quête permanente de nouveautés et de prises de risque, d’un savant mélange entre traditions locales et universalisme musical et poétique.
Le 10 mars, il sera au Chapeau rouge (Saint Cyprien) de Toulouse avec Kiko Ruiz et le 12 mars à Colomiers avec Cyril Brotto pour le Festival Fous d’archets…
www.lecamom.com/guillaume-lopez/
Le vent dans la peau avec Bijan Chemirani :
www.lecamom.com/guillaume-lopez-bijan-chemirani/