Ce sera à la Halle, le vendredi 24 février à 20h. L’Orchestre National du Capitole est dirigé par Tugan Sokhiev, son chef attitré, et le Chœur est celui du Capitole. Ceux qui ne pourraient y assister pourront toujours aller jusqu’à Vienne, au Musikverein, pour le mercredi 1er mars à 19h30. L’opéra est en cinq actes.
Bien sûr, on pense à cette scène admirable, l’une des plus émouvantes que nous pouvons connaître, et qui fait de cet opéra du compositeur français, l’une des plus grandes pages de l’histoire de l’opéra. Il s’agit naturellement de la mort de Don Quichotte, à la dernière scène de l’œuvre. Pour incarner le personnage, Ferruccio Furlanetto, basse italienne, unique héritier des basses chantantes de l’âge d’or, interprète de la veine d’un Chaliapine, d’un Vanni-Marcoux, le créateur du rôle, d’un André Pernet, des artistes qui ont marqué le rôle, et qui ont rendu les adieux de Don Quichotte à Sancho Pança, inoubliables. De Jean-Pierre Ponnelle, metteur en scène, et à propos d’un Philippe II, Ferruccio Furlanetto vous dira : « Il m’a appris à vivre un personnage à travers la musique et les mots, comme si j’étais ce personnage. Sans doute faut-il avoir ce don, mais il savait le révéler. » Ses dires lui ont été d’une grande utilité pour des rôles comme, Boris, Don Quichotte,…
Qui ne connaît le chevalier de la Triste Figure, ce héros que Cervantès créa avec tant de génie et fixa pour la postérité comme un type unique et légendaire? Qui ne s’est délecté au récit de ses exploits ridicules, bouffons et malheureux, ainsi qu’aux sages propos de Sancho Pança, son fidèle écuyer ? C’est ce roman célèbre, où les personnages sont campés avec une vérité saisissante et pittoresque, qui inspira, il y a quelques années, une pièce à l’infortuné poète-cordonnier Jacques Le Lorrain, mort presque de faim dans son échoppe, pendant que son ouvrage triomphait sur la scène du théâtre Victor-Hugo et que son nom allait enfin connaître la gloire. Le Lorrain ne se doutait guère que son adaptation servirait dans la suite à un librettiste et provoquerait une partition.
Henri Cain a ingénieusement combiné l’action de son livret ; il a clairement exposé le sujet sans trop vouloir ambitionner de toucher au fond de l’œuvre par l’évocation de la grandeur épique, mais seulement de la traiter théâtralement en des scènes brèves et rapides, dans lesquelles chaque détail est exactement et simplement mis à la place qui lui convient.
Comédie héroïque en cinq actes, livret d’ Henri CAIN, d’après le Chevalier de la Longue-Figure, drame héroïque en quatre actes et en vers (Théâtre Victor Hugo [le Trianon], 03 avril 1904), de Jacques LELORAIN dit LE LORRAIN (24.Bergerac, 20 mai 1856 – 94.Arcueil, 05 mai 1904), inspiré du roman de Miguel de Cervantès. Musique de Jules MASSENET (1909). Création à l’Opéra de Monte-Carlo le 19 février 1910 avec Feodor Chaliapine dans le rôle-titre; mise en scène de Raoul Gunsbourg. Première en France, à Marseille, le 17 décembre 1910.
Composition de l’orchestre à la création
3 flûtes (dont 1 joue le piccolo), 3 hautbois (dont 1 joue le cor anglais), 3 clarinettes (dont 1 joue la clarinette basse), 3 bassons
4 cors chromatiques, 3 trompettes, 3 trombones, 1 tuba
1 paire de timbales, grosse caisse, cymbales, triangle, tam-tam, tambour militaire, castagnettes, tambour de basque, « tic-tac » (wood-blocks)
célesta, 2 harpes, violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasse à 4 cordes
Sur le théâtre : 2 flûtes, hautbois puis cor anglais (1 exécutant), violon, alto, contrebasse ; triangle puis tambour de basque (1 exécutant) ; piano ; harpe ; célesta (même exécutant que dans la fosse) ; orgue (jeux de fonds) ; 20 paires de castagnettes pour les choristes.
Analyse et résumé.
L’action se passe en Espagne, au Moyen Age.
Acte I. Une place devant la maison de Dulcinée. Des gens du peuple louent sa beauté. Don Quichotte et Sancho arrivent à cheval, ils donnent de l’argent aux mendiants qui se pressent autour d’eux. Clair de lune. Don Quichotte chante une sérénade à Dulcinée : « Quand apparaissent les étoiles », ce qui provoque la jalousie de Juan, amant de cette beauté professionnelle. Elle apparaît, évitant ainsi un duel. Elle est amusée par les déclarations de Don Quichotte et accepte de devenir sa bien-aimée à condition qu’il retrouve un collier qui lui a été volé par des brigands.
Acte II. Sur la route qui mène au camp des brigands, Don Quichotte compose un poème en l’honneur de Dulcinée. Sancho est exaspéré. Ici intervient le combat contre le moulin à vent.
Acte III. Le camp des brigands. Don Quichotte les attaque, tandis que Sancho recule. Le Chevalier est pris. Il s’attend à être mis à mort. Mais son courage, sa digne courtoisie et son amour pour Dulcinée impressionnent les bandits. Ils le libèrent et lui rendent le collier.
Acte IV. Une fête chez Dulcinée. A la stupeur de tous, Sancho et Don Quichotte font leur entrée. Dulcinée, enchantée d’avoir retrouvé son collier, embrasse le Chevalier. Il lui propose immédiatement de l’épouser : « Marchez dans mon chemin ». Touchée par sa dévotion, Dulcinée lui enlève toutes ses illusions en lui révélant quelle sorte de femme elle est.
Acte V. Une forêt. Don Quichotte se meurt. Il dit à Sancho qu’il lui a légué l’île qu’il lui avait promise au cours de leurs pérégrinations, la plus belle île du monde — « L’île des Rêves ». Dans son délire, il entend et voit Dulcinée. La lance qui était dans sa main tombe.
Pour son auteur, Don Quichotte était plus qu’un testament. C’était une vision du monde, bien loin de ce que pouvaient nous suggérer des ouvrages comme Manon ou Werther, à la fois l’aboutissement de son parcours lyrique et une œuvre à part, dépourvue de ce sentimentalisme diffus rencontré ailleurs. La force visionnaire du personnage central est un peu édulcorée par la pièce de le Lorrain qui sert de base au livret, mais elle y ouvre une perspective inattendue et relativement nouvelle dans les écrits du compositeur. Cependant, on est certains que ce Chevalier à la Triste Figure, ce poète, ce fou, ce rêveur impénitent qui croyait à l’amour, à la jeunesse, à la justice, à l’honneur et, avec ce sentiment tragique de la vie, portait son idéal comme une incurable blessure, c’est peu ou pas tellement à la mode. D’où, un public qui s’écarte de tels ouvrages.
Dans ses souvenirs, il notait avec émotion : « Les acclamations frénétiques du public devaient être pour eux – les principaux interprètes sortaient tous d’une mauvaise grippe – une douce et exquise récompense, quand elles éclatèrent, le 28 décembre 1910, après une répétition générale qui dura de une heure à cinq heures du soir… » et la représentation en suivant !
Autant se faire plaisir et “bûcher“ les dernières paroles de ce superbe duo.
DON QUICHOTTE (fièrement et simplement, en un suprême et sublime effort se redressant).
Oui ! je fus le chef des bons semeurs !
J’ai lutté pour le bien, j’ai fait la bonne guerre !
(il retombe… il étouffe)
Ah !
Sancho, je t’ai promis naguère
Des coteaux, des châteaux, même une île fertile…
SANCHO (très doux et modeste).
C’était un simple îlot que je voulais avoir !
DON QUICHOTTE (souriant).
Prends cette île, qu’il est toujours en mon pouvoir
De te donner !… Un flot azuré bat ses grèves,
Elle est belle, plaisante… et c’est l’île des Rêves !…
(Sancho pleure.)
Ne pleure pas, Sancho, mon bon, mon gros Sancho !
SANCHO.
Laissez-vous délacer ; comme dans un cachot,
Vous étouffez, mon grand, dans cet habit d’apôtre !
DON QUICHOTTE (l’arrête).
Je meurs… Fais ta prière et dis la patenôtre…
(Il baisse la tête et défaille un court instant. Sancho avec précaution le cale contre l’arbre, le bon Sancho pleure. Don Quichotte reprend, désignant Jupiter à qui il tend les bras.)
L’Étoile !
LA VOIX DE DULCINÉE (au loin).
Ah !…
DON QUICHOTTE.
Dulcinée !
VOIX DE DULCINÉE.
… le temps d’amour a fui !
DON QUICHOTTE.
Avec l’astre éclatant elle s’est confondue…
VOIX DE DULCINÉE.
Où vont nos bonheurs ?
DON QUICHOTTE.
C’est bien elle !
La lumière, l’amour, la jeunesse…
Elle…
VOIX DE DULCINÉE.
Adieu… bonheurs !… adieu !
DON QUICHOTTE.
Vers qui je vais… qui me fait signe… qui m’attend !
(Ses bras retombent. Il meurt. On entend un cri : « Mon maître adoré !… » puis sangloter Sancho qui embrasse son vieux maître.)
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole
Tugan Sokiev (direction)
vendredi 24 février à 20h00
Halle aux Grains
Tugan Sokhiev © Marco Borggreve
Furlanetto Ferruccio © Igor Sakharov