Mis en scène par Emilio Sagi, l’opéra de Rossini « le Turc en Italie » est dirigé par l’excellent Attilio Cremonesi au Théâtre du Capitole.
« Le Turc en Italie », que Gioacchino Rossini signa en 1814 dans le moule à succès de son « Italienne à Alger », réunit une femme fort volage cocufiant son vieux mari richissime, une bohémienne répudiée mais encore amoureuse de son sultan ottoman, un prince turc venu étudier à Naples l’amour à l’italienne, et quelques amants éconduits. Quant au poète en proie à l’angoisse de la page blanche, il tentera de ranimer son inspiration en manipulant tout ce beau monde. Dans ce feu d’artifice de pétulance et de bonne humeur, Rossini se cache derrière ce poète qui tire les ficelles de l’histoire et mène la danse. Une histoire à tiroirs où se devinent l’influence des « Lettres persanes » de Montesquieu et les prémices — bien avant l’heure — de « Six personnages en quête d’auteur » de Pirandello.
Futur librettiste de Bellini, Donizetti et Verdi, Felice Romani avait ici remodelé un ouvrage poussif écrit en 1788 par Caterino Mazzolà. Aussi facétieux que poétique, le livret exploite ainsi le filon des «turqueries» dont le XVIIIe siècle était friand – que Mozart avait magnifié avec « l’Enlèvement au sérail » – tout en rajeunissant un genre fort éprouvé, celui de la comédie dans la comédie. Mais le librettiste ne se contente guère d’une simple mise en abyme de l’opéra. Prenant visiblement un malin plaisir à jouer avec le spectateur qui croit à une panne d’inspiration de l’artiste, il profite de cette habile diversion pour en faire le ciment d’une intrigue qui avance au galop.
Après avoir emballé à Toulouse la pétillante zarzuela « Doña Francisquita », le metteur en scène Emilio Sagi signe cette nouvelle production du Théâtre du Capitole qu’il propulse dans les années 1960. Selon lui, « Le Turc en Italie », au fond, est une comédie bourgeoise, avec un ancrage totalement citadin, sans aucune échappée vers le monde de l’absurde comme cela a pu être le cas dans certaines de ses comédies précédentes. C’est l’histoire comico-seria d’un couple formé par un homme mûr et sa jeune épouse un peu frivole, qui ne se sent pas suffisamment aimée, encore moins admirée. C’est pourquoi elle va chercher cette sensation auprès des jeunes hommes de son entourage. Les conséquences pourront s’avérer sérieuses pour elle mais, à la fin, son mari prend conscience de la situation et lui pardonne».
Emilio Sagi assure : «Je pense au contraire que Rossini cherche effectivement à faire avec ce nouvel ouvrage quelque chose qui, tout en restant dans la veine comique, soit d’une grande tenue intellectuelle. Les figures féminines chez lui ont toujours une force incroyable. C’est d’ailleurs l’une des raisons – parmi tant d’autres – qui me permettent d’affirmer la grande modernité des œuvres de Rossini. Je crois fermement que les ouvrages de Rossini sont tout à fait actuels. Sa manière de présenter les personnages féminins, nous venons d’en parler, mais aussi sa proximité avec le théâtre de l’absurde – même si cela est moins net dans « le Turc » -, sa manière de construire une œuvre avec une succession de petits sketchs qui, à la fin, s’entremêlent de manière assez magique pour chaque fois donner naissance à des œuvres parfaites.»
Le compositeur déploie pour ce « Turc en Italie » des airs et ensembles virtuoses où les vocalises s’épanouissent comme des feux d’artifice. Artisan d’une fabuleuse trilogie Mozart/Da Ponte à Toulouse, c’est l’Italien Attilio Cremonesi (photo) qui dirige l’Orchestre du Capitole. D’après lui, «pour les amoureux de l’opéra, Rossini représente l’une des plus belles expressions du théâtre musical et pour moi, musicien italien, il est en outre une merveilleuse icône. Rossini connaissait intimement les œuvres de Mozart, de Haydn et de Beethoven – il avait fait l’impossible pour rencontrer ce dernier lors d’un séjour à Vienne – et il a été l’un des artisans majeurs de leur diffusion en Italie. Chaque fois que j’aborde la partition d’un opéra rossinien, je me demande quelle musique il aurait composée s’il n’avait pas tant étudié, tant aimé les œuvres de Mozart».
Attilio Cremonesi poursuit : « »Le Turc en Italie » est un opéra de jeunesse, créé au Théâtre de la Scala en 1814, deux ans seulement après l’accueil chaleureux reçu à Venise par sa farce « la Scala di seta ». En l’espace de ces deux années, Rossini évolue du statut d’un jeune musicien prometteur à celui d’un maître reconnu, auquel la Scala de Milan et le San Carlo de Naples commandent des œuvres nouvelles. Ces nouveaux projets le mettent sous pression et le poussent à utiliser de la musique déjà existante. Les airs étaient alors composés en fonction de la voix des solistes. La plupart du temps, le compositeur, qui était tenu d’assister à toutes les répétitions avec les chanteurs, terminait de composer pendant les répétitions en salle. De cela, on peut logiquement déduire que les rôles étaient modelés à la perfection sur la personnalité vocale des solistes. À chaque reprise de l’opéra, le compositeur ou le maître de chapelle adaptait les parties vocales au nouveau plateau», raconte le chef.
Où l’on retrouvera à Toulouse quelques grands noms du belcanto tels les barytons Alessandro Corbelli (« Falstaff ») et Pietro Spagnoli (« Le Barbier de Séville », « L’Italienne à Alger »). Retour également du jeune ténor Yijie Shi découvert sur la même scène dans « la Favorite ».
Jérôme Gac
Du 18 au 29 novembre, au Théâtre du Capitole
Place du Capitole, Toulouse. Tél. : 05 61 63 13 13
Rencontre, avant la représentation, 19h00.
Un Thé à l’opéra, samedi 19 novembre,
16h30, au Théâtre du Capitole
(entrée libre)
Crédit Photo
« Le Turc en Italie » © Patricio Melo