La devise est toujours au rendez-vous : le meilleur par les meilleurs. Alain Duault l’a fait sienne depuis les tout débuts de ces cycles qui nous amènent dans les plus grandes salles d’art lyrique et de danse, et nous permettent d’entendre et voir les plus belles productions d’opéras sans oublier les plus beaux spectacles de danse.
L’Opéra national de Paris est encore plus présent cette année puisque son Directeur, Stéphane Lissner a donné son accord pour 7 retransmissions en DIRECT, 4 opéras, 2 soirées dédiées à la DANSE, et un Cosi fan tutte original qui marquera la rencontre de la danse et du lyrique : c’est à Anne de Keersmaeker, chorégraphe réputée, qu’il a demandé de mettre en scène cet opéra de Mozart, qui sera dirigé par Philippe Jordan. Les six chanteurs principaux seront doublés par six danseurs.
Mais, on le sait, il est des titres qui attirent davantage les foules d’amateurs, et pareil pour les noms de chanteurs et chanteuses. Sûr, que si vous programmez un opéra avec, en ce moment, le ténor Jonas Kaufmann, vous aurez davantage de monde dans la salle, et une salle n’est pas faite pour être aux trois-quarts vide. En DIRECT de l’OPERA BASTILLE, nous serons bien là comme des centaines d’autres, pour l’Hoffmann des Contes d’Hoffmann de Jonas Kaufmann. La distribution autour est exceptionnelle. On ne citera qu’un nom, celui de Sabine Devieilhe dans Olympia. Spectaculaire mise en scène de Robert Carsen, et tout ce petit monde obéira à la baguette de Philippe Jordan, directeur musical de l’Opéra de Paris, chef qui nous offrira un concert “Wagner“ ce samedi 18 juin à la Halle aux Grains avec son orchestre “maison“. Voilà une date, le mardi 15 novembre, à surligner dans tout agenda de lyricomane qui se respecte.
Le 11 mai 2017, le coup de poignard de Canio, c’est pour vous. Vous allez retrouver Jonas Kaufmann dans ce diptyque habituel, soit Cavalleria rusticana qui verra notre idole mourir sous les traits de Turridu, suivi de Pagliacci, drame dans lequel Canio va poignarder sa femme Nedda et son amant Silvio. Sang, amour et jalousie, des ingrédients qui conduisent à ces échéances tragiques. C’est une production du Festival de Salzbourg sous la direction du chef Christian Thielemann. Il est loin le temps où le jeune Kaufmann foulait le plancher de la scène du Théâtre du Capitole dans l’opéra d’Ambroise Thomas, Mignon, dans le rôle de Wilhelm Meister. De Cavalleria Rusticana à I Pagliacci, Jonas Kaufmann passe du jeune homme fou de désir et d’amour, mais en même temps mélancolique et déchiré (par rapport à Santuzza ou à sa mère) à l’homme blessé, plus mûr, pathologiquement jaloux, au clown triste qui découvre son infortune et tue par passion. C’est l’image cinématographique que l’on retrouve dans la mise en scène qui va permettre au spectateur de voir l’étendue de l’art de l’acteur. La scène de la mansarde avec Lola dans Cavalleria et surtout la scène du maquillage dans I Pagliacci (où son visage est pris en un très long gros plan) sont deux moments d’exception. Moments d’exception parce que Kaufmann ne joue jamais, c’est très clair dans Cavalleria entre une Santuzza plutôt traditionnelle dans son jeu (excès, gestes théâtraux, bras écartés) et un Kaufmann économe de ses gestes, étant plutôt que jouant, parfaite illustration du Paradoxe de Diderot, ne pas sembler jouer marquant l’art suprême de l’acteur. Si Kaufmann est impressionnant dans les deux ouvrages dits véristes, c’est d’abord par sa présence et son charisme : nul besoin de chanter le drame, car le drame est là où lui est. Du grand art opératique. Il faut y être.
Il est encore présent dans cette production de Tosca à l’Opéra de Zurich. Ce sera dans la salle de l’UGC de Toulouse le 15 décembre. Il est un sensationnel Mario Cavaradossi, le peintre dont est amoureux Floria Tosca. Il est bouleversant, comme à l’habitude, dans chaque inflexion, une de ses qualités d’interprétation reconnue. Chanteur-acteur comme ils sont peu nombreux, il partage cet état avec Thomas Hampson, Scarpia séducteur et cruel à faire peur. Si on ajoute la Tosca ardente et fougueuse d’Emily Magee, tous trois sont portés par une fièvre sans cesse attisée par la subtile et raffinée direction d’acteurs de Robert Carsen.
Et si l’on évoquait pour le jeudi 9 mars cette Force du Destin de l’Opéra de Munich, où l’on retrouve Jonas Kaufmann en Don Alvaro, amoureux de Donna Leonora, interprétée par une autre “coqueluche“ actuelle des plateaux de salles d’opéra, une soprano que les toulousains ont pu découvrir il y a une dizaine d’années puisqu’elle était Eva dans des Maîtres Chanteurs mis en scène alors par Nicolas Joël. C’est devenu une “star“. Il s’agit d’Anja Harteros. Dans cette production, son frère, Don Carlo, est une autre “star“ en la personne de Ludovic Tézier, notre baryton, toulousain de cœur. Ce début de plateau est déjà exceptionnel. Mais, si la mise en scène et la direction musicale devait vous décevoir, voici ces quelques lignes qui vont vous motiver pour vous déplacer : « …Leonora disparaît pour deux actes, et réapparaît sortant de son antre pour Pace pace mio dio, son air le plus attendu. Le public était chauffé à point nommé par les actes précédents rendus stupéfiants par un Kaufmann et un Tézier qui ont complètement changé la face de la soirée : d’emblée ils ont installé un niveau, on le verra, totalement inaccessible à d’autres chanteurs aujourd’hui. Dans ces conditions, l’air fut étourdissant, bouleversant d’émotion avec une voix désormais libérée, éclatante, vibrante – les larmes viennent en l’écrivant – qui a laissé éclater un maledizione anthologique, tenu plus longtemps qu’à la représentation vue en streaming et qui a mis le public sens dessus dessous. Et ce fut suivi d’une dernière scène où une Anja Harteros complètement dédiée achevait de nous chavirer, dans un dernier duo avec Jonas Kaufmann que j’ai encore aux oreilles, dans ce silence d’une salle tétanisée. Car Jonas Kaufmann qui n’a ni la couleur, ni le style habituel qu’on attend dans ce type de rôle, a imposé un personnage d’une intensité rarement atteinte, des aigus d’une sûreté et d’une puissance époustouflantes, et un charisme inouï, une présence scénique bouleversante, un naturel et une vigueur dans les attitudes qui tranchaient même avec un chant complètement contrôlé et dominé. Sa diction impeccable, son sens consommé de la projection et de la modulation, et ce dès son La vita è inferno all’infelice, après un premier acte en demi-teinte nous ont cueillis à froid et ont littéralement saisi puis fait exploser le public. Il y a des choses que Kaufmann ne peut faire dans le chant verdien, notamment un discours continu, rapide, ouvert, alors il fait ralentir les tempi (c’est visible dans le duo du IVème acte avec Carlo, très lent, où chaque parole pèse, mais sans vrai crescendo, au moins à l’orchestre) et il travaille sur les sons filés, les mezze voci que lui seul sait utiliser dans ce type de rôle. On passe d’aigus triomphants à des moments de retour sur soi qui mettent le public littéralement à genoux : il fallait entendre l’explosion à la fin de l’air initial de l’acte III, qui remettait les choses à leur place, qui enfin installait la vibration verdienne pendue au fil de cette voix étrange, totalement construite et en même temps d’une puissance d’émotion démultipliée. Et la présence de Ludovic Tézier en face de lui, personnalité tantôt contrôlée, tantôt elle aussi explosive, a créé une sorte d’émulation dans la violence, dans l’émotion, socle d’un rapport fusionnel entre le plateau et la salle. On n’a plus arrêté de hurler et d’applaudir, tant la tension imposée, tant la perfection du chant correspondait à l’émotion diffusée, tant on était enfin dans Verdi, dans ce Verdi qu’on aime et qui renverse. » Tout est dit, n’est-ce pas ?
Mais Anja Harteros est signalée aussi dans une production de l’Opéra de Vienne, et ce, en salle pour le jeudi 12 janvier à Toulouse. Elle interprète la magicienne Alcina dans cet opéra de Haendel. Décors raffinés, costumes somptueux, dans une mise en scène d’Adrian Noble, la très belle distribution est à la fête sous la direction musicale de Marc Minkowski et ses propres Musiciens du Louvre qui ont chassé de la fosse les musiciens habituels, un véritable événement viennois. Immense Anja Harteros qui impose son personnage avec une noblesse scénique en même temps qu’une inventivité vocale sans pareil : elle fait croire à la douleur, à l’émotion, à l’orgueil, à la cruauté, au désespoir, à l’amour, à tout ce qui construit la chair de cette femme. Anja Harteros est l’une des plus précieuses sopranos actuelles, et elle le sera assurément pendant de longues années. Elle est chez Haendel la plus parfaite des héroïnes baroques. Furore ou lamenti, voix de lave ou d’oiseau sauvage : tout est parfait, le souffle maîtrisé, l’interprétation intelligente, la virtuosité jamais ostentatoire. Plongée dans la quasi pénombre pour Ah ! Mio cor !, elle touche au sublime, mais encore une fois dans une apparente simplicité de moyens. Toute la magie de cette magicienne d’un soir est là : l’élégance d’être humble.
L’ouverture du cycle frappe un grand coup avec un Trouvère de Verdi, cet halètement permanent d’une musique qui jamais ne perd tension ni force. Donné au Festival de Salzbourg en 2014, dans une mise en scène qui ne peut être qu’originale, par Alvis Hermanis, cet ouvrage bénéficie d’une distribution particulièrement éblouissante avec, la plus grande soprano verdienne actuelle, Anna Netrebko dans Leonora, le nouveau ténor verdien qui partageait avec elle l’ouverture de la Scala en 2015 dans le Giovanna d’Arco, j’ai nommé Francesco Meli qui sera donc le trouvère Manrico, le Comte de Luna, c’est l’indestructible Placido Domingo qui a interprété autrefois, et tant de fois le rôle pour ténor de Manrico, mais dont le timbre de voix, assombri, lui permet maintenant d’affronter certains rôles pour baryton, et enfin, la mezzo Marie-Nicole Lemieux qui prêtera toutes ses qualités de tragédienne et ses graves au rôle d’Azucena, la bohémienne.
Il est bien loin le Hamlet de Nicolas Joël au Capitole avec Nathalie Dessay, Ludovic Tézier,… sous la direction de Michel Plasson. C’est le moment de saisir ce Hamlet donné au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles et que nous aurons en salle le 6 octobre à Toulouse. Cet opéra fut véritablement écrit pour des chanteurs, d’où son succès immédiat en 1868, les créateurs étant les meilleurs sur la scène d’alors. Les auteurs du livret, Michel Carré et Jules Barbier, les mêmes que pour le Faust de Gounod, neuf ans plus tôt, n’ont pas réécrit le Hamlet de Shakespeare, mais ont écrit un Hamlet d’après la pièce au foisonnement insensé et à l’ampleur inhabituelle, pour faire un livret d’opéra réaliste, rationnel, et dramatiquement efficace. Marc Minkowski dirige, Olivier Py met en scène, le baryton Stéphane Degout est Hamlet, et Lenneke Ruiten, jeune soprano néerlandaise, est Ophélie. Du premier, ses qualités nous ont déjà ravis à plusieurs reprises dans des productions toulousaines, il ne peut qu’être un grand Hamlet. De la seconde, on s’enflamme pour, sa flamme, la précision des vocalises – et pour la scène de la folie, cette folie douce, d’eau et de fleurs, aux couleurs d’aquarelle, il en faut – la beauté du legato, le contrôle du souffle, au bilan, une authentique révélation.
En DIRECT de l’OPERA BASTILLE, le jeudi 13 octobre, nous serons tous à Paris, puisque c’est la rentrée parisienne avec une nouvelle production de Samson et Dalila, cet opéra de Camille Saint-Saëns en trois actes et quatre tableaux d’où la nécessité de deux entractes. Tout un chacun connaît la fameuse légende des deux protagonistes. Après vingt-cinq ans d’absence, c’est le retour au répertoire de cet opéra parmi les plus joués au monde en son temps avec Faust et Carmen. Il sera dirigé par son directeur musical Philippe Jordan, avec une mise en scène confiée à Damiano Micheletto. Pour le rôle de Dalila, il faut un tempérament comme on dit : c’est la mezzo Anita Rachvelishvili que les directeurs de salle s’arrachent depuis sa mémorable prestation dans Carmen, en face du Don José de Jonas Kaufmann, et ce, grâce à la défection de dernière minute de la soprano prévue. Face à elle, il lui faut un Samson d’envergure, qui soit à sa hauteur, ce sera Alexandre Antonenko. L’un des plus beaux airs d’amour de l’opéra romantique : « Mon cœur s’ouvre à ta voix comme s’ouvrent les fleurs aux baisers de l’aurore… », c’est pour lui. La trahison n’en sera que plus cruelle.
Il y a bien d’autres merveilles à vous signaler dans cette programmation pour cette nouvelle saison. Ce sera fait dans un deuxième article à paraître vers fin novembre. Suit un Tannhäuser fabuleux avec un couple à la ville comme à la scène, Peter Sieffert et Petra Maria Scnitzer que nous avons eu la chance d’applaudir sur la scène capitoline. C’est pour le jeudi 24 novembre à Toulouse.
Un autre DIRECT de PALAIS GARNIER le Jeudi 8 décembre pour la re-création du ballet The leaves are fading sur une musique de Barbara et dans une chorégraphie de Benjamin Millepied, dernière œuvre majeure du chorégraphe Antony Tudor, créée en 1975 au crépuscule de sa carrière.
Michel Grialou
Viva l’Opéra – saison 2016/2017