En clôture de la saison toulousaine des Grands Interprètes, Philippe Jordan dirige l’Orchestre de l’Opéra national de Paris à la Halle aux Grains dans des extraits de la « Tétralogie » de Richard Wagner.
La saison des Grands Interprètes s’achève avec la venue à Toulouse de Philippe Jordan (photo), né en 1974 et fils du célèbre chef suisse Armin Jordan. «Il était toujours en voyage au gré de ses engagements. Ma mère et moi nous sommes souvent retrouvés seuls à la maison. Si j’ai choisi le même métier que mon père, ça n’est pas un hasard, mais pour me rapprocher de quelqu’un que j’admirais. Je dois avouer qu’il est encore plus présent dans ma vie depuis sa mort : je me surprends parfois à m’interroger sur ce que je fais en pensant à lui. Nos personnalités étaient certes très différentes : il était d’un naturel méditerranéen très ouvert, comme ma mère, je suis plutôt réservé. J’ai voulu chercher mon propre chemin tout seul et le paradoxe c’est que je suis fier aujourd’hui de retrouver les qualités d’un père doué d’une double culture, allemande et française»(1), confesse le chef.
«Mon père ne m’a jamais donné de cours de direction d’orchestre, mais toute ma jeunesse a été nourrie des partitions qu’il travaillait à la maison, des enregistrements qu’il faisait, des répétitions auxquelles j’assistais pendant mes vacances scolaires. J’ai hérité de son goût pour la transparence du son des orchestres français, j’ai hérité de son amour pour l’opéra. J’ai d’ailleurs débuté comme chef de chant dans un théâtre avant de devenir un chef d’orchestre dont la carrière est occupée aux deux tiers par le répertoire lyrique»(2), constatait Philippe Jordan, peu de temps après la disparition de son père, en 2006.
Directeur musical de l’Orchestre symphonique de Vienne depuis deux saisons, Philippe Jordan se produira à Toulouse à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, institution dont il assure la direction musicale depuis sept ans. De la phalange parisienne, il loue «la clarté et la passion. Le niveau est absolument excellent et le son, que je n’hésite pas à qualifier de “français”, possède une lumière et une transparence qui conviennent non seulement au répertoire de votre pays mais aussi aux œuvres allemandes. Pour « Parsifal » de Wagner, par exemple, cette légèreté est précieuse et permet des couleurs qu’on ignore lorsque l’on joue trop “Bayreuth” ! Ensuite, je trouve formidable l’enthousiasme des musiciens qui sont encore émerveillés par la beauté de la musique qu’ils interprètent et, je le sens, prêts à beaucoup d’aventures artistiques nouvelles. C’est très stimulant»(3), déclarait le maestro lors de son entrée en fonction à Paris.
Très prisé pour ses interprétations des opéras de Richard Strauss et de Richard Wagner, c’est en dirigeant le « Ring » à l’Opéra Bastille que Philippe Jordan a conquis tous les suffrages, s’imposant alors comme un grand “wagnérien” d’aujourd’hui. C’est avec des extraits symphoniques de la monumentale « Tétralogie » qu’il est attendu à la Halle aux Grains, accompagné de la soprano viennoise Martina Serafin pour l’interprétation de « l’Immolation de Brünnhilde ». «J’ai expérimenté la tradition germanique en 1998 à Berlin avec Daniel Barenboïm qui m’a fait profiter de son expérience à Bayreuth comme de la tradition séculaire de la Staatskapelle berlinoise. Tradition qui ne m’a d’ailleurs pas paru dépourvue d’une certaine épaisseur de trait… En 2008, j’ai pu enfin voler de mes propres ailes en dirigeant ma première « Tétralogie » à Zurich»(1), se souvient-il.
« Der Ring des Nibelungen » (L’Anneau du Nibelung) est constitué de quatre opéras inspirés des mythologies allemandes et scandinaves et dont la structure en quatre parties trouve sa source dans celle du théâtre grec antique. Richard Wagner est à la fois l’auteur du livret et le compositeur de cette entreprise monumentale achevée en 1867 et ayant nécessité trente années de travail. «Festival scénique en un prologue et trois journées», selon les termes de Richard Wagner, la « Tétralogie » est donc une trilogie constituée de « la Walkyrie », « Siegfried » et « le Crépuscule des Dieux », précédée du prologue « l’Or du Rhin ». Soit quinze heures de musique au service d’une œuvre d’«art total» – ou Gesamtkunstwerk – tissant un lien étroit entre théâtre, musique, poésie et peinture. Une œuvre à laquelle est entièrement dédié le théâtre que le compositeur fit édifier à Bayreuth. «Sa musique est élémentaire, dotée d’une énergie primaire. Mais seulement à première vue car il va tellement loin. L’émotionnel influence le rationnel et l’histoire se retrouve comme grandie par la musique. Ces masses orchestrales peuvent tuer ! Tel un surfeur, on prend une vague, on maîtrise, et parfois c’est la vague qui vous prend…»(4), affirme Philippe Jordan.
À propos des différentes interprétations du « Ring » disponibles, Philippe Jordan avoue: «Les deux versions les plus fascinantes sont pour moi celle de Karajan à Salzbourg, avec le Philharmonique de Berlin, et celle de Boulez à Bayreuth en 1980. Il faut essayer de se remettre dans le contexte, car en 1967, Karajan faisait preuve d’une modernité incroyable pour l’époque, où l’on était habitué à entendre jouer Wagner, entre forte et fortissimo ; il fallait avoir du courage pour proposer d’alléger la texture, de mettre à jour les sonorités “chambristes” et “impressionnistes” qui sont soulignées depuis. Et imposer pour la première fois un «Winterstürme» chuchoté par le plus grand ténor du moment, Jon Vickers, pour faire sonner cette page comme une déclaration d’amour, est tout à fait extraordinaire. Il fallait oser cela, nous avons tendance à l’oublier. Essayez d’imaginer la réaction du public dans la salle, découvrant un « Or du Rhin » détaillé aussi minutieusement et Crespin dans Brünnhilde, juvénile et fragile, à l’opposé de Nilsson, magnifique ! Et Bayreuth 1980 ! Vous vous rendez compte que nous profitons aujourd’hui encore du travail de Boulez. Il fut le premier à exiger un piano de la part de l’orchestre qui ne le voulait pas et il a dû lutter contre cette tradition. Son interprétation est exceptionnelle. J’aime également celle de Karl Böhm pour son sens théâtral et ses tempi, le “live” n’est pas parfait, mais le drame y sourd de manière somptueuse, plus que chez Karajan qui célébrait en privilégiant la beauté du son. Böhm reste naturel, simple et direct».(5)
Jérôme Gac
(1) concertclassic.com (2010)
(2) Le Monde (3/12/2006)
(3) La Croix (13/11/2009)
(4) telerama.fr (8/05/2015)
(5) concertclassic.com (2013)
Samedi 18 juin, 20h00,
à la Halle aux Grains,
place Dupuy, Toulouse.
Tél. : 05 61 21 09 00.