Michèle rentre du travail. Dans ce somptueux pavillon d’une banlieue parisienne à l’abri des turbulences, on la devine bien seule, si ce n’est son chat. Puis, c’est l’agression. Encagoulé, un homme fait irruption dans ce nid douillet et la viole. Scène liminaire d’une rare violence. Le choc passé, Michèle range le salon dans lequel cet acte sans nom s’est déroulé puis va prendre un bain, le regard un brin absent.
Lors d’un dîner qui suivra quelques jours après, elle racontera, avec un incroyable flegme et une distance inouïe, son viol à son ex-mari Richard et à ses plus proches amis. Richard a tôt fait de lui faire avouer qu’elle n’a pas porté plainte. Devant la stupéfaction de tous, Michèle se contente de lire la carte des menus et leur propose d’en faire autant. Ce ne serait pas charitable d’en dire davantage car ce film est un authentique thriller dont le sujet n’est pas un quelconque braquage, mais plutôt la mise en abîme d’une personnalité tourmentée. Directement inspiré du livre de Philippe Djian : Oh…, le premier film français de Paul Verhoeven divise l’opinion. Si la maîtrise cinématographique de ce réalisateur et sa virtuosité en termes de direction d’acteur ne sont pas en cause, loin s’en faut, le sujet est plus que malsain. Fille d’un monstre aux mains couvertes de sang qui croupit en prison et d’une mère collectionnant les gigolos à coup de milliers d’euros, Michèle, directrice d’une maison de production de jeux vidéos pour adultes, est en fait l’image même d’une femme dont le besoin de liberté et de pouvoir s’exprime dans une perversion qui dépasse l’entendement. Et c’est bien sur ce sujet que la division s’installe rapidement chez les spectateurs. Certes l’âme humaine est insondable, mais lever ses voiles les plus sombres, même au cinéma, relève d’un téméraire pari.
L’autre problème de ce film, faut-il le répéter, admirablement réussi, est l’interprète de Michèle : Isabelle Huppert. Cette comédienne, confortablement installée dans une soixantaine épanouie, nous a fait longtemps rêver au travers d’une gigantesque filmographie. Las, depuis quelques années, son jeu s’est figé en même temps que son regard perdait toute faculté d’interroger le spectateur. Plus grave, ses mots sonnent faux. Certes, le rôle était difficilement distribuable et aucune starlette américaine ne l’aurait accepté. Mais à l’inverse de la justesse de ton des courtes interventions d’un Charles Berling, d’une Judith Magre, ou encore d’Anne Consigny dans ce film, le jeu marmoréen de la star française laisse… de marbre. Entre provocation et transgression, un film choc !
Robert Pénavayre
Elle
Réalisateur : Paul Verhoeven
Avec : isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Richard Berling, Anne Consigny, etc.
Durée : 2h10’
Genre : Drame
Paul Verhoeven – Je suis attiré par la violence et l’ambigüité
Ce réalisateur néerlandais, diplômé de mathématique et de physique (tout un programme…), achève son premier long en 1971, une comédie intitulée Business is business. Il a alors 33 ans. Mais c’est son sulfureux (pour l’époque) Turkish delices en 1973 qui lui vaudra une reconnaissance internationale. A partir de ce film, érotisme et violence se conjuguent dans une carrière qui compte aujourd’hui une vingtaine de titres. Il va habilement surfer sur la vague américaine des blockbusters et signer quelques chefs d’œuvre en la matière : Robocop, Total recall, Starship Troopers. Son dernier opus (Elle) renoue avec le film qui a fait sa fortune et sa gloire : Basic instinct. Sélectionné à Cannes cette année, Elle est revenu…bredouille. Paul Verhoeven vient de relancer un vieux projet : Jésus de Nazareth, un film directement adapté de son livre éponyme dans lequel il dresse un portrait laïque de Jésus.